SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

PREMIÈRE PARTIE_CHAPITRE 2

tannique de l’époque, Tony Blair : « Rarement ai-je vu une rencontre d’un tel dévouement et d’une telle intensité. Cette victoire méritée est également une victoire pour l’Europe ». La réa- lité de la culture européenne est plus complexe que ne le suggère ce commentaire, et il est important d’apporter deux mises en garde concernant le sport, l’identité, et le fait d’être Européen. Le sport unit tout autant qu’il divise le « nous » (Maguire 2012b). Chirac a eu raison de souligner l’intensité de ce match, et la place du sport dans la création de « notre » habitus : « nos » identités et la « mémoire dormante » qui forment la conscience individuelle et col- lective. En effet, le berceau propice à l’émer- gence et au développement du sport moderne se trouve dans la culture européenne : son conte- nu et sa signification sont ancrés dans ses tra- ditions ludiques et, plus largement, dans ses valeurs culturelles. C’est pour cette raison que le sport a de l’importance dans la vie euro- péenne. Le sport est une forme de dialogue symbolique : il représente les strictes condi- tions dans lesquelles devrait s’effectuer un dia- logue, et implique une symbolisation théâtrale de ce que nous pensons être et ce que nous voudrions être. En outre, les stades sportifs sont des théâtres dans lesquels les gens ressentent une série d’émotions plaisantes et d’une impor- tance excitante : l’excitation provoquée par un beau jeu, mais dont l’importance repose dans le fait que le sport est un forum dans lequel se produit une autorévélation collective. Autre- ment dit, le sport moderne est une forme de

religion de substitution dans le cadre de la- quelle se produit la découverte collective de qui nous sommes, et de la signification d’« Eu- ropéens ». De cette façon, l’incident de la main du footballeur français Thierry Henry lors d’un match de qualification pour la coupe du monde de la FIFA en 2010 n’a pas seulement importé au peuple irlandais, mais aux Euro- péens en général. Toutefois, vu d’un autre angle, Chirac avait tort. Pour les Anglais, la victoire au rugby symbolisait le retour fracas- sant du vieil empire et n’avait rien à voir avec le fait d’être Européen. Par conséquent, la si- gnification sociale du sport s’en trouve haute- ment contestée. En d’autres termes, à ce stade de (ré)inté- gration, les identités « européennes » sont encore fermement figées dans les localités, les régionalismes et nationalités qui constituent le continent européen. À cet égard, les compé- titions sportives renforcent et expriment des « traditions inventées », des « communautés imaginées » et l’habitus national ; à tel point que les tensions évidentes dans la zone euro- péenne actuelle ont réveillé de vieilles inimi- tiés et rivalités. « L’Europe » a beau jouer au golf contre les USA lors des coupes Ryder et Solheim, et la mondialisation du sport a flou- té les frontières de la nation et de l’identité, pourtant, c’est encore la passion du jeu pa- triote qui anime le sport international, ren- force le nationalisme et peut engendrer une affirmation de soi agressive du « nous » contre « eux ». Le hooliganisme dans le football est

mieux contrôlé dans les stades, mais les mœurs sociales à l’origine de telles rixes restent les caractéristiques d’un éventail de sociétés. À l’inverse de ces aspects du sport mondial, Nelson Mandela avait observé que « le sport est un moyen viable et légitime de construire des amitiés entre les nations », et un rapport des Nations Unies de conclure : « le sport ras- semble les individus et les communautés, sou- ligne nos points communs et transcende les divisions culturelles et ethniques » (Maguire 2012a). Le sport en tant que dialogue intercul- turel a le potentiel d’étendre l’identification émotionnelle entre plusieurs membres de dif- férentes sociétés et civilisations, mais il ali- mente également des rivalités et des contre- coups décivilisants. Savoir comment et dans quelle mesure ce rôle contradictoire est inter- prété demande une enquête empirique bien plus importante et une formation politique plus ferme basée sur des preuves à un niveau européen. Le sport, dans ce cas, agit à la fois comme colle sociale et comme produit toxique. Nous allons donc analyser cette signi- fication du sport d’un peu plus près. En examinant le phénomène sportif, il est évi- dent que les performances se font et se déve- loppent dans un réseau de nombreux détermi- nants structuraux et de conditions procédu- rales. Autrement dit, les compétences pra- tiques et la créativité dans le sport impliquent une relation mutuelle d’interdépendance avec

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