SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

LE SPORT OUVRIER COMME MOUVEMENT POPULAIRE Un aperçu sociologique NICOLA PORRO / Italie

tives, on obtient plus facilement une réponse affirmative. L’expérience de la CSIT ou, mieux, de ses diverses dénominations telles que ISO (Internationale Sportive Ouvrière, 1913), ISOS (Internationale Sportive Ouvrière Socialiste, à partir de 1920) et plus tard, CSIT (à partir de 1946), est exemplaire. D’une part, nous avons affaire à des organisations populaires mon- trant et revendiquant leur appartenance so- ciale et politique à la classe ouvrière et aux mouvements internationaux socialistes et pro-travaillistes. D’autre part, ce profil idéolo- gique et culturel accentué place le Mouvement Sportif Ouvrier (MSO) dans un sous-système politique capable de façonner les allégeances sociales et les identifications collectives. En bref, la relation entre mission sportive à part entière et identité politique mise en évidence a tenu le rôle d’une source de légitimité. En même temps, elle a représenté l’interaction basique à l’origine de tous les développements fondamentaux sur le plan structurel du mou- vement. L’originalité de cette expérience est déjà clairement perçue et relevée dans la dé- claration officielle tenue à la fin des deuxièmes Olympiades Ouvrières à Vienne (1931).Tout en exprimant leur satisfaction et leur fierté pour la réussite de cet événement – plus de 100 000 participants venus de 26 pays – les instiga- teurs des mouvements ont proclamé les orga- nisations sportives « quatrième grande force au sein du mouvement travailliste internatio- nal » aux côtés des syndicats, des partis socia- listes et des coopératives. Cette déclaration peut être interprétée comme une réponse poli-

tique à la question sociologique soulevée ci- avant. Au cœur d’une période politique désas- treuse, alors que l’Europe se laissait entraîner dans un scénario totalitaire et que le mouve- ment ouvrier était égratigné par le jugement sur le déroulement de la révolution russe, les organisations sportives socialistes semblaient se présenter comme des acteurs sociaux conscients. L’ISOS a précisé sa mission de sou- tien (i) d’une philosophie axée sur le conflit, de refus (ii) de l’ordre social bourgeois, d’op- position (iii) aux élites politiques nationales conservatrices et de combat (iv) contre les inégalités. En d’autres termes, nous avons exactement affaire aux quatre caractéristiques constituantes d’un mouvement social selon la théorie d’Alain Touraine (1984). Mission et développement du MSO Chacune des composantes de la mission origi- nale doit toutefois être remise dans son contexte historique. L’attitude d’opposition au pouvoir, par exemple, est plus ou moins parta- gée par la majorité des organisations sportives populaires fonctionnant au cours des pre- mières décennies du 20e siècle. Elle dérive d’une autoreprésentation accentuant les diffé- rences entre les pratiques du sport travailliste et les activités de loisirs de l’élite étudiées par Veblen (1899), Risse (1921) et plus tard par Bourdieu (1979) avec sa théorie de l’habitus, ainsi que dans l’analyse du rapport entre les civilisations occidentales et la sportivisation, d’Elias (1986). Cette attitude est partagée par tous les principaux groupements idéologiques

Une question préliminaire Peut-on considérer le sport dans son ensemble comme un mouvement populaire en s’ap- puyant sur des théories sociologiques existant au sujet des actions sociales ? On peut débattre à ce propos, car la réponse exacte doit se rap- porter aux histoires d’organisations spéci- fiques et les caractères divers des mouvements sportifs européens. La référence à l’Europe ne doit pas être comprise comme une approche ethnocentrique du problème. En réalité, c’est en Europe et depuis le 19e siècle que le phéno- mène dit de la « sportivisation » (ou « sporti- sation ») induit une relation étroite avec les trois caractéristiques principales de la moder- nisation : la nationalisation, l’industrialisa- tion et l’urbanisation. Donc, si nous analysons spécifiquement les organisations de travailleurs qui se sont mobilisées pour promouvoir les activités spor-

70