Journal C'est à dire 252 - Mars 2019

D O S S I E R

Quelques notes d’espoir dans une volière jurassienne de plus en plus vide Charquemont Rompue aux comptages d’oiseaux et chargée de gérer une pelouse sèche vers les Échelles de la Mort, l’association des Gazouillis du plateau déplore elle aussi l’effondrement des effectifs d’oiseaux nicheurs tout en constatant le retour ou le maintien d’une biodiversité digne de ce nom sur quelques zones préservées.

F ondée au milieu des années quatre-vingt- dix sous l’impulsion de Gilles Robert, François Boinay et Noël Jeannot, actuel président, cette association fédère environ 40 membres dont une douzaine

d’actifs. “On a engagé il y a 17 ans une action de défrichement sur une pelouse sèche située au lieu-dit Chez France juste au- dessus des Échelles de la Mort. Cet espace est pâturé par des ânes. Au fil des ans, la nature a repris ses droits. On a vu revenir

de belles plantes assez rares dont une douzaine d’orchidées, sans oublier des tas d’insectes. La ges- tion de cet espace fait aujourd’hui l’objet d’une convention tripartite entre la commune de Charque- mont, les Gazouillis du plateau et le Conservatoire des Espaces

Hôte des lacs jurassiens en hiver, le fuligule morillon tend désormais à se sédentariser dans le nord de l’Europe.

mant. 40 % des espèces nicheuses de Franche-Comté sont menacées de disparition. Si la forêt est relativement épar- gnée, ce n’est pas le cas des milieux agricoles, derniers de la classe suivis de près par les zones humides. Les raisons de cette extinction sont connues : urbanisation galopante, arra- chage des haies, suppression des murets et des mares qui rédui- sent d’autant les habitats où les oiseaux peuvent nicher et se reproduire.Dans lemême temps, les insectes dont se nourrissent insecte, et les herbicides qui éli- minent les plantes et cortèges d’invertébrés associés. Ces pro- duits font aussi disparaître les “mauvaises herbes” et privent donc les granivores des res- sources alimentaires suffisantes pour nourrir leurs jeunes. Résul- tat, la population d’hirondelle rustique a diminué de moitié en 30 ans. L’impact du réchauffement cli- matique pénalise certaines espèces. La grive litorne qui se nourrit de vers de terre n’arrive plus à trouver de ressource ali- mentaire. La sécheresse oblige les vers à descendre à des pro- les oiseaux se raréfient de façon spectaculaire. À cela, deux causes : les néonicotinoïdes qui n’épargnent aucun

fondeurs inaccessibles pour l’oi- seau. “On ne voit plus de merle à plastron nicher dans le Jura. On note aussi des phénomènes de désynchronisation entre les espèces” ajoute Noël Jeannot. Le chêne fait aujourd’hui ses bourgeons avec deux semaines d’avance, ce qui oblige un papillon comme la phalène à pondre 15 jours plus tôt pour que ses chenilles puissent man- ger les bourgeons de chêne.Mais la mésange charbonnière qui nourrit ses petits avec les che- nilles de la phalène ne pond pas ingérées par les jeunes mésanges. Le même problème se pose pour d’autres oiseaux comme le gobe-mouches noir en régression dramatique dans le massif du Jura. Disparition d’insectes, de la flore, des oiseaux, tout est lié et le printemps s’annonce déjà bien silencieux. “Je ne comprends pas pourquoi il faudrait placer les intérêts de l’espèce humaine au- dessus de tout. L’homme doit assumer sa responsabilité à l’égard de tous les êtres vivants” , estime l’amoureux de la nature. n F.C. quinze jours en avance. Or dans l’in- tervalle, lesdites che- nilles sont devenues trop grosses pour être

naturels de Franche-Comté. On les sollicite pour qu’il nous accompagne sur ce projet témoin de l’incroyable retour de la bio- diversité” , explique Noël Jeannot qui cite par exemple le retour de la Bacchante, une espèce dans la liste rouge des papillons de jour en France métropolitaine. L’ornithologue évoque aussi la découverte fortuite du criquet à capuchon (Tetrix Bipunctata) sur l’un des rares pré-bois du Haut-Doubs Horloger situé au lieu-dit Chez Louisot sur la com- mune de Fournet-Blancheroche. “Même si globalement tout se casse la figure, il reste encore des îlots de biodiversité qu’on peut préserver si on se mobilise.” Voilà pour les rares signes d’espoir. Association engagée, membre du collectif de sauvegarde des paysages jurassiens, les Gazouil- lis du plateau effectuent depuis 34 ans des comptages d’oiseaux sur le lac de Biaufond. Ils arri- vaient à identifier jusqu’à 100 fuligules morillons en hivernage dans les eaux du lac. “Avec le réchauffement climatique, ces canards plongeurs restent sur les zones de nidification dans les lacs scandinaves où ils exer- cent d’ailleurs une pression ali- mentaire qui n’est pas sans consé- quences. Cet hiver, on a compté tout au plus une dizaine d’indi- vidus à Biaufond.” Constat alar-

“Il reste des îlots de biodiversité.”

En Franche- Comté, il resterait tout au plus une dizaine de cou- ples connus de Traquet Motteux nichant exclusive- ment en altitude. Le “motteux” subit les effets de l’intensification des pratiques agricoles et l’abandon des terres les moins rentables.

Plus de 40 % des espèces nicheuses en Franche-Comté menacées de disparition Oiseaux

75 espèces sur 181 évaluées par la L.P.O. de Franche-Comté figurent désormais sur la liste rouge des oiseaux nicheurs en Franche-Comté publiée en 2017. L’effet conjugué d’une perte de biodiversité et du réchauffement climatique explique en grande partie ce constat inquiétant et durable.

l’expansion de la chouette hulotte qui s’étend en altitude au détriment de la petite chouette de Tengmalm qui peut d’ailleurs lui servir de repas. Certaines espèces inféodées au froid comme le Grand Tétras se réfugient dans les zones les plus élevées mais le massif du Jura a ses limites altitu- dinales. Attention. Les 75 espèces d’oiseaux nicheurs menacées de disparition en Franche- Comté se répartissent en trois caté- gories : 31 sont en danger critique, 16 en danger et 28 sont dites vulnérables. Les milieux humides concentrent à elles seules plus d’un tiers des espèces menacées de disparition. “Ces zones sont très sensibles. Les ornithologues du Haut-Doubs s’inquiètent du sort

Mise à part pour quelques espèces opportunistes, la population globale d’oiseaux tend à se réduire. Une baisse d’effectif qu’on observe aussi pour des espèces communes comme le chardon- neret, le moineau, l’hirondelle…“ Avec la banalisation des milieux agricoles, forestiers, humides, on perd également de nombreuses espèces d’oiseaux spé- cialisés. On pourrait citer le cas du merle à plastron qui a pratiquement disparu des prébois du Haut-Doubs” , poursuit Léa Chalvin. Impossible aussi de nier l’impact du réchauffement climatique qui favorise certaines espèces au détriment d’au- tres. Des espèces de plaine arrivent en montagne. Elles entrent alors en concurrence avec d’autres. Et de citer

de la bécassine des marais surtout quand on sait que la Franche-Comté abrite 30 % de la population nicheuse en France” , note Léa Chalvin qui ne comprend donc pas qu’une telle espèce soit encore chassable. Même sort pour le vanneau huppé qui niche principalement dans les prairies inondées et dont la population comtoise a diminué de 75 % en 14 ans tout en restant chassable encore aujourd’hui. Deux notes d’espoir au tableau de ce diagnostic inquiétant avec le retour confirmé de l’aigle royal en tant que nicheur dans le sud du massif juras- sien. La Franche-Comté accueille éga- lement le seul couple nicheur d’aigle pomarin connu en France. n

E ntre la liste parue en 2008 et celle de 2017, difficile de se prêter au jeu des compa- raisons car la dernière liste s’appuie sur une méthode d’évaluation différente, à savoir la démarche recon- nue de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. “En 2017, on a beaucoup moins d’espèces classées par exemple en catégorie “données insuffisantes”. On bénéficie aujourd’hui

d’une grosse amélioration de la connais- sance qui permet d’avoir le statut précis de nombreuses espèces. La situation en Franche-Comté n’est pas unique car on retrouve le même taux d’espèces en danger en Bourgogne et en Suisse” , confirme Léa Chalvin, chargée d’étude à la Ligue de protection des oiseaux (L.P.O.) de Franche-Comté. 36 % des espèces menacées en Franche-Comté le sont aussi au niveau national.

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