SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

PREMIÈRE PARTIE_CHAPITRE 2

l’une des épreuves qui séparent les champions des héros : l’épreuve du temps. Afin de com- prendre pour quelles raisons les champions signifient autant pour nous et l’impact qu’ils ont, nous devons réfléchir au rôle que joue le sport dans la société. Le sport, dans ce cas, est à la fois un monde à part, une interruption dans la vie quotidienne, tout en étant hautement symbolique de la so- ciété dans laquelle il existe. Dans le contexte sportif, on peut faire l’expérience d’un genre d’importance excitante que l’on rencontre rare- ment, voire jamais, dans la vie de tous les jours, tout en établissant un dialogue symbolique avec les autres participants ou spectateurs qui révèle des choses à propos de ce que nous sommes vraiment. En sport, nous sommes mis à nu d’une manière que nous dissimulons au quotidien. Le sport est une moralité moderne qui dévoile des vérités fondamentales à propos de nous en tant qu’individus, de notre société et de nos rapports aux autres. Le sport nous transporte alors émotionnellement et nous importe socialement (Maguire et al. , 2002). Le fait que le sport remplisse ces fonctions s’appa- rente à plusieurs origines concordantes et qui soulignent le rôle des champions. L’un des principaux caractères du sport est la fabrication et la consommation de formes agréables d’excitation (Elias et Dunning, 1986). Dans des sociétés de plus en plus régies par les règles et peu enclines au risque, les gens apprécient plusieurs sortes d’excitations

spontanées, élémentaires et irréfléchies, mais agréables. Dans le sport, que l’on soit partici- pant ou spectateur, les gens recherchent ce déblocage contrôlé des émotions. Ici, ces der- nières fusent librement et d’une manière qui extrait ou imite l’excitation vécue dans des situations de la vie réelle. Les sports sont alors des activités mimétiques qui fournissent un cadre fictif à part où les émotions peuvent jaillir plus facilement. Cette excitation est ob- tenue par la création de tensions qui peuvent supposer un « vrai » danger imaginaire ou contrôlé, de la peur et/ou du plaisir mimé- tique, de la tristesse et/ou de la joie. Ce déblo- cage contrôlé de l’excitation permet d’expri- mer dans ce cadre fictif différentes humeurs qui s’apparentent à celles ressenties dans des situations de la vie réelle. Nos champions y sont associés, en ce qui concerne leurs réus- sites techniques mais également en en ce qui concerne les émotions qu’ils ressentent et que donc, nous ressentons, lors d’un beau jeu ou d’une compétition palpitante. Les tie-breaks au tennis, les tirs au but en football ou les play-offs en « mort subite » au golf évoquent une série d’émotions, à tel point en effet qu’à la fin de la compétition, nous sommes épuisés émotionnellement. Et, contrairement à une pièce de théâtre ou un film bien joués, nous savons que ce dont nous ve- nons d’être témoins en sport est vrai, et que l’issue n’était pas décidée à l’avance. Parfois, les champions réalisent leurs rêves et les nôtres, mais à d’autres moments, il faut faire face à la tragédie de la défaite. Un champion comme

Rafael Nadal, lorsqu’il arrive sur le Court Cen- tral à Wimbledon, peut voir une plaque affi- chant le poème Si de Rudyard Kipling. Le poème dit : que l’on accueille triomphe ou dé- faite, il faut accueillir ces deux menteurs d’un même front. Il n’y a que lorsqu’un sport est associé à des questions d’une profonde importance culturelle et personnelle, qu’il devient impor- tant aux yeux des supporters (Nixon et Frey, 1996). C’est pourquoi les événements sportifs majeurs sont des spectacles mythiques où l’on donne l’opportunité aux supporters d’une par- ticipation collective et d’une identification, des raisons de célébrer et de renforcer un sens culturel partagé. C’est précisément parce que le sport est un monde à part qui interrompt celui de tous les jours qu’ils sont à même de célébrer ce sens culturel partagé, exprimé et incarné par des champions. L’hymne, l’em- blème et le drapeau associés aux compétitions sportives soulignent à quel point les cham- pions représentent des nations (Maguire et Tuck, 1999). L’équipe anglaise lors de la Coupe du Monde de football en 1966 est devenue championne du monde, mais on lui accordait également un héroïsme collectif. Son succès a survécu au passage du temps, il émeut tou- jours les supporters anglais. Mais ce sont peut-être les images emblématiques de Bobby Moore qui restent gravées dans les mémoires. Voilà qui donne une idée de ce que le symbo- lisme du sport et du rôle joué par le champion est encore plus intense qu’un simple senti- ment de nationalisme et de patriotisme. Bob-

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