La Presse Bisontine 105 - Décembre 2009

La Presse Bisontine n° 105 - Décembre 2009

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RÉTROSPECTIVE Ministère contre procureur 10 années d’interrogations Les faits remontent entre 1998 et 2001 et c’est en 2002 qu’une partie du personnel soignant met en cause des médecins du service réanimation chirurgicale en dénonçant leurs pratiques. S’en est suivie une longue période d’enquêtes et de rapports. Rappel des faits.

DÉBAT

Pas de “suicide assisté”

La loi ne règle pas tout Depuis les pratiques incriminées du C.H.U. de Besançon, la législation a évolué. Mais la loi Léonetti de 2005 ne règle pas tout. Le débat est toujours ouvert.

C omme une thérapie ou un exu- toire, une dizaine de person- nels soignants du C.H.U. s’étaient livrés longuement début 2003 à l’hebdomadaire L’Express. En racontant comment il leur était devenu de plus en plus difficile de suivre les prescriptions de certains médecins du service de réanimation chirurgica- le à destination des patients en fin de vie. À cette époque et jusqu’à sa des-

2001 que ces personnels, infirmiers pour la plupart, se sont résolus à dénon- cer aux autorités sanitaires (D.R.A.S.S. de Franche-Comté), les actes d’euthanasie pratiqués au C.H.U. entre 1998 et 2001. Et c’est sur la base de ces témoignages concordants que le directeur de la D.R.A.S.S. de l’époque, JackAlzon, décide d’ouvrir une enquê- te. Début 2002, deux médecins de la direc- tion régionale des affaires sanitaires et sociales et un médecin de la D.D.A.S.S. mènent l’enquête au sein même du C.H.U. Minjoz. En avril 2002, ils rendent leur rapport qui parle “d’accélérations de fin de vie.” Quelques semaines plus tard, suite à une saisine commune des ministres de la Santé et de l’Emploi, l’Inspection générale des affaires sociales (I.G.A.S.) lance à son tour une enquête dont les conclusions seront rendues en sep- tembre 2002. Du 22 au 24 mai et du 28 au 30 mai, deux inspecteurs se ren- dent au C.H.U. Leur mission : en savoir

plus sur “le problème de fond du fonc- tionnement de l’anesthésie-réanima- tion chirurgicale du C.H.U. de Besan- çon, existant indépendamment des responsabilités individuelles mises en cause dans ce conflit.” Suite à cela, la D.R.A.S.S. demande à la justice de s’emparer de l’affaire. Le procureur de l’époque, Jean-Pierre Nahon ouvre une enquête préliminai- re. Deux ans plus tard, son successeur, Jean-Yves Coquillat, fait expertiser les dossiers par un expert lyonnais. “Le procureur informe alors la chancelle- rie qu’il va clore l’affaire. Et c’est le ministère qui ordonne d’ouvrir une information judiciaire” raconte une source proche de ce dossier. L’information judiciaire est ouverte début juillet 2007 et c’est le 13 juin 2008 que les deux experts parisiens sont nommés. Cette longue période d’investigations est bientôt terminée, après plus de 10 années d’interrogations. J.-F.H.

titution en 2003, c’est Annie Boillot qui était à la tête de ce service où les conflits relationnels étaient devenus de plus en plus difficiles à gérer. Depuis, cette prati- cienne a été desti- tuée de la chefferie, elle exerce toujours néanmoins au C.H.U. bisontin en tant qu’anesthésiste. C’est à l’automne

“Accélérations de fin de vie.”

Suite à la loi Léonetti, le législateur réfléchit à l’instauration d’un meilleur recours à la sédation terminale, qui permet d’endormir doucement un patient.

L a loi Léonetti du 22 avril 2005 instaure le principe du “laisser mourir”. Elle avait été adoptée suite à la retentissante affaire “Vincent Humbert”, du nom de ce jeune tétraplégique que sa mère avait aidé à mourir. En résumé, la loi Léonetti interdit tout achar- nement thérapeutique et auto- rise le “laisser mourir” quand les patients refusent la pour- suite des traitements. Cette tolérance ouverte par la loi per- met aux médecins de soulager la douleur au risque d’entraîner la mort. Mais quid des patients qui ne peuvent pas être guéris, qui sont conscients et qui désirent qu’on leur donne la mort ? La situation désespérée de la Dijon- naise Chantal Sébire a mis en lumière l’an dernier ce cas de figure que la loi ne règle pas.

Suite à cette douloureuse affai- re médiatisée à outrance, le gou- vernement a décidé une nou- velle mission de réflexion sur la fin de vie. Mais le législateur n’a pas voulu aller plus loin que ce que la loi Léonetti avait ins- tauré, refusant le principe du “suicide assisté”. À Besançon, le cas de figure est encore différent. Selon les pre- miers éléments de l’enquête, l’avis éclairé du patient, voire de sa famille et la prise de déci- sion collégiale du corps médi- cal n’auraient pas été réunis. En l’espèce, la loi Léonetti n’y change rien. Les cas bisontins d’accélération de fin de vie, s’ils sont confirmés, entreraient selon toute vraisemblance sous le vocable d’euthanasie. Acte en soi toujours interdit par la loi.

Le rapport de l’Inspection général des affaires sociales a été rendu en septembre 2002.

J.-F.H.

TRAUMATISME Le service “a récupéré” Le service “réa” a pansé ses plaies

L’affaire avait provoqué un véritable électrochoc au sein du service de réanimation chirurgicale. L’arrivée d’un nouveau chef de service a remis de l’ordre.

aujourd’hui au C.H.U. Minjoz. Les problèmes “d’ordre organisationnel et relationnel” selon les termes de l’I.G.A.S. semblent aujourd’hui résolus. Les pro- blèmes relationnels, selon nos informa- tions, seraient nés de certaines proposi- tions de l’ancien chef de service, jugées “tendancieuses” , qui auraient poussé “des agents à solliciter la direction de l’hôpital et remettre en cause les systèmes de nota- tion mis en place au sein du service.” Le personnel a tenu bon. Et c’est “un mou- vement de grève provoqué par des agents du service” qui a tout déclenché. Les Renseignements généraux auraient averti le préfet de ce mouvement de grè- ve alors qu’il était en déplacement avec JackAlzon, le directeur de la D.R.A.S.S. de l’époque, dans le même véhicule. Et c’est à l’initiative de la D.R.A.S.S. que la première enquête a été déclenchée.

L a crise née à l’aube des années 2000 “a été dévastatrice au plan des rela- tions professionnelles” constate le rapport de l’I.G.A.S. (inspection généra-

miers ont demandé à changer de services, d’autres ont même quitté la région, trop marqués par cette affaire” selon une sour- ce hospitalière bisontine. Aujourd’hui, on continue à tout faire pour oublier cette période. Aucun personnel soignant n’a d’ailleurs souhaité com- menter à visage découvert ce sombre épi- sode. Mais une chose est sûre : le servi- ce de “réa-chir” a pansé ses plaies. “Le service de réanimation a récupéré. Il fonc- tionne correctement et suit la réglemen- tation en vigueur. Il s’est passé des choses sérieuses dans ce service, désormais la justice gère le dossier. On attend les conclu- sions et nous tirerons toutes les consé- quences en temps voulu” commente-t-on

le des affaires sociales) que nous nous sommes procuré. Depuis la nomination du professeur Boillot (remplacée depuis par le professeur Emma- nuel Samain), la ten- sion grandissante avait d’ailleurs pro- voqué des demandes de mutations. “Cer- tains personnels infir-

Les Renseignements généraux avaient averti le préfet.

Les services de réanimation chirurgicale gèrent les techniques permettant de maintenir en vie une personne accidentée ou gravement malade.

J.-F.H.

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