La Presse Bisontine 75 - Mars 2007

L’INTERVIEW DU MOIS

Presse Bisontine n°75 - Mars 2007

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Éditorial

SCIENCE

Expédition dans l’océan Arctique

Jean-Louis Étienne : “L’humanité entre dans un virage qu’elle ne doit pas rater”

Statut “Tous pourris !” L’anathème jeté en ces périodes d’élection au visage du mon- de politique fait évidemment le lit douillet des extrémismes. Le maire de Besan- çon gagne plus de 6 600 euros par mois. Et alors. Indécent aux yeux de certains qui rament à coups d’allocations mai- grelettes ou de pensions dérisoires. Tout à fait justifié voire insuffisant au regard des heures passées à la fonction qui occupent les semaines de Jean-Louis Fousseret. Le dossier que nous avons choisi de traiter ce mois-ci est là pour montrer une réalité de terrain que beau- coup ont tôt fait de grimer en la noyant dans de fumeux amalgames populistes dès lors qu’il s’agit de décrire la vie d’un élu. Gagner plus de 6 000 euros par mois pour exercer pleinement un man- dat électif n’a rien de scandaleux. En revanche, toucher une indemnité plei- ne d’ancien député - soit près de 7 000 euros - pendant les six mois qui suivent un échec aux législatives relè- ve d’une dérive aberrante d’un systè- me. Toute comme l’était jusqu’ici le sta- tut d’un sénateur, détenteur presque plénipotentiaire de son siège (heureu- sement, le mandat vient d’être ramené à six ans au lieu de neuf). Ces quelques exemples pour illustrer la nécessaire part des choses à observer lorsque l’on aborde ce sujet démagogique. Toutes les règles en matière d’indemnités publiques ne sont pas à clouer au pilo- ri. Une chose paraît néanmoins évidente bien que rarement abordée : c’est l’in- égalité des élus devant l’exercice d’un mandat électif. Il suffit de décortiquer la composition des conseils municipaux des principales villes - Besançon en est un bon exemple - au regard de la pro- fession exercée par les élus, à côté de leur mandat. On constatera bien vite que les hommes et les femmes issus du privé, du monde de l’entreprise, se comptent sur les doigts d’une main. Il en est de même sur la primauté de la fonction publique dans les exécutifs départementaux, régionaux ainsi que dans les deux Hémicycles. La leçon à tirer de ce constat n’est pas d’en dédui- re un jugement à l’emporte-pièce sur le temps de travail de telle ou telle caté- gorie de travailleurs mais bien plutôt d’aboutir à l’impérieuse nécessité d’éta- blir en France un véritable statut de l’élu, local notamment. Cette innovation évi- terait ainsi bien des préjugés erronés à l’endroit des élus.

Bientôt le départ pour Jean-Louis Étienne, médecin et explorateur. Après de multiples expéditions aux deux pôles, il prépare une nouvelle aventure, en dirigeable,

L.P.B. : En quoi consiste précisément votre prochaine expédition ? J.-L.É. : Nous allons partir mesurer l’épaisseur de la banquise, sur une grande surface. Ces chiffres servi- ront de valeurs de référence. Car si tout le monde sait que la banquise fond, nous manquons toutefois de mesures exactes. Celles-ci permet- tront également d’alimenter les centres de modélisation du climat. Le second travail consistera ensui- te à localiser, avec précision, le pôle

sur la banquise de l’océan Arctique. Rencontre avec l’un des porte-drapeaux de l’avenir de la planète.

Nord magnétique. Mais au-delà, il s’agit aussi d’un projet pédagogique sur les thèmes des changements climatiques et des énergies futures. L’engagement de l’expédition se fera alors à travers la communi- cation auprès des scolaires et du grand public. L.P.B. : Et pour les modalités pratiques ? Où en êtes-vous ? J.-L.É. : Cette opération va s’étaler sur deux mois. La grande traversée partira de France le 15 mars 2008, et arrivera enAlaska à la mi-mai 2008. Pour

Jean-Louis Étienne, prêt à affronter les froids de l’océan Arctique pour mesurer l’épaisseur de la banquise.

L.P.B. : Pourquoi un dirigeable ? J.-L.É. : Cet aéronef possède une vites- se de déplacement et une autono- mie parfaitement adaptées à l’im- mensité de l’océan Arctique. Cette grande vessie d’hélium consomme très peu et ne dépense pas d’éner- gie pour rester en l’air, comme le ferait un avion ou un hélicoptère. C’est donc unmoyen très écologique. L.P.B. : À ce propos, entre le Pacte écolo- gique de Nicolas Hulot et les documen- taires d’Al Gore ou de Yann Arthus-Ber- trand, les préoccupations sur l’avenir de la planète grandissent. Qu’en pensez-vous ? J.-L.É. : Cela fait 20 ans que l’on par- le des changements climatiques. Il est toujours long de porter une infor- mation à caractère scientifique auprès du grand public et qu’il se l’appro- prie ensuite. Il faut une certaine maturation des choses. Aujourd’hui, effectivement, nous sommes dans

L a Presse Bisontine : D’où vous vient cette passion pour les banquises ? Jean-Louis Étienne : C’est très ancien. Déjà, à 14 ans, je faisais des listes de matériels pour aller camper dans les Pyrénées. J’ai toujours aimé cette confron- tation avec l’hiver. Et puis j’aime les déserts, les immensités de nature. Il y règne une beauté, le sen- timent d’être sur une autre planète. On y vit un peu en apesanteur des contraintes du monde. L.P.B. : À quoi pense-t-on lorsqu’on est seul au milieu de la banquise ? J.-L.É. : Il y a une alternance : parfois on a une immensité de réflexions, d’autres fois, la pensée devient encombrante. Par contre, le fait d’avoir du temps est un luxe formidable, cela permet une matu- ration personnelle. Ce sont de vraies retraites : on passe du temps avec soi, sans l’alimentation de l’ex- térieur, comme la télévision, la radio. On doit se recréer un monde.

l’instant, nous allons partir, avec le dirigeable, dès le mois d’avril, pour effectuer le calibrage des appa- reils de mesures. Cela fait déjà trois ans que je travaille sur cet- te expédition. C’est très intense. En fait, il existe une multitude de choses que l’on sous-estime, com- me la logistique, le financement, la gestion d’une équipe, la relation avec les scientifiques…Mais pour l’instant, tout se passe bien.

Le dirigeable, un “moyen très écologique”.

l’éclosion, assez spectaculaire, de cette situation. C’est plutôt joli car l’humanité entre dans un vira- ge qu’elle ne doit pas rater. L.P.B. : Quelles sont, selon vous, les solutions concrètes à mettre en œuvre pour protéger notre planète ? J.-L.É. : Notre société s’est assise confortablement, depuis presque un siècle, sur la sensation, fausse, d’inépuisabilité des ressources fossiles : pétrole, gaz et charbon. Or la majorité de la production élec- trique mondiale se fait avec des centrales ther- miques utilisant ces énergies. Il faut donc d’abord commencer par les économiser. Ensuite, pour l’uti- lisation directe, comme les moyens de transport, on connaît les solutions : transports en commun, petites voitures à faible consommation… Le der- nier point important concerne les logements. L’ha- bitat est une vraie passoire, surtout en hiver. Un tiers des dépenses énergétiques des citoyens pour- rait être économisé si on isolait l’habitat. Rien que ce chiffre est énorme. Propos recueillis par J.C.

Bio express 1946 : Naissance de Jean- Louis Étienne, à Vielmur dans le Tarn. 1975 : Obtient sa thèse en médecine. 1977-1978 : Tour du monde, avecdenombreuxfutursgrands marins,commeÉricTabarly,Jean- François Coste ou Olivier Petit. 1979 : Découverte du Groen- land à bord du bateau “Japy- Hermes”. 1983 : Ascension du versant nord de l’Everest, dans l’Hi- malaya. 1986 : Expédition au Pôle Nord, à pied et en solitaire : 63 jours de marche.

1989-1990 : Co-leader de l’Ex- pédition “Transantarctica” : 7 mois pour traverser le Pôle Sud et promouvoir l’endroit com- me “terre de science et de paix”. 1991-1996 : Organisateur de l’expédition “Antarctica”, par mer,pour des missions à voca- tion scientifiques et pédago- giques. 2002 : “Mission Banquise” : dérive de 3 mois au Pôle Nord pour un programme de recherche. 2004-2005 : Inventaire de la biodiversité sur l’atoll de Clip- perton, dans le Pacifique.

Jean-François Hauser

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Imprimé à I.P.S. - ISSN : 1623-7641 Dépôt légal : Mars 2007 Commission paritaire : 1102I80130

(Voir aussi : ww.jeanlouisetienne.com)

Crédits photos : La Presse Bisontine,A.D.E.P.I.C., Joël Baud, Bernard Bouffier, Burdin Bossert, Chantoillote, Lionel Estavoyer, Jean-Louis Étienne, Ville de Besançon.

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