SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

SPORT ET PAIX BRUCE KIDD / Canada

logue Norbert Elias (2000) a appelé « proces- sus de civilisation ». La plupart des sports actuels sont bien moins violents et plus sûrs que leurs prédécesseurs un siècle auparavant. (Elias & Dunning, 1986). Mais ils encouragent encore un esprit martial, exploitent les idéolo- gies de la différence et l’inégalité, et nour- rissent les passions de la guerre. Pendant la première guerre mondiale, les événements sportifs de nombreux pays étaient les chantiers d’une intense propagande et ser- vaient à recruter des soldats et des œuvrants à l’effort de guerre ; le lien symbolique entre le sport et le militaire est encore renouvelé de nos jours lors des cérémonies entourant les championnats parmi les plus importants. Le sport continue également de contribuer à d’autres discours de haine et de subordina- tion, particulièrement de misogynie et de ra- cisme (Coakley, 2001). En Ex-Yougoslavie, le groupe des supporters de football de l’Étoile Rouge de Belgrade était à la tête du militan- tisme nationaliste serbe qui a contribué à la guerre civile génocidaire (Foer, 2004). Pourtant à chacune de ces périodes, les sports ont également occasionné trêves et di- plomatie. L’exemple le plus connu est celui de la « trêve olympique » dans l’Antiquité, qui vi- sait à assurer la sécurité sur le passage des ath- lètes et des spectateurs qui se rendaient aux Jeux Olympiques, et interdisait l’invasion d’Élis, cité-État où se trouvait l’Olympie, pendant la période des Jeux. À l’époque comme au- jourd’hui, les Jeux Olympiques étaient une anti- chambre de la diplomatie entre les élites ras-

semblées. L’archéologue Stephen Miller (2012) a même soutenu que les conditions de l’athlé- tisme antique, en particulier la nudité des concurrents, avaient participé à l’idée d’une isonomie , « la même loi pour tout le monde », et au développement de la démocratie. Vers la fin du 19e siècle, l’un des objectifs de Pierre de Coubertin en créant des Jeux Olympiques modernes était d’initier la forma- tion de réseaux internationaux qui génère- raient une masse critique d’entente intercul- turelle qui servirait de frein à la guerre. Ainsi que l’a montré Dietrich Quanz (1993), Couber- tin était profondément influencé par le mou- vement pacifique international. Durant le pre- mier hiver de la première guerre mondiale, une passion partagée pour le football des deux côtés des tranchées a donné lieu à une « trêve de Noël » spontanée. Nombre des soldats par- ticipants avaient appris à jouer dans des clubs amateurs ou socialistes, sur des terrains pu- blics ou dans des organisations comme la Young Men’s Christian Association, qui pro- mouvait le sport comme moyen d’améliorer l’éducation des jeunes et réduire les conflits sociaux (Brown & Seaton, 1994). L’effort pro- bablement le plus ambitieux jamais fourni pour défaire le lien entre sport et agression, et pour démocratiser les compétences et les joies qu’il procure, étaient les Olympiades Ou- vrières organisées pendant l’entre-deux guerres par la Confédération Sportive Interna- tionale Travailliste et amateur, dont le cente- naire est commémoré dans ce volume. Les Olympiades Ouvrières ont été placées sous la

Introduction Les sports ont toujours été en rapport com- plexe et contradictoire avec les conflits so- ciaux. Dans la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, les compétitions athlétiques et les épreuves de force physique que nous asso- cions aujourd’hui au sport étaient directement liées à l’agression, la conquête et la subordina- tion. Pour les Grecs de l’Antiquité, dont les jeux sacrés nous ont apporté le paradigme des Jeux Olympiques modernes, « l’athlétisme était une préparation à la guerre, la guerre une préparation à l’athlétisme ». Les compétences et l’idéologie de la masculinité prédatrice qu’ils glorifiaient préparaient les hommes au combat et contribuaient au système d’escla- vage misogyne qui rendait possible l’existence des cités-États grecques (Kidd 1984, Golden 2011). On peut dire la même chose des joutes et des tournois à l’époque féodale : les techno- logies, les organisations et les valeurs qu’ils stimulaient étaient inextricablement liées aux guerres médiévales et au procédé de création et de régulation des hiérarchies de classe, de sexe, d’ethnie et de religion de ces sociétés. Dans les temps modernes, un effort concerté et continu a été fourni pour limiter la violence des sports ; la conséquence d’un pro- cessus sociologique plus large, que le socio-

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