La Presse Bisontine 98 - Avril 2009

L’INTERVIEW DU MOIS

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La Presse Bisontine n° 98 - Avril 2009

Indigne Oui, la prison est une sanction néces- saire et doit le demeurer. Cependant, elle doit être utilisée comme ultime recours. Ce credo, cʼest aujourdʼhui Rachida Dati en personne qui le sou- tient alors que sʼouvrent les débats rela- tifs au projet de loi pénitentiaire. Mais pour lʼinstant, les chiffres ne sont pas vraiment à lʼunisson de ces belles convic- tions. Avec près de 64 000 détenus en France - pour 52 000 places environ - les prisons françaises nʼont jamais été aussi pleines quʼaujourdʼhui. En consé- quence du discours sécuritaire et popu- laire ambiant se trame une réalité bru- tale en forme dʼimpasse. Car quiconque a déjà eu lʼoccasion de visiter une pri- son ou de côtoyer des détenus ne peut nier cette évidence : le système carcé- ral français, tel quʼil subsiste, est indigne. Il nʼest autre quʼune fabrique à grande échelle de récidivistes. Le système car- céral qui mélange encore, surpopula- tion oblige, simples prévenus délin- quants routiers et trafiquants récidivistes, lʼétat de vétusté de la plupart des pri- sons françaises, la quasi-absence dʼactions de réinsertion… Cʼest le sys- tème carcéral tout entier qui porte les signes de lʼéchec. Or, lʼétat de droit ne doit pas sʼarrêter pas aux portails des prisons. Vérifions lʼétat de délabrement de certaines cellules de la prison de Besançon - et celle-ci est loin dʼêtre la pire - et pensons un instant à la possi- bilité pour un détenu qui y séjourne dʼentrevoir lʼespoir dʼune vie meilleure après : cʼest quasiment impossible. La hausse générale de la délinquance ne peut trouver de réponse satisfaisante dans la hausse générale du nombre dʼincarcérations. Si pour certaines infrac- tions la prison doit et ne peut rester que le seul moyen de rendre justice et “dʼindemniser” la société, pour une gran- de majorité des cas, elle nʼest pas la réponse adéquate. Plus de la moitié des personnes incarcérées en France le sont pour des peines inférieures à un an. Pour ces petits délinquants, dʼautant plus perméables à la récidive quʼils côtoient en prison leurs semblables, lʼincarcération nʼest pas une solution. Laquelle proposer ? Cʼest tout lʼenjeu de cette prochaine loi. Sans parler - mais pourquoi ne pas le faire ? - du coût social du système carcéral en France où chaque détenu coûte, selon les éta- blissements, jusquʼà 150 euros par jour au contribuable. Le système péniten- tiaire français a vécu. Jean-François Hauser Éditorial

DÉBAT

Il devait se produire à Besançon

Dieudonné : “Il faut rire de toute urgence”

Actuellement, l’humoriste Dieudonné participe à une série de conférences dont le thème est… la liberté d’expression. Critiqué pour ses provocations à répétitions, il répond à nos questions sans tabous. Mais toujours sur le fil… L a Presse Bisontine : Vous participez à des conférences sur la liberté d’expression. Avez-vous le sentiment qu’on ne respecte pas votre liberté d’artiste ? Dieudonné : Je suis pour une liberté d’expression tota- le. Je suis très attaché à cette dimension. C’est un sujet qui me parle car il est au cœur de notre démo- cratie. Mais où s’arrête cette liberté ? Qui déter- mine les limites ? Je ne le sais pas. Le droit doit-il arbitrer tous les débats qui tournent autour de l’humour ? Dans ce cas, nous n’avons pas fini. On me dit parfois que les mots peuvent faire encore plus mal que les coups. Ceux qui pensent cela, je les invite à venir m’insulter et en réponse je leur donnerai un crochet dans le foie comme j’ai pu en recevoir, et nous verrons. L.P.B. : La plupart des médias vous fustigent. S’agit-il selon vous d’acharnement ? Dieudonné : Certains médias ont besoin comme dans des scénarios hollywoodiens de méchants et de gen- tils. Je serais le vilain méchant. J’assume car l’humoriste est le baromètre de cette liberté d’expression. Si l’on s’en prend au baromètre, c’est pour ne pas voir la réalité des choses. C’est un phé- nomène qui doit nous inquiéter car la liberté d’expression est le baromètre de la démocratie. L.P.B. : Cependant, comment doit-on interpréter le fait que vous invitiez sur la scène du Zénith Robert Faurisson, criti- qué pour ses théories négationnistes à qui vous remettez le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ? Dieudonné : C’est une performance humoristique his- torique. Elle est étonnante et remarquable. J’entre dans l’histoire par le vide-ordures. Chaque humo- riste a son style, le mien est contemporain. Je pen- se qu’il fait école. Je reste une référence pour les générations qui arrivent et les précédentes. Il n’y a pas eu de trouble public à l’issue du spectacle au Zénith, mais il y a eu un trouble de la pensée unique.

Dieudonné s’attaque aux tabous et défend une liberté d’expression sans limites.

munautaristes, qu’il s’agisse de catho- liques, de musulmans, sionistes, sans entretenir la haine de l’autre. L.P.B. : Hillary Clinton plaide pour la création d’un État palestinien. Êtes-vous satisfait de cette initiative ? Dieudonné : C’est comme si elle disait que la terre est ronde. J’ai envie de lui dire qu’elle s’occupe d’abord des États-Unis où la situation est explo- sive. Derrière le voile hollywoodien, il y a une situation de crise. Ce pays n’est pas viable à 20 ans. L.P.B. : Mais elle a rencontré le président palestinien Mahmoud Abbas ? Dieudonné : C’est Hollywood. Si elle veut un État palestinien, elle n’a qu’à commencer par travailler avec le

il que jusque dans la mémoire de cette souffrance on ait le droit d’être humilié ? Il y a deux poids deux mesures. C’est un droit de reconnaître un génoci- de. L’État français a reconnu la traite des noirs comme crime contre l’humanité. L.P.B. : La persécution des noirs n’aurait donc pas la même résonance que la persécution des juifs dans l’approche que nous avons de l’histoire. Est-ce cela que vous cherchez à dénoncer ? Dieudonné : Je m’inscris dans une zone d’inspiration qui exerce des pressions sur les tabous les plus pro- fonds. Le danger aujourd’hui est le communauta- risme plus que le racisme. L.P.B. : Pensez-vous que votre message est compris à tra- vers votre travail alors que le public a lui-même du mal à savoir si vous êtes encore humoriste, provocateur, si vous faites de la politique où si vous êtes conférencier ? Dieudonné : Peut-être qu’on n’a pas envie d’entendre ce message. L.P.B. : D’autres humoristes avant vous ont fait rire avec des références dans leurs sketches à des personnages noirs où juifs. Quand vous étiez en duo avec Élie Semoun, vous vous êtes également aventurés sur ce terrain-là. Les humoristes se sont-ils assagis, ou alors faut-il comprendre qu’on ne peut pas rire de tous ces sujets sans heurter ? Dieudonné : Les humoristes sont des citoyens. Ils sont dans la crise qui touche tous les secteurs de la socié- té. Certains se sont embourgeoisés et ont délaissé la scène. Il y en a qui sont très drôles. Mais peu se lancent aujourd’hui dans un travail de laboratoire comme je le fais. Je ne prétends pas détenir la véri- té. L.P.B. : Quelle image pensez-vous que le public a de vous aujourd’hui ? Dieudonné : Un homme de scène ne doit pas s’intéresser à l’image qu’il renvoie. Il doit observer la profon- deur de son travail à travers les réactions et les rires qu’il suscite. Les gens ressortent de mes spec- tacles très enthousiastes. C’est comme devant un tableau ou devant une sculpture, les réactions sont différentes. L.P.B. : Après le Zénith, quel genre de spectacle préparez- vous ? Dieudonné : En 2009, il y aura une performance que j’espère à la hauteur et à la mesure des autres. L’idée est de ne pas être redondant. Je ne pense pas être monomaniaque. Les tabous m’intéressent dans la limite de la légalité. Je provoque tous les com-

Hamas en lui donnant les moyens de se défendre. Toutefois, en tant qu’anti-militariste profond, je ne veux pas croire que l’on puisse trouver une solu- tion au confit israélo-palestinien par les armes. L.P.B. : C’est quoi le monde idéal pour Dieudonné ? Dieudonné : Il viendra après ce que nous vivons actuel- lement. Notre système est en fin de course. Pour moi, le monde idéal est un monde mystérieux. L.P.B. : Et de paix évidemment ? Dieudonné : La paix est la phase ultime de maturité d’une société. L.P.B. : Depuis vos différents démêlés avec la justice, vos amis du show-business ont pris leurs distances avec vous ? Dieudonné : Il y a des gens qui ont peur. C’est com- me dans une société, quand le patron gronde, les employés font profil bas. L.P.B. : Reverra-t-on un jour le duo Semoun-Dieudonné sur scène ? Dieudonné : Tout est possible. Si nous sommes dans une posture où l’on peut faire rire, alors pourquoi se priver. Il faut rire de toute urgence. L.P.B. : Allez-vous écrire un livre dans lequel vous pourriez expliquer clairement votre opinion ? Dieudonné : J’y ai pensé. J’écris beaucoup pour la scè- ne. Un livre prend du temps. Lorsque l’on a une famille de cinq enfants, il faut bosser pour vivre. Je ne suis pas un bourgeois de l’humour. Propos recueillis par T.C.

L.P.B. : Mais vos propos et vos manières de faire peuvent heurter ! Dieudonné : À chaque fois que j’ai pu heurter, je m’en suis excusé. Je l’ai fait de bonne foi. L.P.B. : Reconnaissez-vous que vos pro- vocations peuvent choquer, notamment les juifs ? Dieudonné : Les quelques saillies humoristiques ne s’adressaient pas aux juifs de France, mais aux sol- dats israéliens. On peut toujours penser que des enfants palestiniens brûlés au phosphore sont des agres- seurs, mais on peut penser aussi qu’il s’agit là d’un génocide. L.P.B. : Que cherchez-vous à mettre en exergue ? Dieudonné : Nous sommes dans un système qui voudrait mettre les chambres à gaz comme étant l’élément historique au-dessus de tout alors que d’autres éléments aussi incontestables sont contes- tés. Ce qui est le cas de Gorée, une île classée par l’Unesco. Ceux qui prétendent qu’aucun esclave noir n’est passé par Gorée défendent une théorie que l’on peut qualifier de révisionniste. Comment se fait-

“Je provoque

tous les commu- nautaristes.”

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