Savitri - Book Two - Canto 3

B OOK T WO – C ANTO 3 – T HE G LORY AND THE F ALL OF L IFE L IVRE D EUX – C HANTE 3 – L A G LOIRE ET LA C HUTE DE LA V IE

SAVITRI S RI A UROBINDO

French translation by: Divakar Jeanson www.divakar-publications.com

BOOK TWO - The Book of the Traveller of the Worlds

LIVRE DEUX - Le Livre du Voyageur des Mondes

Canto Three - The Glory and the Fall of Life

Chant Trois – La Gloire et la Chute de la Vie

An uneven broad ascent now lured his feet. Answering a greater Nature's troubled call He crossed the limits of embodied Mind And entered wide obscure disputed fields Where all was doubt and change and nothing sure, A world of search and toil without repose. As one who meets the face of the Unknown, A questioner with none to give reply, Attracted to a problem never solved, Always uncertain of the ground he trod, Always drawn on to an inconstant goal He travelled through a land peopled by doubts In shifting confines on a quaking base. In front he saw a boundary ever unreached And thought himself at each step nearer now,— A far retreating horizon of mirage. A vagrancy was there that brooked no home, A journey of countless paths without a close. Nothing he found to satisfy his heart; A tireless wandering sought and could not cease. There life is the manifest Incalculable, A movement of unquiet seas, a long And venturous leap of spirit into Space, A vexed disturbance in the eternal Calm, An impulse and passion of the Infinite. Assuming whatever shape her fancy wills, Escaped from the restraint of settled forms

Une ascension inégale attira ses pas. A l’appel troublé d’une Nature plus grande Il franchit les limites du Mental incarné Et pénétra des champs obscurs et disputés Où tout était fluctuant et rien n’était sûr, Un monde de quête et de labeur sans repos. Tel celui qui se trouve devant l’Inconnu, Un questionneur sans personne pour lui répondre, Captivé par un problème jamais résolu, Toujours incertain du terrain parcouru, Toujours entraîné vers un but inconstant, Il traversait un pays peuplé par des doutes, Aux confins instables, sur une base tremblante. Sans cesse il se déplaçait vers une lisière Dont il se croyait plus près à chaque pas, - Un horizon de mirage reculant au loin. C’était une errance qui refusait un foyer, Un périple de chemins sans nombre et sans fin. Il ne trouvait rien pour satisfaire son cœur ; C’était une quête inlassable sans une issue. La vie est là l’Incalculable manifeste, Un mouvement de mers agitées, un long Saut hasardeux de l’esprit dans l’Espace, Un tumulte irrité dans le Calme éternel, Une passion impulsive de l’Infini. Son humeur dictant l’aspect qu’elle revêt, Elle a fui la contrainte des formes établies,

She has left the safety of the tried and known. Unshepherded by the fear that walks through Time, Undaunted by Fate that dogs and Chance that springs, She accepts disaster as a common risk; Careless of suffering, heedless of sin and fall, She wrestles with danger and discovery In the unexplored expanses of the soul. To be seemed only a long experiment, The hazard of a seeking ignorant Force That tries all truths and, finding none supreme, Moves on unsatisfied, unsure of its end. As saw some inner mind, so life was shaped: From thought to thought she passed, from phase to phase, Tortured by her own powers or proud and blest, Now master of herself, now toy and slave. A huge inconsequence was her action's law, As if all possibility must be drained, And anguish and bliss were pastimes of the heart. In a gallop of thunder-hooved vicissitudes She swept through the race-fields of Circumstance, Or, swaying, she tossed between her heights and deeps, Uplifted or broken on Time's inconstant wheel. Amid a tedious crawl of drab desires She writhed, a worm mid worms in Nature's mud, Then, Titan-statured, took all earth for food, Ambitioned the seas for robe, for crown the stars And shouting strode from peak to giant peak, Clamouring for worlds to conquer and to rule. Then, wantonly enamoured of Sorrow's face,

La sécurité du connu et de l’éprouvé. Libre de l’escorte de la peur, indifférente Au Destin qui harcèle, à la Chance qui surgit, Elle accepte le désastre comme un risque ; Ignorant la souffrance, le pêché et la chute, Elle lutte avec le danger et la découverte Dans les aires inexplorées de l’âme cosmique. Etre ne semblait qu’une longue expérience, Le hasard d’une Force aveugle qui essaye Toutes les vérités, n’en trouve aucune suprême, Et poursuit son chemin, mal assurée de sa fin. Façonnée selon un certain mental intérieur, De pensée en pensée, de phase en phase elle allait, Tantôt torturée, tantôt orgueilleuse et bénie, Maîtresse d’elle-même, ou jouet et esclave. Une énorme inconséquence gouvernait ses actes, Comme si tout le possible devait s’épuiser, Et angoisse et bonheur étaient des jeux pour le cœur. Dans un tonnerre et un galop de vicissitudes Elle balayait les champs de la Circonstance, Ou chancelait, entre ses fonds et ses sommets, Soulevée ou brisée sur la roue du Temps. En une lente reptation de mornes désirs Elle se tordait comme un ver dans la boue, Puis, dressée comme un Titan, dévorait la terre, S’enrobait des mers, se couronnait des étoiles, Hurlante enjambait cime après cime géante, Réclamant toujours d’autres mondes à dominer. Puis, lascivement éprise des yeux du Malheur, Elle plongeait dans l’angoisse des profondeurs Et, vautrée, s’agrippait à sa propre misère. En triste entretien avec son être dissipé

She plunged into the anguish of the depths And, wallowing, clung to her own misery. In dolorous converse with her squandered self

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She wrote the account of all that she had lost, Or sat with grief as with an ancient friend. A romp of violent raptures soon was spent, Or she lingered tied to an inadequate joy Missing the turns of fate, missing life's goal. A scene was planned for all her numberless moods Where each could be the law and way of life, But none could offer a pure felicity; Only a flickering zest they left behind Or the fierce lust that brings a dead fatigue. Amid her swift untold variety Something remained dissatisfied, ever the same And in the new saw only a face of the old, For every hour repeated all the rest And every change prolonged the same unease. A spirit of her self and aim unsure, Tired soon of too much joy and happiness, She needs the spur of pleasure and of pain And the native taste of suffering and unrest: She strains for an end that never can she win. A perverse savour haunts her thirsting lips: For the grief she weeps which came from her own choice, For the pleasure yearns that racked with wounds her breast; Aspiring to heaven she turns her steps towards hell. Chance she has chosen and danger for playfellows; Fate's dreadful swing she has taken for cradle and seat. Yet pure and bright from the Timeless was her birth, A lost world-rapture lingers in her eyes, Her moods are faces of the Infinite:

Elle dressait le compte de toutes ses pertes, Ou fréquentait son vieil ami le chagrin. Une orgie d’ivresses violentes vite épuisée, Elle s’attardait à une joie inadéquate, Et manquait son but et sa destinée.

Une scène était conçue pour tous ses états Où chacun d’eux serait loi et mode de vie, Mais aucun ne pouvait offrir la félicité ; Ils ne laissaient derrière eux qu’une saveur instable Ou la jouissance brutale que suit la fatigue. Dans toute cette variété immédiate Quelque chose d’insatisfait, d’inchangé, Dans le nouveau ne voyait qu’un masque de l’ancien, Car chaque heure répétait toutes les autres Et chaque changement prolongeait le malaise. Incertaine d’elle-même comme de son but, Se lassant vite de la joie et du bonheur, Il faut que le plaisir ou la douleur l’éperonne, Il lui faut le goût de la souffrance et du trouble : Elle se tend vers ce qu’elle ne peut obtenir. Un relent pervers hante ses lèvres assoiffées : Elle pleure pour la peine qui vint de son choix, Désire le plaisir qui tortura sa poitrine ; Elle aspire au ciel et tourne ses pas vers l’enfer. La chance et le danger elle a pris pour camarades, La balance du destin pour berceau et pour siège. Pure et lumineuse pourtant fut sa naissance, Une extase cosmique est encore dans ses yeux, Ses états sont des visages de l’Infini :

Beauty and happiness are her native right, And endless Bliss is her eternal home.

Le bonheur et la beauté forment son droit, Et la Béatitude est sa demeure éternelle.

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This now revealed its antique face of joy, A sudden disclosure to the heart of grief Tempting it to endure and long and hope. Even in changing worlds bereft of peace, In an air racked with sorrow and with fear And while his feet trod on a soil unsafe, He saw the image of a happier state. In an architecture of hieratic Space Circling and mounting towards creation's tops, At a blue height which never was too high For warm communion between body and soul, As far as heaven, as near as thought and hope, Glimmered the kingdom of a griefless life. As on a fretted ceiling of the gods, An archipelago of laughter and fire, Swam stars apart in a rippled sea of sky. Towered spirals, magic rings of vivid hue And gleaming spheres of strange felicity Floated through distance like a symbol world. On the trouble and the toil they could not share, On the unhappiness they could not aid, Above him in a new celestial vault Other than the heavens beheld by mortal eyes,

Et cet antique visage de sa joie soudain Se dévoila pour le cœur du malheur, L’invitant à endurer, vouloir, espérer. Même en ces mondes changeants privés de la paix, Dans un air déchiré par le chagrin et la peur Et tandis que ses pieds foulaient un sol incertain, Il voyait l’image d’un état plus heureux. Dans l’architecture d’un Espace hiératique Montant en cercles vers les sommets du créé, A une hauteur bleutée jamais trop élevée Pour la tendre communion de l’âme et du corps, Distant comme le ciel, proche comme l’espérance, Scintillait le royaume d’une vie sans malheur. Au-dessus, dans une voûte céleste nouvelle Autre que les cieux que contemplent nos yeux, Tel un dôme ouvragé dans la demeure des dieux, Ou comme un archipel de rire et de feu, Des étoiles flottaient dans l’espace ondoyant. Hautes spirales et anneaux de couleur Et sphères luisantes d’un étrange bonheur, Elles planaient au loin comme un monde symbole. Sur le trouble qu’elles ne pouvaient partager, Sur la détresse qu’elles ne pouvaient secourir, Etrangères à l’effort douloureux de la vie, Immaculées par sa colère, son ombre et sa haine, Leurs vastes plans portaient un regard impassible, A jamais bienheureux en leur droit éternel. Absorbées dans leur propre contenu et beauté, De leur joie immortelle elles vivent assurées. Plongées dans leur gloire elles brûlaient à l’écart, Immergées dans une brume irradiante,

Impervious to life's suffering, struggle, grief, Untarnished by its anger, gloom and hate, Unmoved, untouched, looked down great visioned planes

Blissful for ever in their timeless right. Absorbed in their own beauty and content, Of their immortal gladness they live sure. Apart in their self-glory plunged, remote Burning they swam in a vague lucent haze,

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An everlasting refuge of dream-light, A nebula of the splendours of the gods Made from the musings of eternity. Almost unbelievable by human faith, Hardly they seemed the stuff of things that are. As through a magic television's glass Outlined to some magnifying inner eye They shone like images thrown from a far scene Too high and glad for mortal lids to seize. But near and real to the longing heart And to the body's passionate thought and sense Are the hidden kingdoms of beatitude. In some close unattained realm which yet we feel, Immune from the harsh clutch of Death and Time, Escaping the search of sorrow and desire, In bright enchanted safe peripheries For ever wallowing in bliss they lie. In dream and trance and muse before our eyes, Across a subtle vision's inner field, Wide rapturous landscapes fleeting from the sight, The figures of the perfect kingdom pass And behind them leave a shining memory's trail. Imagined scenes or great eternal worlds, Dream-caught or sensed, they touch our hearts with their depths; Unreal-seeming, yet more real than life, Happier than happiness, truer than things true, If dreams these were or captured images, Dream's truth made false earth's vain realities.

Le permanent refuge d’une clarté de rêve, Une nébuleuse pour les splendeurs des dieux Formée par l’éternité dans ses songes. Presque incroyables pour la foi humaine, Elles ne semblaient guère avoir de substance. Comme au travers d’un écran magique elles brillaient Silhouettées pour un oeil intérieur magnifiant Telles des images d’une scène trop lointaine, Trop haute et joyeuse pour la saisie de nos yeux. Mais proches et réels pour le besoin de nos cœurs Et les sens et la pensée passionnés de nos corps Sont les royaumes cachés de la béatitude. En un domaine inconnu que pourtant nous sentons, Immuns de l’emprise de la Mort et du Temps, Echappant à notre désir comme à notre peine, En de radieuses périphéries enchantées Ils se prélassent dans le bien-être à jamais. En songe et dans la transe ou la rêverie, Traversant le champ d’une vision plus subtile, Paysages d’extase s’enfuyant de la vue, Les figures du royaume parfait se profilent Et laissent la traînée d’un brillant souvenir. Scènes imaginées, ou grands mondes éternels, Perçus ou rêvés, leurs profondeurs touchent nos cœurs ; Semblant irréels, plus réels pourtant que la vie, Plus joyeux que la joie, plus vrais que ce qui est vrai, Si c’étaient des rêves, ou des images capturées, Leur principe infirmait les vanités de la terre. Ainsi vivent, établis dans un instant éternel Ou, toujours rappelés, reviennent à nos yeux, De calmes firmaments de Lumière pérenne, Des continents violets de paix rayonnante,

In a swift eternal moment fixed there live Or ever recalled come back to longing eyes Calm heavens of imperishable Light,

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Illumined continents of violet peace, Oceans and rivers of the mirth of God And griefless countries under purple suns. This, once a star of bright remote idea Or imagination's comet trail of dream, Took now a close shape of reality.

Des mers et des fleuves de l’allégresse de Dieu Et sous des astres pourpres des pays sans chagrin.

Ceci, l’étoile autrefois d’une idée trop distante Ou la traînée de comète de l’imaginaire, Prenait maintenant l’aspect d’une réalité. Le fait terrestre et le rêve pouvaient se rejoindre, Ces mondes merveilleux cessaient d’être des songes ; De tout ce qu’ils dévoilaient sa vision s’emparait : Leurs scènes frappaient ses yeux et son cœur De leur charme pur et de leur félicité. Une région très haute attira son regard Dont les contours se profilaient dans un ciel d’esprit Et s’inclinaient vers une étrange base éthérée. La quintessence brillait de la joie de la Vie. Sur une cime spirituelle mystérieuse Seule la ligne transfigurante d’un miracle De cette substance le Temps forge ses formes ; Le calme de l’Eternel contient l’acte cosmique : Les images protéennes de la grande Force Tirent l’énergie et la volonté de durer D’un océan profond de paix dynamique. Inversant le sommet de l’esprit vers la vie, Elle dépense les libertés de l’Unique A couler en actes les rêves de son caprice, - Séparait la vie de l’informe Infini Et abritait les âges de l’éternité.

The gulf between dream-truth, earth-fact was crossed, The wonder-worlds of life were dreams no more; His vision made all they unveiled its own: Their scenes, their happenings met his eyes and heart And smote them with pure loveliness and bliss. A breathless summit region drew his gaze Whose boundaries jutted into a sky of Self And dipped towards a strange ethereal base. The quintessence glowed of Life's supreme delight. On a spiritual and mysterious peak Only a miracle's high transfiguring line Divided life from the formless Infinite And sheltered Time against eternity. Out of that formless stuff Time mints his shapes; The Eternal's quiet holds the cosmic act: The protean images of the World-Force Have drawn the strength to be, the will to last

From a deep ocean of dynamic peace. Inverting the spirit's apex towards life, She spends the plastic liberties of the One To cast in acts the dreams of her caprice, His wisdom's call steadies her careless feet, He props her dance upon a rigid base, His timeless still immutability Must standardise her creation's miracle.

Et Lui, par Sa sagesse, affermit ses pas, Etayant sa danse sur une base rigide, Et, par Son intemporelle immuabilité, Normalise le miracle de sa création.

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Out of the Void's unseeing energies Inventing the scene of a concrete universe, By his thought she has fixed its paces, in its blind acts She sees by flashes of his all-knowing Light. At her will the inscrutable Supermind leans down To guide her force that feels but cannot know, Its breath of power controls her restless seas And life obeys the governing Idea. At her will, led by a luminous Immanence The hazardous experimenting Mind Pushes its way through obscure possibles Mid chance formations of an unknowing world. Our human ignorance moves towards the Truth That Nescience may become omniscient, Transmuted instincts shape to divine thoughts, Thoughts house infallible immortal sight And Nature climb towards God's identity. The Master of the worlds self-made her slave Is the executor of her fantasies: She has canalised the seas of omnipotence; She has limited by her laws the Illimitable. The Immortal bound himself to do her works; He labours at the tasks her Ignorance sets, Hidden in the cape of our mortality. The worlds, the forms her goddess fancy makes Have lost their origin on unseen heights: Even severed, straying from their timeless source, Even deformed, obscure, accursed and fallen,— Since even fall has its perverted joy And nothing she leaves out that serves delight,— These too can to the peaks revert or here

Puisant aux énergies aveugles du Vide, Elle invente la scène d’un univers concret ; Par Sa pensée, elle en a fixé les mesures ; Par éclairs de Sa Lumière omnisciente, elle voit. C’est à son gré que l’inscrutable Supramental S’incline pour guider sa force instinctive Et de son souffle contrôle ses mers agitées : Ainsi la vie obéit à l’Idée gouvernante. C’est à son gré que, mené par un Jour immanent, Le Mental incertain se fraye obscurément Un chemin d’expérience parmi tous les possibles Et les formations fortuites d’un monde ignorant. Notre ignorance chemine vers la Vérité Pour que la Nescience devienne omnisciente, Les instincts se transmuent en divines pensées, Les pensées recueillent la perception infaillible Et la Nature monte à l’unité du Divin. Le Maître des mondes, qui S’est fait son esclave, Est l’exécuteur ici de ses fantaisies : Elle a canalisé les mers de l’omnipotence, L’Illimitable elle a limité par ses lois. L’Immortel S’est lié pour accomplir ses œuvres, Il peine aux tâches que son Ignorance désigne, Caché sous la cape de notre mortalité. Les mondes, les formes qu’invente son humeur Ont perdu leur source sur des hauteurs occultes : Même égarés et coupés de leur origine, Même déformés, obscurs, maudits et déchus - Puisque même la chute a sa joie pervertie Et elle n’écarte rien qui serve son plaisir -, Eux aussi peuvent regagner les cimes, ou ici

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Cut out the sentence of the spirit's fall, Recover their forfeited divinity.

Abréger la peine du déclin de l’esprit Et recouvrer leu divinité abandonnée.

At once caught in an eternal vision's sweep He saw her pride and splendour of highborn zones And her regions crouching in the nether deeps. Above was a monarchy of unfallen self, Beneath was the gloomy trance of the abyss, An opposite pole or dim antipodes. There were vasts of the glory of life's absolutes: All laughed in a safe immortality And an eternal childhood of the soul Before darkness came and pain and grief were born Where all could dare to be themselves and one There were worlds of her laughter and dreadful irony, There were fields of her taste of toil and strife and tears; Her head lay on the breast of amorous Death, Sleep imitated awhile extinction's peace. The light of God she has parted from his dark To test the savour of bare opposites. Here mingling in man's heart their tones and hues And Wisdom played in sinless innocence With naked Freedom in Truth's happy sun. Have woven his being's mutable design, His life a forward-rippling stream in Time, His nature's constant fixed mobility, His soul a moving picture's changeful film, His cosmos-chaos of personality. The grand creatrix with her cryptic touch Has turned to pathos and power being's self-dream, Made a passion-play of its fathomless mystery.

Saisies ensemble par une vision éternelle Il vit la fière splendeur de ses zones sublimes Et ses régions tapies dans les fonds infernaux : La monarchie d’un soi intègre au-dessus, La transe sinistre de l’abysse au-dessous, Un pôle opposé, ou d’obscurs antipodes. Il vit des vastes glorieux de ses absolus : Tous y riaient à l’abri de la mort Dans une éternelle enfance de l’âme, Avant que vînt l’ombre et naquît la douleur, Quand tous osaient être eux-mêmes et s’unir Et la Sagesse et la Liberté jouaient nues, Innocentes, au soleil heureux de la Vérité. Il y avait des mondes pour sa moquerie, Son goût de l’épreuve, du conflit et des larmes ; Sa tête posée sur la poitrine de la Mort, Le sommeil imitait alors la paix du néant. Le jour de Dieu elle a séparé de Son ombre Pour éprouver la saveur brutale des contraires. Mêlés dans le cœur de l’homme leurs tons et leurs teintes Ont tissé la structure mutable de son être, La rivière de sa vie s’avançant dans le Temps, L’incessante mobilité de sa nature, Le tableau mouvant et variable de son âme, Le chaos ordonné de sa personnalité.

La grande créatrice, de son toucher cryptique, Changea le rêve de l’être en un drame puissant, Et son mystère insondable en un jeu passionné.

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But here were worlds lifted half-way to heaven. The Veil was there but not the Shadowy Wall; In forms not too remote from human grasp Some passion of the inviolate purity Broke through, a ray of the original Bliss. Heaven's joys might have been earth's if earth were pure. There could have reached our divinised sense and heart Some natural felicity's bright extreme, Some thrill of Supernature's absolutes: All strengths could laugh and sport on earth's hard roads And never feel her cruel edge of pain, All love could play and nowhere Nature's shame. But she has stabled her dreams in Matter's courts And still her doors are barred to things supreme. These worlds could feel God's breath visiting their tops; Some glimmer of the Transcendent's hem was there.

A mi-chemin du ciel, étaient certains de ces mondes. Le Voile était là, mais plus la Muraille d’Ombre ; En des formes encore perceptibles pour l’homme Poignait la passion d’une pureté inviolable, Un rayon de l’originelle Béatitude. La terre, purifiée, aurait pu vivre ces joies. Quelque brillant extrême de bonheur naturel Aurait pu toucher notre cœur et nos sens, Une onde des absolus de la Supranature : Les forces pourraient s’égayer partout sur la terre Sans jamais éprouver son tranchant de douleur, Tout l’amour pourrait jouer sans connaître de honte. Mais elle a établé ses rêves dans la Matière Et verrouillé ses portes aux choses suprêmes. Ces mondes sentaient le souffle de Dieu sur leurs cimes ; L’ourlet y luisait de la robe du Transcendant. Essaimaient l’espace auprès du sommeil éternel. Dans le calme bienheureux, de pures voix mystiques Invoquaient les douceurs immaculées de l’Amour, Invitant son toucher de miel à remuer les mondes, Ses mains joyeuses à saisir la Nature entière, Sa tendre intolérante puissance d’union A prendre tous les êtres dans ses bras sauveurs, Serrant à sa pitié le rebelle et le nomade Pour forcer sur eux le bonheur qu’ils refusent. Un chant hyménéen à l’invisible Divin, Une rhapsodie enflammée de désir blanc Charmait une musique immortelle dans le cœur, Eveillant l’oreille somnolente de l’extase. A travers les blancs silences éoniens Des figures immortelles de joie incarnée

Across the white aeonic silences Immortal figures of embodied joy Traversed wide spaces near to eternity's sleep. Pure mystic voices in beatitude's hush Appealed to Love's immaculate sweetnesses, Calling his honeyed touch to thrill the worlds, His blissful hands to seize on Nature's limbs, His sweet intolerant might of union To take all beings into his saviour arms, Drawing to his pity the rebel and the waif To force on them the happiness they refuse. A chant hymeneal to the unseen Divine, A flaming rhapsody of white desire Lured an immortal music into the heart And woke the slumbering ear of ecstasy.

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A purer, fierier sense had there its home, A burning urge no earthly limbs can hold; One drew a large unburdened spacious breath And the heart sped from beat to rapturous beat. The voice of Time sang of the Immortal's joy; An inspiration and a lyric cry, The moments came with ecstasy on their wings; Beauty unimaginable moved heaven-bare Absolved from boundaries in the vasts of dream; The cry of the Birds of Wonder called from the skies To the deathless people of the shores of Light. Creation leaped straight from the hands of God; Marvel and rapture wandered in the ways. And Joy was king with Love for minister. The spirit's luminousness was bodied there. Life's contraries were lovers or natural friends And her extremes keen edges of harmony: Indulgence with a tender purity came And nursed the god on her maternal breast: There none was weak, so falsehood could not live; Ignorance was a thin shade protecting light, Only to be was a supreme delight, Life was a happy laughter of the soul Imagination the free-will of Truth, Pleasure a candidate for heaven's fire; The intellect was Beauty's worshipper, Strength was the slave of calm spiritual law, Power laid its head upon the breasts of Bliss. There were summit-glories inconceivable, Autonomies of Wisdom's still self-rule And high dependencies of her virgin sun,

Un sens plus pur et ardent avait là sa demeure, Un besoin trop brûlant pour des membres terrestres ; L’on y inspirait un ample souffle délivré Et le cœur y battait d’une ivresse à une autre. La voix du Temps chantait la joie de l’Immortel ; Une inspiration, un cri lyrique d’appel, Les instants portaient l’extase sur leurs ailes ; Une incroyable Beauté allait nue dans le ciel, Affranchie des frontières dans les vastes du rêve ; Le cri des Oiseaux de Merveille appelait Le peuple sans mort des rivages de Lumière. La création jaillissait droit des mains du Divin ; L’enchantement parcourait tous les chemins. Simplement d’exister était sublime plaisir, La vie était un heureux rire de l’âme Et la Joie était reine et l’Amour son ministre. La luminosité de l’esprit prenait corps. Les contraires étaient des amants ou des amis Et les extrêmes des tranchants d’harmonie ; L’indulgence, avec une tendre pureté Nourrissait le dieu à son sein maternel ; Nul n’était faible, et le mensonge ne pouvait vivre ; L’ignorance était une ombre protectrice, L’imagination le choix de la Vérité, Le plaisir un candidat pour la flamme d’en-haut ; L’intellect était l’adorateur de la Beauté, L’énergie l’esclave de la loi spirituelle ; Sur les seins de la Joie reposait le Pouvoir. Il y avait d’inconcevables sommets de gloire, Des autonomies du calme règne de la Sagesse, De hautes dépendances de son astre inviolé,

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Illumined theocracies of the seeing soul Throned in the power of the Transcendent's ray. A vision of grandeurs, a dream of magnitudes In sun-bright kingdoms moved with regal gait: Assemblies, crowded senates of the gods, Life's puissances reigned on seats of marble will, High dominations and autocracies And laurelled strengths and armed imperative mights. All objects there were great and beautiful, All beings wore a royal stamp of power. There sat the oligarchies of natural Law, Proud violent heads served one calm monarch brow: All the soul's postures donned divinity. There met the ardent mutual intimacies Of mastery's joy and the joy of servitude Imposed by Love on Love's heart that obeys And Love's body held beneath a rapturous yoke. All was a game of meeting kinglinesses. For worship lifts the worshipper's bowed strength Close to the god's pride and bliss his soul adores:

Théocraties illuminées de l’âme voyante Sises dans le pouvoir du rayon transcendant. Grandeurs et magnitudes au port majestueux Allaient et venaient en des royaumes solaires : Assemblées et sénats pour la foule des dieux, Puissances siégeant sur leurs trônes de marbre, Altières dominations et autocraties, forces Honorées, forces impérieuses, forces armées. Tous les objets étaient là nobles et beaux, Tous les êtres portaient une empreinte royale. Là, en oligarchies de loi naturelle, de fiers Et violents sujets servaient un même monarque : Toutes les postures de l’âme semblaient divines. Là se rencontraient les mutuelles intimités, Les joies de la maîtrise et de la servitude Que l’Amour impose au cœur soumis de l’Amour, Et au corps de l’Amour sous le joug de l’extase. Tout était un jeu de royautés qui se joignent. Car le culte élève la force du dévot Près du dieu bienheureux qu’adore son âme : Là, le maître est uni à tous ceux qu’il commande ; A celui qui sert d’un cœur libre et égal L’obéissance est son princier apprentissage, Le diadème et le privilège de sa noblesse, Et sa foi est l’idiome d’une haute nature, Son service une souveraineté spirituelle. Il y avait des domaines où le Connaissant, Joignant la Puissance créative, la possédait : Le grand Illuminé se saisissait de ses membres Pour les emplir de la passion de son rai, Faire de son corps sa demeure transparente

The ruler there is one with all he rules; To him who serves with a free equal heart Obedience is his princely training's school, His nobility's coronet and privilege, His faith is a high nature's idiom, His service a spiritual sovereignty.

There were realms where Knowledge joined creative Power In her high home and made her all his own: The grand Illuminate seized her gleaming limbs

And filled them with the passion of his ray Till all her body was its transparent house

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And all her soul a counterpart of his soul. Apotheosised, transfigured by wisdom's touch, Her days became a luminous sacrifice; An immortal moth in happy and endless fire, She burned in his sweet intolerable blaze. A captive Life wedded her conqueror. In his wide sky she built her world anew; She gave to mind's calm pace the motor's speed, To thinking a need to live what the soul saw, To living an impetus to know and see. His splendour grasped her, her puissance to him clung; She crowned the Idea a king in purple robes, Put her magic serpent sceptre in Thought's grip, Made forms his inward vision's rhythmic shapes And her acts the living body of his will. A flaming thunder, a creator flash, His victor Light rode on her deathless Force; Worlds were there of a happiness great and grave And action tinged with dream, laughter with thought, And passion there could wait for its desire Until it heard the near approach of God. Worlds were there of a childlike mirth and joy; A carefree youthfulness of mind and heart Found in the body a heavenly instrument; It lit an aureate halo round desire And freed the deified animal in the limbs To divine gambols of love and beauty and bliss. On a radiant soil that gazed at heaven's smile A swift life-impulse stinted not nor stopped: A centaur's mighty gallop bore the god. Life throned with mind, a double majesty.

Et de son âme une contrepartie de la sienne. Apothéosée par le toucher de la sagesse, Ses jours devenaient un lumineux sacrifice ; Une phalène dans un feu constant de bonheur, Elle brûlait dans son brasier d’ardente douceur. Une Vie captive épousait son conquérant. Dans son ciel elle bâtissait son monde à nouveau ; Au mental mesuré elle donnait la vitesse, Au penser un besoin de vivre selon l’âme, A l’existence un impetus à voir et connaître. Splendide, Il l’étreignait ; puissante, elle L’enlaçait ; Elle couronnait l’Idée, un roi vêtu de pourpre, Prêtait à la Pensée son sceptre serpentin, Rythmait les formes d’après Sa vision intérieure Et, par ses propres actes, incarnait Sa volonté. Tel un tonnerre enflammé, un éclair créateur, Lumineux et victorieux Il chevauchait sa Force ; Il y avait des mondes d’un grave et grand bonheur : L’action y était rêveuse et le rire songeur, Et la passion pouvait y attendre son désir Jusqu’à ce qu’elle entende Dieu s’approcher. Il y avait des mondes de gaieté enfantine ; Une jeunesse insouciante de cœur et d’esprit Dans le corps trouvait un céleste instrument ; Elle embrasait une auréole autour du désir Et libérait l’animal déifié dans les membres A des gambades d’amour et d’heureuse beauté. Sur un sol radiant qui voyait sourire le ciel, Une force vive se dépensait sans compter Le galop d’un centaure emportait le dieu. La vie partageait son règne avec le mental.

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It knew not how to tire; happy were its tears. There work was play and play the only work, The tasks of heaven a game of godlike might: A celestial bacchanal for ever pure, Unstayed by faintness as in mortal frames Life was an eternity of rapture's moods: Age never came, care never lined the face. Imposing on the safety of the stars A race and laughter of immortal strengths, The nude god-children in their play-fields ran Smiting the winds with splendour and with speed; Of storm and sun they made companions, Sported with the white mane of tossing seas, Slew distance trampled to death under their wheels And wrestled in the arenas of their force. Imperious in their radiance like the suns They kindled heaven with the glory of their limbs Flung like a divine largess to the world. A spell to force the heart to stark delight, They carried the pride and mastery of their charm As if Life's banner on the roads of Space. Ideas were luminous comrades of the soul; Mind played with speech, cast javelins of thought, But needed not these instruments' toil to know; Knowledge was Nature's pastime like the rest. Investitured with the fresh heart's bright ray, An early God-instinct's child inheritors, Tenants of the perpetuity of Time Still thrilling with the first creation's bliss, They steeped existence in their youth of soul. An exquisite and vehement tyranny, The strong compulsion of their will to joy

Ni se lasser ; heureux étaient ses pleurs. Le travail était un jeu, jouer le seul travail, Les tâches divines un haut divertissement. Une bacchanale céleste à jamais limpide Que la fatigue mortelle ne pouvait réduire, La vie était une éternité des extases : L’âge, ni le souci, jamais ne ridait le visage. Imposant à la sécurité des étoiles Une course et un rire d’énergies immortelles, Les enfants-dieux s’amusaient nus dans leurs champs Frappant les vents de leurs splendides élans ; L’orage et le soleil étaient leurs compagnons, Ils dansaient sur la blanche crinière des houles, Tuaient la distance piétinée sous leurs roues Et combattaient dans les arènes de leur force. Impérieuse leur gloire comme celle des astres, Ils embrasaient le ciel avec leurs membres, Telle une largesse d’en-haut lancée vers le monde. Un sortilège pour forcer le cœur au délice, Ils portaient l’orgueil et la maîtrise de leur charme Comme une bannière sur les voies de l’Espace. Les idées étaient des camarades de l’âme, Le mental jouait avec les mots et la pensée, Sans jamais dépendre d’eux pour sa connaissance ;

Connaître était un amusement de la Nature. Investis de la fraîcheur éclatante du cœur, Enfants héritiers d’un premier instinct divin, Résidents de la perpétuité du Temps Vibrant encore du bonheur originel, Leur jeunesse d’âme imprégnait l’existence. Une tyrannie exquise et véhémente, La force même de leur volonté de joie

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Poured smiling streams of happiness through the world. There reigned a breath of high immune content, A fortunate gait of days in tranquil air, A flood of universal love and peace. A sovereignty of tireless sweetness lived Like a song of pleasure on the lips of Time. A large spontaneous order freed the will, A sun-frank winging of the soul to bliss, The breadth and greatness of the unfettered act And the swift fire-heart's golden liberty. There was no falsehood of soul-severance, There came no crookedness of thought or word To rob creation of its native truth; All was sincerity and natural force. There freedom was sole rule and highest law. In a happy series climbed or plunged these worlds: In realms of curious beauty and surprise, In fields of grandeur and of titan power, Life played at ease with her immense desires. A thousand Edens she could build nor pause; No bound was set to her greatness and to her grace And to her heavenly variety. Awake with a cry and stir of numberless souls, Arisen from the breast of some deep Infinite, Smiling like a new-born child at love and hope, In her nature housing the Immortal's power, In her bosom bearing the eternal Will, No guide she needed but her luminous heart: No fall debased the godhead of her steps, No alien Night had come to blind her eyes. There was no use for grudging ring or fence;

Versait dans le monde des rivières souriantes. Il régnait le souffle d’un haut contentement, Une allure de jours fortunés dans un air tranquille, Un flot constant de paix et d’amour universels. C’était une souveraineté de douceur, Comme une mélodie sur les lèvres du Temps. L’ampleur et grandeur de l’acte libre d’entraves Et l’aise dorée d’un cœur ardent comme le feu. Aucun mensonge de l’âme séparée, Nulle torsion de la pensée ou de la parole Ne dérobait à la création sa vérité ; Tout était sincérité et force naturelle. La liberté était la règle et la loi suprême. Ainsi montait ou plongeait la série de ces mondes : En des régions de surprise, de curieuse beauté, Des champs de grandeur et de pouvoir titanique, Nulle limite n’était fixée à sa grâce, A son éminence et sa divine variété. Avec un cri et mouvement d’âmes sans nombre, Naissant de la poitrine d’un profond Infini, Un nouveau-né souriant à l’amour et l’espoir, Abritant dans sa nature le pouvoir du Sans-mort Et dans son sein la Volonté éternelle, son coeur Lumineux lui était le seul guide nécessaire : Nulle déchéance n’avilissait sa démarche, Nulle Nuit étrangère n’était venue l’aveugler. Aucune réserve ou clôture n’était requise ; Un ordre spontané libérait la volonté Et l’essor direct de l’âme à la félicité, La Vie jouait à son aise avec ses désirs. Elle pouvait ainsi bâtir mille Paradis ;

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Each act was a perfection and a joy. Abandoned to her rapid fancy's moods And the rich coloured riot of her mind, Initiate of divine and mighty dreams, Magician builder of unnumbered forms Exploring the measures of the rhythms of God, At will she wove her wizard wonder-dance,

Chaque acte était une perfection et une joie. Abandonnée au gré de ses humeurs immédiates Et au tumulte chamarré de sa pensée, Initiée de songes puissants et divins, Et magicienne de formes innombrables Explorant les mesures des rythmes de Dieu, Elle tissait ainsi l’envoûtement de sa danse,

A Dionysian goddess of delight, A Bacchant of creative ecstasy.

Une déesse Dionysienne du plaisir, Une Bacchante de l’extase créative.

This world of bliss he saw and felt its call, But found no way to enter into its joy; Across the conscious gulf there was no bridge.

Il contemplait ce monde et sentait son appel, Mais ne trouvait d’accès pour entrer dans sa joie ; Aucun pont ne franchissait le gouffre conscient. Un air plus sombre encerclait encore son âme Lié à l’image d’une existence troublée. Malgré l’aspiration du mental et des sens, Pour une Pensée rendue triste par l’expérience Et ternie par le souci, le chagrin, le sommeil, Tout ceci ne semblait qu’un songe désirable Conçu dans le manque et l’absence par le cœur D’un homme qui marche dans l’ombre de la douleur. Bien qu’il eut connu l’étreinte de l’Eternel, Sa nature vivait trop près des mondes souffrants, - Et ici se trouvaient les entrées de la Nuit. Trop assailli par l’inquiétude du monde, le moule Dans lequel nous fûmes formés ne peut guère Répondre purement à la lumière et la joie. Car sa volonté tourmentée d’exister

A darker air encircled still his soul Tied to an image of unquiet life.

In spite of yearning mind and longing sense, To a sad Thought by grey experience formed And a vision dimmed by care and sorrow and sleep All this seemed only a bright desirable dream Conceived in a longing distance by the heart Of one who walks in the shadow of earth-pain. Although he once had felt the Eternal's clasp, Too near to suffering worlds his nature lived, And where he stood were entrances of Night. Hardly, too close beset by the world's care, Can the dense mould in which we have been made Return sheer joy to joy, pure light to light. For its tormented will to think and live First to a mingled pain and pleasure woke And still it keeps the habit of its birth: A dire duality is our way to be.

A la peine et au plaisir mélangés s’éveilla Et il garde l’habitude de sa naissance : La dualité est notre mode d’existence.

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In the crude beginnings of this mortal world Life was not nor mind's play nor heart's desire. When earth was built in the unconscious Void And nothing was save a material scene, Identified with sea and sky and stone Her young gods yearned for the release of souls Asleep in objects, vague, inanimate. In that desolate grandeur, in that beauty bare, In the deaf stillness, mid the unheeded sounds, Heavy was the uncommunicated load Of Godhead in a world that had no needs; For none was there to feel or to receive. This solid mass which brooked no throb of sense Could not contain their vast creative urge: Immersed no more in Matter's harmony, The Spirit lost its statuesque repose. In the uncaring trance it groped for sight, Passioned for the movements of a conscious heart, Famishing for speech and thought and joy and love, In the dumb insensitive wheeling day and night Hungered for the beat of yearning and response. The poised inconscience shaken with a touch, The intuitive Silence trembling with a name, They cried to Life to invade the senseless mould And in brute forms awake divinity. A voice was heard on the mute rolling globe, A murmur moaned in the unlistening Void. A being seemed to breathe where once was none: Something pent up in dead insentient depths,

Aux commencements de ce monde mortel Ni la Vie ni le mental ni le cœur n’étaient là. Quand la terre fut bâtie dans le Vide inconscient Et rien d’autre n’était qu’une scène matérielle, Identifiés à l’océan, au ciel, à la pierre, Ses jeunes dieux voulurent délivrer les âmes Qui dormaient dans les objets, vagues, inanimées. Dans cette grandeur désolée, cette beauté brute, Dans le silence sourd, parmi les sons imperçus, Lourde était la charge incommuniquée du Divin Dans un monde qui ne connaissait pas le besoin ; Car nul n’était là pour sentir ou pour recevoir. Dans la transe indifférente il chercha la vue, Avide des mouvements d’un cœur conscient, De langage et de pensée, de joie et d’amour, Dans le roulement des jours et des nuits il eut faim D’une pulsation de besoin et de réponse. L’équilibre de l’inconscience ainsi ébranlé, Le Silence intuitif alors tremblant d’un nom, Ils implorèrent la Vie d’envahir le moule Insensible et d’y éveiller la divinité. Une voix retentit sur le globe tournoyant, Un murmure et un gémissement dans le Vide. Un premier être alors sembla respirer : Quelque chose d’enfermé en des fonds inertes, Cette masse solide qui refusait le sens Ne put contenir leur vaste élan créatif : Emergeant de l’harmonie de la Matière, L’Esprit perdit son repos statuesque.

Denied conscious existence, lost to joy, Turned as if one asleep since dateless time. Aware of its own buried reality,

Privé d’existence et de joie, se tourna, Comme si cela dormait depuis des âges. Conscient de sa réalité ensevelie,

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Remembering its forgotten self and right, It yearned to know, to aspire, to enjoy, to live.

De son soi et de son droit oubliés, cela Voulut connaître et aspirer, vivre et jouir.

Life heard the call and left her native light. Overflowing from her bright magnificent plane On the rigid coil and sprawl of mortal Space, Here too the gracious great-winged Angel poured Her splendour and her swiftness and her bliss, Hoping to fill a fair new world with joy. As comes a goddess to a mortal's breast And fills his days with her celestial clasp, She stooped to make her home in transient shapes; In Matter's womb she cast the Immortal's fire, In the unfeeling Vast woke thought and hope, Smote with her charm and beauty flesh and nerve And forced delight on earth's insensible frame. Alive and clad with trees and herbs and flowers Earth's great brown body smiled towards the skies, Azure replied to azure in the sea's laugh; New sentient creatures filled the unseen depths, Life's glory and swiftness ran in the beauty of beasts, Man dared and thought and met with his soul the world. But while the magic breath was on its way, Before her gifts could reach our prisoned hearts,

La Vie entendit l’appel et quitta sa lumière. Déferlant du plan de sa demeure magnifique Sur l’anneau reptilien de l’Espace mortel, Ici aussi l’Ange gracieuse aux larges ailes Répandit sa splendeur et sa félicité, Espérant combler de joie un monde nouveau. Comme vient une déesse au sein d’un mortel Et emplit ses jours de son étreinte céleste, Elle vint s’établir en des formes transitoires ; Dans la Matière elle versa le Feu immortel, Eveilla dans le Vaste la pensée et l’espoir, Frappa de son charme la chair et les nerfs Et força le délice dans le corps de la terre.

Exubérant, vêtu d’arbres, d’herbes et de fleurs, Le grand corps brun de la terre souriait vers le ciel, L’azur chantait à l’azur dans le rire océan ; De nouvelles créatures emplirent les fonds, La gloire s’élança dans la beauté animale, L’homme osa et trouva le monde avec son âme. Mais, tandis que le grand souffle était sur sa voie, Avant que ses dons n’atteignent nos cœurs prisonniers, Une sombre Présence ambiguë questionna tout.

A dark ambiguous Presence questioned all. The secret Will that robes itself with Night And offers to spirit the ordeal of the flesh, Imposed a mystic mask of death and pain.

La Volonté secrète qui se vêt de la Nuit Et offre à l’esprit l’épreuve de la chair, Imposa un masque de mort et de peine.

Interned now in the slow and suffering years Sojourns the winged and wonderful wayfarer

Et ainsi internée dans les lentes années Séjourne à présent la merveilleuse nomade

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And can no more recall her happier state, But must obey the inert Inconscient's law, Insensible foundation of a world In which blind limits are on beauty laid And sorrow and joy as struggling comrades live. A dim and dreadful muteness fell on her: Abolished was her subtle mighty spirit And slain her boon of child-god happiness, And all her glory into littleness turned And all her sweetness into a maimed desire. To feed death with her works is here life's doom. So veiled was her immortality that she seemed, Inflicting consciousness on unconscious things, An episode in an eternal death, A myth of being that must for ever cease. Such was the evil mystery of her change.

Qui ne peut plus rappeler son état plus heureux, Mais doit suivre la loi de l’inerte Inconscient, Fondation insensible d’un univers Où la beauté doit souffrir d’aveugles limites Et la peine et la joie doivent être camarades. Un obscur, terrible mutisme tomba sur elle : Son esprit puissant et subtil était aboli, Anéanti, son bienfait de divine enfance, Et toute sa gloire changée en petitesse Et toute sa douceur en un désir mutilé. Nourrir la mort de ses œuvres, est son sort ici-bas. Si voilée fut son éternité qu’elle sembla, Infligeant la conscience aux choses inconscientes, Un épisode dans une mort perpétuelle, Un mythe d’existence qui bientôt cesserait. Tel fut le mystère infernal de son changement.

End of Canto Three

Fin du Chant Trois

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