La Presse Bisontine 65 - Avril 2006

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Éditorial

L E PHÉNOMÈNE GRIPPE AVIAIRE

Après les premiers cas en France

Guéguerre Le départ annoncé de la société Imaso- nic, fleuron bisontin du bio-médical, est considéré comme une véritable catas- trophe par nombre de commentateurs, qui en profitent pour brocarder l’incapa- cité d’une ville et d’une agglomération à retenirsesélites. Desassociationslocales, à l’image d’Agissons pour Besançon par exemple,fustigent “l’étatd’espritd’uncer- tain nombre d’élus dont le discours élec- toraliste est contredit par les actes quoti- diens” ,tandisquedeshommespolitiques dedroitevontmêmejusqu’àaccuserJean- Louis Fousseret de “faire fuir les entre- prises.” Cette vision réductrice du déve- loppement économique va à l’encontre du bon sens. En effet, la seule répercus- sion négative pour Besançon du départ d’Imasonic est le manque à gagner de l’agglomération en matière de taxe pro- fessionnelle. Pour le reste, et notamment l’emploi, ce ne sont pas les 15 km sépa- rant Besançon de la Haute-Saône voisi- ne qui auront la moindre incidence sur la dynamique du bassin économique local, surtoutàl’échellemondiale. Onauraitcer- tainement eumatièreàverser des larmes si Imasonic avait annoncé son intention dequitterlesolfrançaispourunautreeldo- rado,asiatiqueparexemple. Enrevanche, il y aurait matière à s’insurger contre le manque de cohérence de vue entre les décideurspolitiques régionaux qui pour- suivent uneguéguerre absurdepour tirer la couverture à eux. L’idée de pôle de compétitivité régionale ou de réseau métropolitainRhin-Rhoneprête vraiment à sourire quand on constate qu’entre deux départements voisins, on se tire déjà la bourre à qui mieux mieux pour attirer l’innovation. Le dossier que nous consacrons cemois-ci à tous ces repré- sentants du génie local montre à quel point lacapacitéd’innovationnedépend nullement de la propension des élus locauxàencouragerl’initiativemaisd’abord aux talentspersonnelsdeces inventeurs. Par conséquent, ce n’est pas la création ex nihilo de quelque pôle de compétiti- vité ou autre réseau métropolitain qui empêchera les talents d’aller s’exprimer làoù ilsont lesmeilleuresconditionspour le faire. À un moment où l’on prend consciencedupotentiel d’innovationdes hommesprésents sur son territoire, il faut tout de même leur donner les moyens de le développer. Jamais un dispositif artificielsortiduchapeaudenosénarques ne donnera plus de créativité à ceux qui en ont déjà. Encore faut-il commencer par les voir, les comprendre et leur offrir seulement les conditions de leur épa- nouissement. J ean-François Hauser

“Nos pays sont traumatisés car ils pensaient être à l'abri des épidémies”

Directeur du centre de recherche historique de l'E.H.E.S.S., l'école des hautes études en sciences sociales de Paris, Patrice Bourdelais est un spé- cialiste de l'histoire des épidémies. Il a publié “Les épidémies terrassées” aux éditions de la Martinière. Pour lui, les épidémies ont toujours existé dans l'histoire. Et ont profondément modifié chaque société.

L a Presse Bisontine : Le risque du transfert de la grippe aviaire à l'hom- me est souvent comparé à celui de la grippe espagnole qui avait ravagé le monde en 1918… Patrice Bourdelais : Cela avait été un énorme traumatisme, et on peut le comprendre. À partir de 1870-1880, les pro- grès de la bac- tériologie, notamment été constants. On avait d'abord réussi à venir à bout de la tuberculose, puis du virus du choléra. Les der- nières grandes épidémies du XIX ème siècle, ça avait été le choléra. Et elles avaient fait près de 100 à 150 000 morts à chaque fois. En 1918, on est à l'issue de la première guerre mondiale, qui en elle- même déjà a été un trau- matisme profond, quand sur- vient cette grande épidémie contre laquelle on ne sait pas quoi faire. Son nom est d'ailleurs lié à ce contexte particulier. C'est en Espagne, où la presse n'était censu- rée, que les journaux ont pu le plus relater l'épidémie. En France, l'épidémie a fait entre 220 000 et 250 000 morts tout de même, en quelques mois. Donc plus que toutes les épidémies de choléra pré- cédentes, qui étaient les épi- démies du passé. Au début du siècle, on est dans une perspective scientiste, où on croit que le progrès et les avancées de la science vont grâce aux tra- vaux de Pas- teur, avaient

fréquences qui fluctuent. Mais à l'échelle d'un siècle, on ne trouve aucune pério- de de l'histoire qui n'ait pas été marqué par une épidé- mie. L.P.B. : Quel est l'impact des épi- démies dans l'histoire ? P.B. : Les grandes épidémies modifient à chaque fois la société profondément. Elles imposent des dispositifs qui deviennent plus ou moins pérennes par la suite. La pes- te a amené avec elle les confi- nements et le contrôle à l'échelle locale. Avec le cho- léra, c'est le dépistage, l'hy- giène qui s'est généralisée. Très souvent surtout, elles sont l'occasion d'une très for- te exacerbation sociale. Il faut un coupable et certains groupes en accu- sent d'autres peut être dans d'autres cas les médecins ou le gouver- nement en place qui est accu- sé d'empoisonner la popula- tion. Ces grandes crises créent des affrontements au sein de la société, avec un rééquilibrage du pouvoir qui s'effectue souvent. L.P.B. : Vous parlez de dispositifs qui peuvent devenir plus ou moins pérennes lors des épidémies. Est ce que cela veut dire que la mena- ce de l'épidémie va affecter nos modes de vie ? P.B. : La peste, par exemple, a duré du XIV ème au XIX ème siècle en Europe. Le danger d'être à l'origine de la maladie. Pendant des siècles, avec la peste, cela a été les juifs. Mais ça

pays riches pensaient enco- re une fois être à l'abri. Mais sont rattrapés. On sait que si le virus mute maintenant, il faudra six mois aux labo- ratoires pour trouver un trai- tement. Mais en même temps, ce qui est complète- ment nouveau, c'est que chaque semaine de gagnée sur la diffusion du virus équi- vaut à une économie de mil- liers de morts. L.P.B. : On a l'impression que l'Eu- rope cherche à confiner le virus hors de ses frontières. P.B. : Vous voyez la réaction de l'O.M.S… Si la grippe humaine apparaît, on sait que ce sera forcément enAsie du Sud-Est. On peut l'ad- mettre car c'est là que la pro- miscuité est la plus forte mute, il faut le maintenir là- bas le plus longtemps pos- sible et faire un cordon sani- taire autour. D'où l'effort de l'O.M.S. pour que la Chine coopère. Salles de confine- ment dans les aéroports, qua- rantaines, cordons sani- taires : ce sont finalement les dispositifs utilisés lors des grandes épidémies de peste qui sont en train d'être réutilisés. L.P.B. : Y a-t-il eu des époques sans épidémie ? P.B. : Non, il y a toujours eu des épidémies. Bien sûr, avec des niveaux de gravité et des entre hommes et animaux, notam- ment à cause de l'explosion démo- graphique. Les occidentaux - et l'O.M.S.- se disent que si le virus

éradiquer définitivement toutes les maladies. Et là, c'est un démenti cinglant. L.P.B. : La situation est-elle com- parable aujourd'hui ? P.B. : On y fait référence par- ce que c'est le traumatisme précédent. Mais dans les années 1970-1980, on se

était présent sans arrêt, on ne pouvait pas prendre de risque, donc les dispositifs de confinement ont été main- tenus. Mais imaginons que la grippe aviaire ne devien- ne pas humaine, mais végè- te en infectant un élevage en France, puis un peu plus tard un autre en Angleter- re, quelques mois plus tard encore un autre au Dane- mark… Les dispositifs qui sont prévus au départ com- me des mesures temporaires d'urgence devront alors deve- nir routiniers et être péren- nisés. Et cela modifie avec le temps les pratiques et les esprits. L.P.B. : Cela peut transformer la mondialisation actuelle ? P.B. : Absolument, surtout en ce qui concerne la circula- tion des produits d'élevage. Les contrôles vont être plus systématiques, avec des échanges qui seront plus limi- tés qu'actuellement. Le pro- blème, c'est qu'il y a un anta- gonisme entre le fonctionnement du monde actuel - la mondialisation des échanges - et la néces- sité de bloquer ces échanges pour lutter contre l'épidé- mie. Propos recueillis par S.D. Pour Patrice Bourdelais, historien des épidémies, “les grandes épidémies modifient à chaque fois la société profondément.”

retrouve dans une situation similaire, on pense à nou- veau avoir réus- si à éradiquer

“Les premières résistances aux antibiotiques.”

les épidémies. Et puis sur- vient le Sida, les premières résistances aux antibiotiques. Apparaissent de nouvelles fièvres, comme Ebola, mais cela reste encore assez éloi- gné des sociétés occidentales, enAfrique. Puis c'est au tour du S.R.A.S. enAsie, qui fina- lement est un virus plutôt gentil et qui n'a pas fait beau- coup de victimes. Mais cela fait prendre conscience aux autorités que toutes les condi- tions sont réunies pour qu'une nouvelle épidémie apparaisse : un trafic inter- national intense, journalier, des personnes qui se dépla- cent très rapidement, jusque dans les coins les plus iso- lés…Or ce sont les éléments traditionnels - que l'on retrou- ve dans l'histoire - d'une épi- démie. Donc depuis cinq ou six ans, les sociétés sont finalement dans l'attente de la prochaine pandémie, en ce demandant si ce sera ce virus qui en sera responsable ou le prochain. C'est traumatisant car les

“Aucune période de l'histoire sans épidémie.”

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Apparu en Asie du Sud-Est en 2003, le virus de la grippe aviaire H5N1 a atteint désormais l'Europe. Et les scientifiques redoutent une mutation du virus qui pourrait entraîner, au pire, des millions de victimes dans le monde.

Imprimé à I.P.S. - ISSN : 1623-7641 Dépôt légal : Mars 2006 Commission paritaire : 1102I80130

Crédits photos : La Presse Bisontine, Âges et Vie, Patrice Bourdelais, C.H.U., Denis Maraux (p. 1 et 15), Mogo Yan, Paul Gonez, Témis, Théâtre Universitaire.

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