Savitri - Book Ten - Canto 3

B OOK T EN – C ANTO 3 – T HE D EBATE OF L OVE AND D EATH L IVRE D IX – C HANT 3 – L E D EBAT ENTRE L ’A MOUR ET LA M ORT

SAVITRI S RI A UROBINDO

French translation by: Divakar Jeanson www.divakar-publications.com

BOOK TEN - The Book of the Double Twilight

LIVRE DIX – Le Livre du Double Crépuscule.

Canto Three - The Debate of Love and Death

Chant Trois – Le Débat entre l’Amour et la Mort

A sad destroying cadence the voice sank; It seemed to lead the advancing march of Life Into some still original Inane. But Savitri answered to almighty Death: “O dark-browed sophist of the universe Who veilst the Real with its own Idea, Hiding with brute objects Nature's living face, Masking eternity with thy dance of death, Thou hast woven the ignorant mind into a screen And made of Thought error's purveyor and scribe, And a false witness of mind's servant sense. An aesthete of the sorrow of the world, Champion of a harsh and sad philosophy Thou hast used words to shutter out the Light And called in Truth to vindicate a lie. A lying reality is falsehood's crown And a perverted truth her richest gem. O Death, thou speakest truth but truth that slays, I answer to thee with the Truth that saves. “A traveller new-discovering himself, One made of Matter's world his starting-point, He made of Nothingness his living-room And Night a process of the eternal light And death a spur towards immortality. God wrapped his head from sight in Matter's cowl, His consciousness dived into inconscient depths,

Une cadence triste, destructive, la voix sombra ; Elle semblait mener la marche de la Vie Dans quelque Inane originel immobile. Mais à la Mort souveraine, Savitri répondit : « O sophiste de l’univers au front de ténèbre, Qui voiles le Réel avec son propre concept, Cachant la Nature vivante avec des objets, Masquant l’éternel avec ta danse de mort, Tu as fait du mental ignorant un écran, De la pensée un scribe et pourvoyeur de l’erreur Et des sens, leurs serviteurs, de faux témoins. Un esthète de la détresse du monde, Champion d’une âpre et sombre philosophie, Tu as usé des mots pour obstruer la Lumière Et de la Vérité pour justifier un mensonge : Une réalité factice est sa couronne, Une vérité pervertie son gemme de choix. O Mort, tu parles une vérité qui détruit, Je te réponds avec la Vérité qui sauve.

« Un voyageur qui Se redécouvre Lui-même, l’Un A fait de la Matière Son point de départ ;

Il a fait du Néant Son espace de vie, De la Nuit un procédé de la Lumière, De la mort un éperon vers l’immortalité.

Dieu couvrit sa tête dans la cagoule du monde, En des fonds inconscients Sa conscience plongea,

All-Knowledge seemed a huge dark Nescience; Infinity wore a boundless zero's form. His abysms of bliss became insensible deeps, Eternity a blank spiritual Vast. Annulling an original nullity The Timeless took its ground in emptiness And drew the figure of a universe, That the spirit might adventure into Time And wrestle with adamant Necessity And the soul pursue a cosmic pilgrimage. A spirit moved in black immensities And built a Thought in ancient Nothingness; A soul was lit in God's tremendous Void, A secret labouring glow of nascent fire. In Nihil's gulf his mighty Puissance wrought; She swung her formless motion into shapes, Made Matter the body of the Bodiless. “Infant and dim the eternal Mights awoke. In inert Matter breathed a slumbering Life, In a subconscient Life Mind lay asleep; In waking Life it stretched its giant limbs To shake from it the torpor of its drowse; A senseless substance quivered into sense, The world's heart commenced to beat, its eyes to see, In the crowded dumb vibrations of a brain Thought fumbled in a ring to find itself, Discovered speech and fed the new-born Word That bridged with spans of light the world's ignorance. In waking Mind, the Thinker built his house. A reasoning animal willed and planned and sought; He stood erect among his brute compeers,

La Connaissance parut une énorme Nescience ; L’infini prit la forme d’un zéro sans limites. Ses abîmes de joie devinrent des fonds inertes, Et l’Eternité fut changée en Neutralité. Annulant une nullité originelle L’Intemporel prit son terrain dans le vide Et dessina la figure d’un univers, Pour que l’esprit puisse s’aventurer dans le Temps Et lutter avec la Nécessité inflexible Et l’âme poursuivre un pèlerinage cosmique. Dans une immensité noire un esprit s’anima Qui bâtit une Pensée dans l’ancien Néant : Une âme s’embrasa dans le Vide de Dieu, Une secrète incandescence de feu naissant. Dans le gouffre du Nihil oeuvra Sa Puissance ; Elle projeta son mouvement dans les formes Et fit de la Matière le corps du Sans Corps. « Infantes, les Forces éternelles s’éveillèrent. Dans la Matière une Vie engourdie respirait, Dans une Vie subconsciente gisait le Mental ; La Vie s’éveillant, il étira ses grands membres Pour secouer la torpeur de sa somnolence ; Une substance insensible frémit et sentit, Le cœur du monde se mit à battre, ses yeux s’ouvrirent, Dans la foule vibratoire obscure d’un cerveau La pensée tâtonna pour se trouver elle-même, Découvrit le langage et nourrit le Verbe enfant Qui jeta sur le monde des travées de lumière. Le Mental s’éveillant, le Penseur s’y logea. Un animal raisonnant se mit à vouloir ; Il se tint debout parmi ses frustes compères,

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He built life new, measured the universe, Opposed his fate and wrestled with unseen Powers, Conquered and used the laws that rule the world, And hoped to ride the heavens and reach the stars, A master of his huge environment. Now through Mind's windows stares the demigod Hidden behind the curtains of man's soul: He has seen the Unknown, looked on Truth's veilless face; A ray has touched him from the eternal sun; Motionless, voiceless in foreseeing depths, He stands awake in Supernature's light And sees a glory of arisen wings And sees the vast descending might of God. “O Death, thou lookst on an unfinished world Assailed by thee and of its road unsure, Peopled by imperfect minds and ignorant lives, And sayest God is not and all is vain. How shall the child already be the man? Because he is infant, shall he never grow? Because he is ignorant, shall he never learn? In a small fragile seed a great tree lurks, In a tiny gene a thinking being is shut; A little element in a little sperm, It grows and is a conqueror and a sage. Then wilt thou spew out, Death, God's mystic truth, Deny the occult spiritual miracle? Still wilt thou say there is no spirit, no God? A mute material Nature wakes and sees; She has invented speech, unveiled a will. Something there waits beyond towards which she strives, Something surrounds her into which she grows:

Il bâtit une autre vie, mesura l’univers, S’opposa à son sort et combattit l’invisible, Conquit pour son usage les lois de la Matière, Espérant atteindre à son gré les étoiles, Un maître de son énorme environnement. A présent, par les fenêtres du Mental, caché Par les rideaux de l’âme, le demi-dieu regarde : Il a vu l’Inconnu, le visage du Vrai ; Un rayon l’a touché du soleil éternel ; Profondément prescient, immobile et muet, Debout dans la lumière de la Supranature, Il voit une gloire d’ailes soulevées, il voit La vaste puissance descendante de Dieu. « O Mort, tu regardes un monde inachevé Assailli par toi et incertain de sa route, Peuplé d’esprits imparfaits et de vies ignorantes, Et tu dis que Dieu n’est pas et que tout est vain. Comment l’enfant sera-t-il déjà l’homme ? Parce qu’il est enfant, ne grandira-t-il jamais ? Parce qu’il est ignorant, n’apprendra-t-il jamais ? Dans une graine fragile un grand arbre est tapi, Dans un gène un être pensant est enfermé ; Un petit élément dans un peu de sperme, Il croît et devient un conquérant et un sage. Alors, Mort, veux-tu vomir la vérité divine Et nier le miracle occulte et spirituel ? Veux-tu dire encore qu’il n’y a pas d’esprit ? Une Nature matérielle s’éveille et voit ; Elle a inventé le langage, dévoilé un sens. Quelque chose attend plus loin vers quoi elle s’efforce, Quelque chose l’environne en quoi elle croît :

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To uncover the spirit, to change back into God, To exceed herself is her transcendent task. In God concealed the world began to be, Tardily it travels towards manifest God: Our imperfection towards perfection toils, The body is the chrysalis of a soul: The infinite holds the finite in its arms, Time travels towards revealed eternity. A miracle structure of the eternal Mage, Matter its mystery hides from its own eyes, A scripture written out in cryptic signs, An occult document of the All-Wonderful's art. All here bears witness to his secret might, In all we feel his presence and his power. A blaze of his sovereign glory is the sun, A glory is the gold and glimmering moon, A glory is his dream of purple sky. A march of his greatness are the wheeling stars. His laughter of beauty breaks out in green trees, His moments of beauty triumph in a flower; The blue sea's chant, the rivulet's wandering voice Are murmurs falling from the Eternal's harp. This world is God fulfilled in outwardness. “His ways challenge our reason and our sense; By blind brute movements of an ignorant Force, By means we slight as small, obscure or base, A greatness founded upon little things, He has built a world in the unknowing Void. His forms he has massed from infinitesimal dust; His marvels are built from insignificant things. If mind is crippled, life untaught and crude,

Révéler l’esprit, redevenir divine Et se surpasser, est sa tâche transcendante. En Dieu invisible, le monde commença d’être, Et lentement s’achemine vers Dieu manifeste : Notre imperfection peine vers la perfection, Le corps est la chrysalide d’une âme : L’infini tient le fini dans ses bras, Le Temps voyage vers l’éternité révélée. Une structure miraculée du grand Mage, La Matière se cache son propre mystère, Une Ecriture tracée en signes cryptiques, Un document occulte de l’art du Prodigieux. Tout ici témoigne de Sa puissance secrète, En tout nous ressentons Sa présence et Son pouvoir. Le soleil est un brasier de Sa gloire, Une gloire est l’or luisant de la lune, Une gloire est Son rêve de ciel empourpré. Les étoiles tournoyantes sont Sa grande marche. Son rire de beauté s’épanouit dans les arbres, Ses instants de beauté triomphent dans une fleur ; Le chant bleu de la mer, le son errant du ruisseau Sont des murmures de la harpe de l’Eternel. Ce monde entier est Dieu extériorisé. « Ses voies défient notre raison et notre sens ; Par d’aveugles mouvements d’une Force ignorante, Des moyens que nous jugeons mesquins, obscurs ou vils, Une grandeur établie sur de petites choses, Il a construit un monde dans le Vide inconscient. D’une poussière d’atomes, il a massé Ses formes,

Bâti Ses merveilles de choses insignifiantes. Si le mental est infirme et la vie est grossière,

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If brutal masks are there and evil acts, They are incidents of his vast and varied plot, His great and dangerous drama's needed steps; He makes with these and all his passion-play, A play and yet no play but the deep scheme Of a transcendent Wisdom finding ways To meet her Lord in the shadow and the Night: She embodies in dumb Matter the Divine, In symbol minds and lives the Absolute. A miracle-monger her mechanical craft; Matter's machine worked out the laws of thought, Life's engines served the labour of a soul: The Mighty Mother her creation wrought, A huge caprice self-bound by iron laws, And shut God into an enigmatic world: She lulled the Omniscient into nescient sleep, Omnipotence on Inertia's back she drove, Trod perfectly with divine unconscious steps The enormous circle of her wonder-works. Immortality assured itself by death; The Eternal's face was seen through drifts of Time. His knowledge he disguised as Ignorance, His Good he sowed in Evil's monstrous bed, Made error a door by which Truth could enter in, His plant of bliss watered with Sorrow's tears. “A thousand aspects point back to the One; A dual Nature covered the Unique. In this meeting of the Eternal's mingling masques, This tangle-dance of passionate contraries Above her is the vigil of the stars; Watched by a solitary Infinitude

Si des masques brutaux sont là, des actes mauvais, Ce sont des incidents de Sa riche et vaste intrigue, Les pas nécessaires de son grand, dangereux drame ; Il fait d’eux, comme de tout, le jeu de son acte, Un acte et pourtant nul acte mais le plan profond D’une Sagesse transcendante trouvant des voies Pour rencontrer son Seigneur dans l’ombre et la Nuit : Au-dessus d’elle est la vigile des étoiles ; Veillée par une Infinitude solitaire, Elle incarne le Divin dans l’inerte Matière, L’Absolu dans des vies et des esprits symboliques. Colportant le miracle par son art mécanique, La Matière élabora les lois de la pensée, Et les engins de la Vie servirent une âme : La Puissante Mère produisit sa création, Son caprice s’astreignant à des lois inflexibles, Et enferma Dieu dans un monde énigmatique : Elle berça l’Omniscient jusque dans la nescience, Sur le dos de l’Inertie mena l’Omnipotence, Et traça sans errer, divinement inconsciente, Le cercle cyclopéen de ses œuvres prodiges. L’Immortalité s’assura par la mort ; La face de l’Eternel apparut dans le Temps. Sa connaissance Il déguisa en Ignorance, Son Bien Il sema dans le lit du Mal, de l’erreur Fit une porte d’entrée pour la Vérité, Avec le Chagrin nourrit Sa plante de joie. « Un millier d’aspects ramènent à l’Un ; Une Nature duelle recouvrit l’Unique. Dans cette rencontre des masques de l’Eternel, Cette danse imbriquée de contraires passionnés

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Locking like lovers in a forbidden embrace The quarrel of their lost identity, Through this wrestle and wrangle of the extremes of Power Earth's million roads struggled towards deity. All stumbled on behind a stumbling Guide, Yet every stumble is a needed pace On unknown routes to an unknowable goal. All blundered and straggled towards the One Divine. As if transmuted by a titan spell The eternal Powers assumed a dubious face: Idols of an oblique divinity, They wore the heads of animal or troll, Assumed ears of the faun, the satyr's hoof, Or harboured the demoniac in their gaze: A crooked maze they made of thinking mind, They suffered a metamorphosis of the heart, Admitting bacchant revellers from the Night On the highways, in the gardens of the world They wallowed oblivious of their divine parts, As drunkards of a dire Circean wine Or a child who sprawls and sports in Nature's mire. Even wisdom, hewer of the roads of God, Is a partner in the deep disastrous game: Lost is the pilgrim's wallet and the scrip, She fails to read the map and watch the star. A poor self-righteous virtue is her stock And reason's pragmatic grope or abstract sight, Or the technique of a brief hour's success She teaches, an usher in utility's school. On the ocean surface of vast Consciousness Into its sanctuary of delights, As in a Dionysian masquerade.

Serrant tels des amants en une étreinte interdite La querelle de leur identité perdue, A travers cette lutte et dispute des extrêmes La Terre fraya au divin ses millions de routes. Tout suivit, vacillant, un Guide chancelant, Et pourtant chaque faux-pas est aussi nécessaire Sur des voies inconnues à un but inconnaissable, Une débandade trébuchante vers l’Un. Comme envoûtés par le sortilège d’un titan Les Pouvoirs éternels prirent un autre visage : Idoles d’une divinité oblique, Ils prirent des têtes d’animal ou de lutin, Les oreilles du faune, le sabot du satyre, Abritèrent le démoniaque dans leurs yeux : Du mental ils firent un dédale tortueux, Et subirent une métamorphose du cœur, Laissant entrer les débauchés de la Nuit Jusque dans le sanctuaire de ses plaisirs, Comme en une mascarade Dionysiaque. Sur les artères du monde et dans ses jardins Ils se vautrèrent, oublieux de leurs parties divines, Tels des ivrognes d’un sinistre vin Circéen Ou comme un enfant qui se roule et joue dans la fange. Même la sagesse, ouvreuse des routes de Dieu, Est une partenaire dans le jeu désastreux ; La pèlerine a perdu bourse et besace

Et ne peut lire la carte, ni observer l’étoile. Une pauvre vertu pharisaïque est son fonds, Et la raison pragmatique ou la vue abstraite, Ou bien elle enseigne la technique du succès, Une pionne dans l’école de l’utilité. Sur la surface océane de la Conscience

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Small thoughts in shoals are fished up into a net But the great truths escape her narrow cast; Guarded from vision by creation's depths, Obscure they swim in blind enormous gulfs Safe from the little sounding leads of mind, Too far for the puny diver's shallow plunge. Our mortal vision peers with ignorant eyes; It has no gaze on the deep heart of things. Our knowledge walks leaning on Error's staff, A worshipper of false dogmas and false gods, Or fanatic of a fierce intolerant creed Or a seeker doubting every truth he finds, A sceptic facing Light with adamant No Or chilling the heart with dry ironic smile, A cynic stamping out the god in man; A darkness wallows in the paths of Time Or lifts its giant head to blot the stars; It makes a cloud of the interpreting mind And intercepts the oracles of the Sun. “Yet Light is there; it stands at Nature's doors: It holds a torch to lead the traveller in. It waits to be kindled in our secret cells; It is a star lighting an ignorant sea, A lamp upon our poop piercing the night. As knowledge grows Light flames up from within: It is a shining warrior in the mind,

Des bancs de petites pensées sont capturées, Mais les grandes vérités échappent à son filet ; Abritées par les profondeurs de la création, Obscures elles nagent dans d’énormes abîmes Loin des petites sondes lancées par le mental, Trop distantes pour la portée du plongeur. Notre vision scrute avec des yeux ignorants, Son regard ne peut atteindre le cœur des choses. Notre savoir s’appuie sur la canne de l’Erreur, Un adorateur de dogmes et de dieux factices, Ou fanatique d’une croyance intolérante Ou un chercheur doutant des vérités qu’il trouve, Un sceptique affrontant la Lumière avec un Non Ou glaçant le cœur avec un sourire ironique, Un cynique qui piétine le dieu dans l’humain ; Une ombre se vautre dans les chemins du Temps « Mais la Lumière est là, aux portes de la Nature : Elle tient une torche pour le voyageur. Elle attend d’être embrasée dans nos cellules ; Elle est un astre éclairant une mer ignorante, Une lampe sur notre poupe perçant la nuit. Comme croît la connaissance elle augmente au-dedans - Une guerrière rayonnante dans le mental, Un aigle de songes dans le cœur divinatoire, Une armure dans la bataille, un arc de Dieu. Par de larges aurores, les pompes de la Sagesse Traversent la pénombre des champs de l’être ; La philosophie gravit les monts de la Pensée Ou de sa tête géante efface les étoiles ; Elle fait un nuage du mental interprète Et intercepte les oracles du Soleil.

An eagle of dreams in the divining heart, An armour in the fight, a bow of God.

Then larger dawns arrive and Wisdom's pomps Cross through the being's dim half-lighted fields; Philosophy climbs up Thought's cloud-bank peaks

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And Science tears out Nature's occult powers, Enormous djinns who serve a dwarf's small needs, Exposes the sealed minutiae of her art And conquers her by her own captive force. On heights unreached by mind's most daring soar, Upon a dangerous edge of failing Time The soul draws back into its deathless Self; Man's knowledge becomes God's supernal Ray. There is the mystic realm whence leaps the power Whose fire burns in the eyes of seer and sage; Thought silenced gazes into a brilliant Void. A voice comes down from mystic unseen peaks: A cry of splendour from a mouth of storm, It is the voice that speaks to night's profound, It is the thunder and the flaming call. Above the planes that climb from nescient earth, A hand is lifted towards the Invisible's realm, Beyond the superconscient's blinding line And plucks away the screens of the Unknown; A spirit within looks into the Eternal's eyes. It hears the Word to which our hearts were deaf, It sees through the blaze in which our thoughts grew blind; It drinks from the naked breasts of glorious Truth, It learns the secrets of eternity. A lightning flash of visionary sight, It plays upon an inward verge of mind:

Et la Science arrache les pouvoirs de la Nature, Ces énormes djinns au service d’un nain, Expose de son art la minutie hermétique Et la conquiert par sa propre force captive. Par-delà notre essor le plus intrépide, Sur le bord dangereux d’un Temps défaillant, L’âme se retire dans son Etre sans mort ; Notre connaissance devient le Rai du Divin. Là est l’espace mystique d’où jaillit la force Dont le feu brûle dans le regard du sage ; Un éclair de perception visionnaire Illumine une berge intérieure du mental : La Pensée se tait et contemple un Vide brillant. De cimes invisibles une voix descend : Un cri de splendeur d’une gueule d’orage, C’est la voix qui parle au profond de la nuit, C’est le tonnerre et l’appel flamboyant. Au-dessus des plans qui montent de la terre, Une main se lève vers l’Invisible, Par-delà le trait aveuglant du Supraconscient, Et déchire les écrans de l’Inconnu ; L’esprit intérieur trouve les yeux de l’Eternel. Il entend la Parole que nous n’entendions pas, Il voit à travers le brasier qui nous aveuglait ; Il boit aux seins nus de la glorieuse Vérité, Il apprend les secrets de l’éternité. Ainsi tout fut plongé dans l’énigme de la Nuit, Ainsi tout se lève à un Soleil éblouissant. « O Mort, ceci est le mystère de ton règne. Dans le champ magique et anomal de la terre Portée dans son périple sans but par le soleil

Thus all was plunged into the riddling Night, Thus all is raised to meet a dazzling Sun.

“O Death, this is the mystery of thy reign. In earth's anomalous and magic field Carried in its aimless journey by the sun

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Mid the forced marches of the great dumb stars, A darkness occupied the fields of God, And Matter's world was governed by thy shape. Thy mask has covered the Eternal's face, The Bliss that made the world has fallen asleep. Abandoned in the Vast she slumbered on: An evil transmutation overtook Her members till she knew herself no more. Only through her creative slumber flit Frail memories of the joy and beauty meant Under the sky's blue laugh mid green-scarfed trees And happy squanderings of scents and hues, In the field of the golden promenade of the sun And the vigil of the dream-light of the stars, Amid high meditating heads of hills, On the bosom of voluptuous rain-kissed earth And by the sapphire tumblings of the sea. But now the primal innocence is lost And Death and Ignorance govern the mortal world And Nature's visage wears a greyer hue. Earth still has kept her early charm and grace, The grandeur and the beauty still are hers, But veiled is the divine Inhabitant. The souls of men have wandered from the Light And the great Mother turns away her face. The eyes of the creatrix Bliss are closed And sorrow's touch has found her in her dreams. As she turns and tosses on her bed of Void, Because she cannot wake and find herself And cannot build again her perfect shape, Oblivious of her nature and her state, Forgetting her instinct of felicity,

Parmi les marches forcées des grandes étoiles, Une ténèbre occupa les espaces de Dieu, Et la Matière fut gouvernée par ta forme. Ton masque a couvert la face de l’Eternel, La Joie qui créa le monde s’est endormie. Abandonnée dans le Vaste elle s’engourdit : Une transmutation mauvaise prit possession De ses membres ; elle perdit conscience d’elle-même. Seuls virevoltent dans sa torpeur créative De frêles souvenirs de bonheur et de beauté Sous le rire du ciel parmi les arbres parés Et l’heureuse dépense de senteurs et de teintes, Au long de la promenade dorée du soleil Et dans la clarté de songe des étoiles, Entre les têtes méditantes des collines, Sur le sein de la terre baisée par la pluie Et devant le saphir de la marée déferlante. Mais à présent la première innocence est perdue Et la Mort et l’Ignorance gouvernent ce monde Et la face de la Nature est teintée de gris. La Terre pourtant a gardé sa grâce et son charme, La grandeur et la beauté sont encore siennes, Mais le divin Habitant est voilé. Les âmes se sont écartées de la Lumière Et la grande Mère détourne sa face. Les yeux de la joyeuse Créatrice sont clos Et la peine est venue la toucher dans ses rêves. Comme elle s’agite sur sa couche de Vide, Parce qu’elle ne peut s’éveiller et se trouver Elle-même, ni reconstruire sa forme parfaite,

Oublieuse de sa nature et de son état, Comme de son instinct inné de félicité,

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Forgetting to create a world of joy, She weeps and makes her creatures' eyes to weep; Testing with sorrow's edge her children's breasts, She spends on life's vain waste of hope and toil The poignant luxury of grief and tears. In the nightmare change of her half-conscious dream, Tortured herself and torturing by her touch, She comes to our hearts and bodies and our lives Wearing a hard and cruel mask of pain. Our nature twisted by the abortive birth Returns wry answers to life's questioning shocks, An acrid relish finds in the world's pangs, Drinks the sharp wine of grief's perversity. A curse is laid on the pure joy of life: Delight, God's sweetest sign and Beauty's twin, Dreaded by aspiring saint and austere sage, Is shunned, a dangerous and ambiguous cheat, A specious trick of an infernal Power It tempts the soul to its self-hurt and fall. A puritan God made pleasure a poisonous fruit, Or red drug in the market-place of Death, And sin the child of Nature's ecstasy. Yet every creature hunts for happiness, Buys with harsh pangs or tears by violence From the dull breast of the inanimate globe Some fragment or some broken shard of bliss. Even joy itself becomes a poisonous draught; Its hunger is made a dreadful hook of Fate. All means are held good to catch a single beam, Eternity sacrificed for a moment's bliss: Yet for joy and not for sorrow earth was made And not as a dream in endless suffering Time.

Oubliant ainsi de créer un monde de joie, Elle pleure et fait pleurer ses créatures ; Eprouvant ses enfants avec la douleur, Elle dissipe sur tout le labeur et l’espoir Le luxe poignant du chagrin et des larmes. Dans ce cauchemar à demi conscient, Torturée elle-même et torturant les siens, Elle vient à nos cœurs et nos corps et nos vies Portant un masque dur et cruel de souffrance. Notre nature, trahie par la naissance abortive, Donne à la vie des réponses tordues et goûte Une âcre saveur dans les affres du monde Et s’enivre de la perversité du malheur. Un mauvais sort est jeté sur la joie de la vie : Le Plaisir, jumeau de la Beauté, tendre signe De Dieu, est redouté par l’aspirant et le sage, Evité comme une tromperie dangereuse Ou spécieuse duperie d’un Pouvoir infernal Qui tente l’âme à sa ruine et sa déchéance. Un Dieu puritain a fait du plaisir un poison, Ou une drogue rouge au marché de la Mort, Et du péché l’enfant de l’extase naturelle. Pourtant chaque créature poursuit le bonheur, Achète avec d’âpres douleurs ou arrache Par violence du sein inerte du globe Un fragment, un éclat brisé de félicité. La joie même devient un breuvage empoisonné Et le besoin d’elle, un appât du Destin. Tous les moyens sont bons pour en saisir un rayon, L’Eternité le prix d’un instant de bien-être : Mais pour la joie, non pour la peine, fut créée la terre Et non comme un songe dans la souffrance du Temps.

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Although God made the world for his delight, An ignorant Power took charge and seemed his Will

Bien que Dieu créa le monde pour Son plaisir, Un Pouvoir ignorant usurpa Sa Volonté : La fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie. Tout devint un jeu de Hasard mimant le Destin. « Secrètement nos esprits respirent un air De félicité, tel un ciel profond de saphir ; Nos cœurs et nos corps en ressentent l’appel, Nos sens partout le cherchent, le touchent et le perdent. Si cela s’en allait, tout sombrerait dans le Vide ; Si cela n’était pas, rien ne pourrait vivre. La Béatitude est à la racine des choses. Un Délice muet contemple l’œuvre du Temps : Pour loger la Joie dans les choses, l’Espace s’ouvrit, Pour loger la Joie dans le soi, nos âmes naquirent. Cet univers préserve un ancien enchantement ; Ses objets sont des coupes pour la Joie du monde Dont le vin est nectar pour une âme profonde : Le Prodigieux a rempli les cieux de ses rêves, De l’ancien Espace il a fait son lieu de merveilles ; Dans la Matière et ses signes, il versa son esprit : Dans le soleil brûlent les feux de sa majesté, Il scintille dans la lune traversant le ciel, Il est la beauté qui chante dans l’aire du son, Il psalmodie les stances des odes du Vent, Il est le silence dans les étoiles la nuit ; A l’aube il s’éveille, appelle de chaque rameau, Gît dans la pierre et rêve dans la fleur et dans l’arbre. Même dans ce douloureux labeur de l’Ignorance, Sur le sol périlleux de la terre difficile,

And Death's deep falsity has mastered Life. All grew a play of Chance simulating Fate.

“A secret air of pure felicity Deep like a sapphire heaven our spirits breathe; Our hearts and bodies feel its obscure call, Our senses grope for it and touch and lose. If this withdrew, the world would sink in the Void; If this were not, nothing could move or live. A hidden Bliss is at the root of things. A mute Delight regards Time's countless works: To house God's joy in things Space gave wide room, To house God's joy in self our souls were born. This universe an old enchantment guards; Its objects are carved cups of World-Delight Whose charmed wine is some deep soul's rapture-drink: The All-Wonderful has packed heaven with his dreams, He has made blank ancient Space his marvel-house; He spilled his spirit into Matter's signs: His fires of grandeur burn in the great sun, He glides through heaven shimmering in the moon; He is beauty carolling in the fields of sound; He chants the stanzas of the odes of Wind; He is silence watching in the stars at night; He wakes at dawn and calls from every bough, Lies stunned in the stone and dreams in flower and tree.

Even in this labour and dolour of Ignorance, On the hard perilous ground of difficult earth, In spite of death and evil circumstance A will to live persists, a joy to be.

Malgré la mort et la circonstance mauvaise, La joie d’être et la volonté de vivre persistent.

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There is a joy in all that meets the sense, A joy in all experience of the soul,

Il y a une joie dans ce qui vient à nos sens, Une joie dans toute l’expérience de l’âme, Une joie dans le mal et une joie dans le bien, Une joie dans la vertu, et dans le péché : Indifférente aux menaces de la loi Karmique, La joie ose grandir sur un sol interdit, Sa sève coule dans la plante de la Douleur : Elle vibre au drame tragique du sort, Extrait sa provende du chagrin et de l’extase, Aiguise sa vigueur sur le danger et l’obstacle ; Elle se vautre avec le reptile et le ver Et dresse sa tête, une égale des étoiles ; Elle danse avec les fées, dîne avec le gnome, Et se prélasse dans la chaleur de beaucoup d’astres : Le soleil de la Beauté, le soleil du Pouvoir La louent et l’encouragent de leurs rayons d’or ; Elle grandit vers le Titan et vers le Dieu. Sur terre elle s’attarde et boit tout son saoul, A travers tous ses plaisirs et toutes ses peines, Des raisins du Ciel et des fleurs de l’Abysse, Des morsures du tourment raffiné de l’Enfer Et de vagues fragments de la gloire du Ciel. Dans les petites satisfactions de la vie, Ses passions, ses aises mesquines, elle trouve un goût, Un goût dans les pleurs et l’angoisse de cœurs brisés, Dans la couronne d’or et la couronne d’épines, Dans le nectar de la vie et dans son vin amer. Elle explore tout l’être pour des joies inconnues, Sonde toute expérience pour des choses nouvelles. La vie apporte dans les jours de l’homme terrien Une langue de gloire d’une sphère plus claire : Elle s’approfondit dans ses songes et son Art,

A joy in evil and a joy in good, A joy in virtue and a joy in sin:

Indifferent to the threat of Karmic law, Joy dares to grow upon forbidden soil,

Its sap runs through the plant and flowers of Pain: It thrills with the drama of fate and tragic doom, It tears its food from sorrow and ecstasy, On danger and difficulty whets its strength; It wallows with the reptile and the worm And lifts its head, an equal of the stars; It shares the faeries' dance, dines with the gnome: It basks in the light and heat of many suns, The sun of Beauty and the sun of Power Flatter and foster it with golden beams; It grows towards the Titan and the God. On earth it lingers drinking its deep fill, Through the symbol of her pleasure and her pain, Of the grapes of Heaven and the flowers of the Abyss, Of the flame-stabs and the torment-craft of Hell And dim fragments of the glory of Paradise. In the small paltry pleasures of man's life, In his petty passions and joys it finds a taste, A taste in tears and torture of broken hearts, In the crown of gold and in the crown of thorns, In life's nectar of sweetness and its bitter wine. All being it explores for unknown bliss, Sounds all experience for things new and strange.

Life brings into the earthly creature's days A tongue of glory from a brighter sphere: It deepens in his musings and his Art,

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It leaps at the splendour of some perfect word, It exults in his high resolves and noble deeds, Wanders in his errors, dares the abyss's brink, It climbs in his climbings, wallows in his fall. Angel and demon brides his chamber share, Possessors or competitors for life's heart. To the enjoyer of the cosmic scene His greatness and his littleness equal are, His magnanimity and meanness hues Cast on some neutral background of the gods: The Artist's skill he admires who planned it all. “But not for ever endures this danger game: Beyond the earth, but meant for delivered earth, Wisdom and joy prepare their perfect crown; Truth superhuman calls to thinking man. At last the soul turns to eternal things, In every shrine it cries for the clasp of God. Then is there played the crowning Mystery, Then is achieved the longed-for miracle. Immortal Bliss her wide celestial eyes Opens on the stars, she stirs her mighty limbs; Time thrills to the sapphics of her amour-song And Space fills with a white beatitude. Then leaving to its grief the human heart, Abandoning speech and the name-determined realms, Through a gleaming far-seen sky of wordless thought, Through naked thought-free heavens of absolute sight, She climbs to the summits where the unborn Idea Remembering the future that must be Looks down upon the works of labouring Force, Immutable above the world it made.

Bondit à la splendeur d’une parole parfaite, Exulte dans ses nobles exploits et ses serments, S’égare dans ses erreurs jusqu’au bord de l’abysse, Monte dans ses ascensions, se vautre dans sa chute. Ange et démone, deux mariées partagent sa chambre, Chacune voulant posséder le cœur de la vie. Pour celui qui jouit de la scène cosmique, Petitesse et grandeur humaines sont égales, Magnanimité ou vilenie sont des nuances Projetées sur un fond neutre des dieux : il admire L’habileté de l’Artiste qui a tout conçu. « Mais ce jeu dangereux ne durera pas toujours : Par-delà la terre, mais pour la terre délivrée, La sagesse et la joie préparent leur couronne ; La Vérité surhumaine attend l’homme pensant. L’âme enfin se tourne vers des choses éternelles, Dans chaque sanctuaire elle implore les bras de Dieu. Alors se déroule le Mystère sublime, Alors s’accomplit le miracle espéré. L’immortelle Félicité ouvre ses grands yeux Sur les étoiles, elle remue ses membres puissants ; Le Temps vibre aux saphiques de sa sérénade Et l’Espace s’emplit de blanche béatitude. Alors, laissant le cœur humain à sa peine, Abandonnant le langage et les régions nommées, A travers une voûte de pensée silencieuse, A travers des cieux nus de perception absolue, Elle monte aux sommets où l’Idée essentielle Se souvenant de l’avenir qui devra être Se penche sur les œuvres de la Force en travail, Immuable au-dessus du monde qu’elle créa.

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In the vast golden laughter of Truth's sun Like a great heaven-bird on a motionless sea Is poised her winged ardour of creative joy On the still deep of the Eternal's peace. This was the aim, this the supernal Law, Nature's allotted task when beauty-drenched

Dans le rire doré du soleil de Vérité Comme un oiseau de paradis sur la mer étale Plane l’ardeur ailée de sa joie créative Sur les fonds immobiles de la Paix éternelle. Tel était le but, telle la Loi supérieure, La tâche allouée à la Nature quand, noyée Dans la beauté brumeuse d’un sommeil inconscient, Hors du Vide cette création s’éleva, - C’est pour cela que l’Esprit entra dans l’Abysse Et chargea de son pouvoir la force matérielle :

In dim mist-waters of inconscient sleep, Out of the Void this grand creation rose,— For this the Spirit came into the Abyss And charged with its power Matter's unknowing force,

In Night's bare session to cathedral Light, In Death's realm repatriate immortality.

Par l’offrande nue de la Nuit à la Lumière, Au pays de la Mort, rapatrier l’immortel.

“A mystic slow transfiguration works. All our earth starts from mud and ends in sky, And Love that was once an animal's desire, Then a sweet madness in the rapturous heart, An ardent comradeship in the happy mind, Becomes a wide spiritual yearning's space. A lonely soul passions for the Alone, The heart that loved man thrills to the love of God, A body is his chamber and his shrine. Then is our being rescued from separateness; All is itself, all is new-felt in God: A Lover leaning from his cloister's door Gathers the whole world into his single breast. Then shall the business fail of Night and Death: When unity is won, when strife is lost And all is known and all is clasped by Love Who would turn back to ignorance and pain?

« Une lente transfiguration est à l’oeuvre. Notre terre part de l’argile et finit au ciel Et l’Amour, qui fut d’abord un désir animal, Puis une douce folie dans le cœur enivré Ou une ardente amitié réjouissant le mental, Devient l’espace d’un ample élan spirituel. Une âme solitaire s’éprend de l’Unique,

Le cœur qui aima l’homme vibre à l’amour de Dieu, Un corps est désormais Sa chambre et Son sanctuaire. Notre être alors est sauvé de la séparation ; Tout est le même, en Dieu nouvellement ressenti : Un Amant s’inclinant à la porte de son cloître Rassemble le monde tout entier dans sa poitrine. Alors échouera la besogne de la Nuit : Quand l’unité sera gagnée, dissous le conflit, Quand tout sera connu dans les bras de l’Amour, Qui voudra retourner à l’ignorance et la peine ?

“O Death, I have triumphed over thee within;

« O Mort, j’ai triomphé de toi au-dedans ;

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I quiver no more with the assault of grief; A mighty calmness seated deep within Has occupied my body and my sense:

Je ne tremble plus à l’assaut du malheur ; Un calme intérieur profond et puissant A occupé mon corps et mes sens : il prend Le malheur du monde et le transmue en vigueur, Il unit la joie du monde à la joie du Divin. Mon amour siège éternel sur le calme de Dieu ; Car l’Amour doit s’élancer par-delà les cieux Et trouver son sens ineffable et secret ; Il doit diviniser ses voies humaines, et pourtant Garder la souveraineté de sa joie terrestre. O Mort, ni pour la douce intensité de mon cœur, Mais pour son œuvre et la mienne, notre charge sacrée. Nos vies sont messagères de Dieu sous les étoiles, Séjournant dans l’ombre de la mort pour attirer Sa lumière à la terre et à la race ignorante, Que Son amour comble le vide dans les cœurs Et Son bonheur guérisse la détresse du monde. Car moi, la femme, je suis la force de Dieu, et lui Est l’âme déléguée en l’homme par l’Eternel. Ma volonté est plus grande que ta loi, O Mort ; Mon amour est plus fort que les liens du Destin : Notre amour est le sceau céleste du Suprême. Je garde ce sceau : tes mains ne pourront l’arracher. L’Amour ne doit pas cesser de vivre sur la terre, Car l’Amour est l’anneau qui joint la terre et le ciel, L’Amour est l’ange ici-bas du lointain Transcendant. L’Amour est le droit de l’homme sur l’Absolu. » Ni pour la seule félicité de mon corps Ai-je réclamé de toi le vivant Satyavan,

It takes the world's grief and transmutes to strength, It makes the world's joy one with the joy of God. My love eternal sits throned on God's calm; For Love must soar beyond the very heavens And find its secret sense ineffable; It must change its human ways to ways divine, Yet keep its sovereignty of earthly bliss. O Death, not for my heart's sweet poignancy Nor for my happy body's bliss alone I have claimed from thee the living Satyavan, But for his work and mine, our sacred charge. Our lives are God's messengers beneath the stars; To dwell under death's shadow they have come Tempting God's light to earth for the ignorant race, His love to fill the hollow in men's hearts, His bliss to heal the unhappiness of the world. For I, the woman, am the force of God, He the Eternal's delegate soul in man. My will is greater than thy law, O Death; My love is stronger than the bonds of Fate: Our love is the heavenly seal of the Supreme. I guard that seal against thy rending hands. Love must not cease to live upon the earth; For Love is the bright link twixt earth and heaven, Love is the far Transcendent's angel here; Love is man's lien on the Absolute.”

But to the woman Death the god replied, With the ironic laughter of his voice

Mais à la femme, le dieu de la Mort répliqua, Décourageant par l’ironie glacée de sa voix

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Discouraging the labour of the stars: “Even so men cheat the Truth with splendid thoughts. Thus wilt thou hire the glorious charlatan, Mind, To weave from his Ideal's gossamer air A fine raiment for thy body's nude desires And thy heart's clutching greedy passion clothe? Daub not the web of life with magic hues: Make rather thy thought a plain and faithful glass Reflecting Matter and mortality, Thy words are large murmurs in a mystic dream. For how in the soiled heart of man could dwell The immaculate grandeur of thy dream-built God, Or who can see a face and form divine In the naked two-legged worm thou callest man? O human face, put off mind-painted masks: The animal be, the worm that Nature meant; Accept thy futile birth, thy narrow life. For truth is bare like stone and hard like death; Bare in the bareness, hard with truth's hardness live.” And know thy soul a product of the flesh, A made-up self in a constructed world. But Savitri replied to the dire God: “Yes, I am human. Yet shall man by me, Since in humanity waits his hour the God, Trample thee down to reach the immortal heights, Transcending grief and pain and fate and death. Yes, my humanity is a mask of God: He dwells in me, the mover of my acts, Turning the great wheel of his cosmic work. I am the living body of his light, I am the thinking instrument of his power,

Le labeur des étoiles : « C’est ainsi que les hommes Trompent la Vérité par de splendides pensées. Emploieras-tu le Mental, ce glorieux charlatan, Pour tisser l’air diaphane de son Idéal En une parure pour les désirs de ton corps Et pour l’avidité passionnée de ton cœur ? Au lieu d’enduire la vie de couleurs magiques, Fais plutôt de ta pensée un simple miroir Réfléchissant la Matière et la mortalité Et admets que ton âme est un produit de la chair, Un soi fabriqué dans un monde construit. Tes mots sont les murmures d’un songe mystique. Comment dans le cœur souillé de l’homme pourrait vivre La grandeur immaculée de ton Dieu de rêve ? Qui peut voir une face et une forme divines Dans le ver à deux jambes que tu appelles homme ? O visage humain, retire ces masques peints : Sois l’animal, sois le ver qu’a voulu la Nature, Accepte ta naissance futile, ta vie étroite. La vérité est nue et dure comme la pierre ; Vis comme la vérité, dure et dépouillée. » Mais Savitri répondit au Dieu sinistre : « Oui, je suis humaine. Pourtant l’homme par moi, Puisque dans l’humanité le Dieu attend son heure, Te piétinera pour atteindre les hauteurs, Transcendant la douleur, le destin et la mort. Oui, mon humanité est un masque de Dieu : Il demeure en moi, anime chacun de mes actes, Tournant la grande roue de Son œuvre cosmique. Je suis le corps vivant de Sa lumière, Je suis l’instrument pensant de Son pouvoir,

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I incarnate Wisdom in an earthly breast, I am his conquering and unslayable will. The formless Spirit drew in me its shape; In me are the Nameless and the secret Name.” Death from the incredulous Darkness sent its cry: “O priestess in Imagination's house, Persuade first Nature's fixed immutable laws And make the impossible thy daily work. How canst thou force to wed two eternal foes? Irreconcilable in their embrace They cancel the glory of their pure extremes: An unhappy wedlock maims their stunted force. How shall thy will make one the true and false? Where Matter is all, there Spirit is a dream: If all are the Spirit, Matter is a lie, And who was the liar who forged the universe? The Real with the unreal cannot mate. He who would turn to God, must leave the world; He who would live in the Spirit, must give up life; He who has met the Self, renounces self. The voyagers of the million routes of mind Who have travelled through Existence to its end, Sages exploring the world-ocean's vasts, Have found extinction the sole harbour safe. Two only are the doors of man's escape, Death of his body Matter's gate to peace, Death of his soul his last felicity. In me all take refuge, for I, Death, am God.”

J’incarne la Sagesse dans un souffle terrestre, Je suis Sa volonté invincible et conquérante. L’Esprit essentiel a tracé en moi sa forme ; En moi sont l’Innommable et le Nom secret. »

Des Ténèbres incrédules, la Mort lança son cri : « O prêtresse dans la maison de l’Imaginaire, Persuade d’abord les lois fixes de la Nature Et fais de l’impossible ton travail quotidien. Comment marieras-tu deux ennemis éternels ? Irréconciliables jusque dans leur étreinte Ils annulent la pure gloire de leurs extrêmes : Une alliance malheureuse mutile leur force. Comment uniras-tu le vrai et le faux ? Là où la Matière est tout, l’Esprit est un rêve : Si tous sont l’Esprit, la Matière est un mensonge, Et qui était le menteur qui forgea l’univers ? Le Réel avec l’irréel ne peut s’accoupler. Lui qui se tourne vers Dieu doit laisser le monde ; Lui qui veut vivre dans l’Esprit renonce à la vie ; Lui qui a trouvé le Soi renonce à lui-même. Les voyageurs des millions de routes du mental Qui ont parcouru l’Existence jusqu’à sa fin, Les sages explorant les vastes de l’océan, N’ont trouvé que l’extinction pour havre final. Il y a pour l’homme deux issues seulement, La mort de son corps, de la Matière à la paix, La mort de son âme, son ultime félicité. En moi, la Mort, tous prennent refuge, car je suis Dieu. »

But Savitri replied to mighty Death: “My heart is wiser than the Reason's thoughts,

Mais Savitri répondit à la puissante Mort : « Mon cœur est plus sage que la Raison,

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My heart is stronger than thy bonds, O Death. It sees and feels the one Heart beat in all, It feels the high Transcendent's sunlike hands, It sees the cosmic Spirit at its work; In the dim Night it lies alone with God. My heart's strength can carry the grief of the universe And never falter from its luminous track, Its white tremendous orbit through God's peace.

Mon cœur est plus fort que tes liens, O Mort. Il voit et sent le même Cœur battre en tous, Il sent les mains radieuses du haut Transcendant, Il voit l’Esprit universel à son oeuvre ; Dans la Nuit il repose seul avec Dieu. Mon cœur peut porter le malheur de l’univers Sans jamais chanceler sur sa piste de lumière, Son orbite blanche dans la paix du Suprême. Il peut boire tout l’océan de la Joie Sans jamais perdre le blanc toucher de l’Esprit, Le calme qui règne dans le profond Infini. » La Mort dit alors : « Es-tu vraiment si forte, O cœur, O âme, si libre ? Et peux-tu donc ainsi cueillir Le plaisir de mes rameaux au bord du chemin, Et ne jamais vaciller du but de ton périple, Rencontrer le danger du monde sans défaillir ? Montre-moi ta force et ta liberté de mes lois. » Savitri répondit, « Sûrement je trouverai Dans le verdoyant murmure des bois de la Vie Des plaisirs chers à mon sein puisqu’ils sont les siens, Ou lui sont destinés, puisque nos joies sont unies. Et si je m’attarde, le Temps est à nous et à Dieu, Et si je tombe, sa main ne tient-elle pas la mienne ? Tout est un seul plan, chaque acte le long de la route Approfondit notre réponse, rapproche le but. » La Mort, le méprisant Nihil, lui répondit : « Prouve alors, devant les dieux sages, ta force absolue, Et choisis la joie terrestre ! Demande pour le soi Et reste libre pourtant de ses masques grossiers.

It can drink up the sea of All-Delight And never lose the white spiritual touch, The calm that broods in the deep Infinite.”

He said, “Art thou indeed so strong, O heart, O soul, so free? And canst thou gather then Bright pleasure from my wayside flowering boughs, Yet falter not from thy hard journey's goal, Meet the world's dangerous touch and never fall? Show me thy strength and freedom from my laws.” But Savitri answered, “Surely I shall find Among the green and whispering woods of Life Close-bosomed pleasures, only mine since his, Or mine for him, because our joys are one. And if I linger, Time is ours and God's, And if I fall, is not his hand near mine? All is a single plan; each wayside act Deepens the soul's response, brings nearer the goal.” Death the contemptuous Nihil answered her: “So prove thy absolute force to the wise gods, By choosing earthly joy! For self demand And yet from self and its gross masks live free.

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Then will I give thee all thy soul desires, All the brief joys earth keeps for mortal hearts. Only the one dearest wish that outweighs all, Hard laws forbid and thy ironic fate. My will once wrought remains unchanged through Time, And Satyavan can never again be thine.” But Savitri replied to the vague Power: “If the eyes of Darkness can look straight at Truth, Look in my heart and, knowing what I am, Give what thou wilt or what thou must, O Death. Nothing I claim but Satyavan alone.” Death bowed his sovereign head in cold assent: “I give to thee, saved from death and poignant fate Whatever once the living Satyavan Desired in his heart for Savitri. Bright noons I give thee and unwounded dawns, Daughters of thy own shape in heart and mind, Fair hero sons and sweetness undisturbed Of union with thy husband dear and true. And thou shalt harvest in thy joyful house Felicity of thy surrounded eves. Love shall bind by thee many gathered hearts. The opposite sweetness in thy days shall meet Of tender service to thy life's desired And loving empire over all thy loved, Two poles of bliss made one, O Savitri. Return, O child, to thy forsaken earth.” There was a hush as if of doubtful fates. As one disdainful still who yields a point

Alors te donnerai-je tout ce que tu désires, Toutes les joies qu’aux coeurs humains la terre réserve. Seul ce souhait le plus cher qui surpasse tous les autres,

Les lois interdisent, et ton ironique destin. Une fois faite, ma volonté jamais ne change, Et Satyavan ne pourra jamais te revenir. »

Mais Savitri répliqua au vague Pouvoir : « Si l’Ombre peut regarder droit la Vérité, Regarde dans mon cœur et, sachant ce que je suis, Donne ce que tu veux ou ce que tu dois donner. Je ne réclame rien d’autre que Satyavan. » Il y eut un silence, comme de sorts incertains. Dédaigneux encore, pourtant cédant un point, la Mort Inclina sa tête en un froid assentiment : « Je te donne, sauvé de la mort et du destin, Tout ce qu’une fois le vivant Satyavan Désira dans son cœur pour Savitri : Des midis radieux et des aurores indemnes, Des filles dignes de toi par le cœur et l’esprit, De beaux et nobles fils et la paisible douceur De l’union avec ton cher et fidèle époux. Et, dans ta joyeuse demeure, tu récolteras La fortune de tes soirs, entourée par les tiens. L’amour par toi liera de nombreux cœurs. Dans tes jours s’allieront les douceurs opposées Du tendre service aux élus de ta vie Et de l’empire sur ceux qui t’appartiennent, Deux pôles de joie réunis, O Savitri. Retourne, O enfant, à ta terre délaissée. »

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