SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

des procédés structurels plus larges. En consi- dérant cela, il est nécessaire d’interroger la production, la distribution et l’accueil des per- formances athlétiques. Bien que les perfor- mances de Rafael Nadal soient très différentes de celles de Pablo Picasso, tous deux sont per- çus comme des individus particulièrement doués, des exceptions qui sortent des struc- tures sociales générales. Pourtant, le produit de leur talent, de même que la reconnaissance et l’accueil de leur travail sont profondément liés aux procédés sociaux. En mettant l’accent sur la réalisation culturelle du sport, on ne veut en aucun cas détruire la notion de génie, ou minimiser l’importance de la créativité, de l’expressivité, des expériences existentielles et des caractéristiques symboliques qui font par- tie du monde des sports. En réalité, les stars du sport occupent des fonctions puissantes pour les sociétés qu’elles représentent – après tout, c’est la société qui les « fabrique ». Alors que les Anglais ont « offert » le sport mo- derne au monde, au cours de la seconde moitié du 20e siècle, le déclin de la Grande-Bretagne en termes de politique et d’économie est allé de pair avec des performances d’un niveau ama- teur sur les terrains de sports (Maguire 2012b). De vieux rivaux se sont améliorés et de nou- veaux concurrents les ont dépassés sur le clas- sement international émergent ; on l’a vu no- tamment avec l’adoption par le bloc soviétique d’un système scientifique hautement rationnel La création du travail sportif : systèmes de production et de consommation

et technologique d’identification et de produc- tion de talents sportifs à partir des années 1950. Cette approche fut illustrée par le système spor- tif choisi par la République Démocratique d’Al- lemagne (RDA). Les éléments-clé de ce système consistaient en une sélection organisée scien- tifiquement et rationnellement de garçons et de fillettes dès leur plus jeune âge ; d’excellents établissements et une approche hautement pla- nifiée du coaching et des entraînements ; de larges réseaux de soutien de la part de scienti- fiques de différentes branches des sciences naturelles et sociales, ainsi qu’une focalisation toute particulière sur la réussite dans des sports spécifiques, dans lesquels un succès était plus probable, et où la participation de l’Allemagne était une tradition. Ce système, avec ses variations locales, a été adopté par l’Australie et le Canada à partir des années 1980 et, lors de la préparation aux JO de Londres en 2012, les Britanniques ont opté pour un modèle qui n’était pas sans rap- peler celui de la RDA. Néanmoins, alors que de plus en plus de nations assimilent tout ou presque des techniques susmentionnées, la compétition s’intensifie : le succès sportif est devenu l’équivalent d’une « course aux arme- ments » dans laquelle des ressources toujours plus importantes doivent être investies pour maintenir ou améliorer la position du pays sur le tableau des médailles. Quelle est donc la for- mule actuelle pour la production de succès sportifs au 21e siècle ? Les similarités entre les pays augmentent et un modèle officiel standardisé du dévelop-

pement du sport d’élite a fait son apparition. Ce dernier a été modifié pour s’adapter à l’his- toire locale, aux sensibilités culturelles et aux circonstances politiques contemporaines. Plu- sieurs éléments-clé de ce modèle standardisé ont été identifiés et regroupés en trois groupes distincts (Houlihan et Green, 2008; Green et Oakley, 2006). À l’évidence, la préoccupation initiale est la disponibilité de fonds et de res- sources pouvant provenir de l’État et/ou du secteur privé, mais qui doivent être assez éle- vés pour que l’athlète puisse être employé « à plein temps » (l’époque de l’élite des athlètes amateurs est loin derrière nous). La question des ressources est également liée à la qualité, l’accès et la mise à disposition de connais- sances scientifiques et médicales. L’efficacité de cet investissement a égale- ment un rapport avec l’existence ou non d’un système de planification et d’administration rationnel et bureaucratique. Un tel système est une composante nécessaire puisqu’elle permet l’existence d’une administration effective au sein des différents départements et intermé- diaires impliqués dans le procédé, mais aussi entre eux. Une telle approche assure le fait que des priorités effectives soient mises en place, que l’on procède à des détections et des iden- tifications, qu’une surveillance soit effectuée et que des évaluations « objectives » aient lieu. Un talent peut être détecté, des ressources al- louées, des récompenses distribuées et un sou- tien peut être fourni. Ces préoccupations s’ap- pliquent aux athlètes, aux entraîneurs et à l’administration sportive. Pour mener à bien

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