SPORT, PAIX ET DÉVELOPPEMENT 1913 -2013

PREMIÈRE PARTIE_CHAPITRE 5

dont l’apparition est un effet politique de la construction de la nation, l’industrialisation et la sportivisation : les organisations populaires chrétiennes, les organisations nationalistes ou encore socialistes. Ces mouvements exercent un rôle crucial en dehors des organisations sociales populaires auxquelles elles appar- tiennent. Mosse (1974) a décrit les Turnvereine comme étant l’un des piliers de la construction de la nation allemande. Arnaud (1994, 1997) a étudié le développement des organisations françaises de sport ouvrier en conservant et en mettant à jour « l’idéologie républicaine » en France. Fabrizion (2009, 2011) a montré l’in- fluence des organisations sportives catho- liques dans la promotion d’une opposition de contre-culture face au nouvel État libéral en Italie. En revanche, seuls les socialistes ont inscrit la question de l’égalité parmi leurs ob- jectifs annoncés. Cela a eu un sens particulier dans l’évolution du sport en général dans l’Eu- rope occidentale, contribuant à l’élaboration d’un sport libéré de l’empreinte aristocrate des premières heures de la sportivisation et fixant une limite contre l’utilisation instrumentali- sante des méthodes du sport travailliste prati- quée par les régimes réactionnaires pendant l’entre-deux guerres (Bolz, 2008). Ce rôle qu’a joué le MSO dans le franchis- sement des limites de l’ancienne sportivisa- tion – y compris l’idée que la pratique du sport est un privilège réservé aux sportifs d’élite – peut expliquer la faveur exprimée par Couber- tin lui-même, lorsqu’en 1926, il fait l’éloge du MSO en tant qu’initiateur véritable d’une nou-

velle pédagogie puisque « […] la pédagogie bourgeoise a échoué, et le monde attend cette innovation » (lettre de Pierre de Coubertin à Jules Devlieger, président de Labour Sports, Lausanne, le 5 août 1926, comme cité dans Deveen 1996, 32). Cette relation entre un mouvement sportif populaire, la philosophie de l’olympisme et son réseau d’organisation peut mettre en lu- mière un autre aspect intéressant et étonnant du sport ouvrier. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, son attitude envers les gouverne- ments bourgeois et la politique en général pouvait être étendue aux organisations spor- tives officielles elles-mêmes. Le MSO visait à s’intégrer au réseau de compétitions interna- tionales sans pour autant renoncer à promou- voir un modèle de pratique du sport différent, plus social. Cela veut dire que, tout comme les partis social-démocrates et les organisations populaires pro-travaillistes entre les deux guerres, sa Weltanschauung peut être assimi- lée à la typologie de l’intégration négative défi- nie par Otto Kirchheimer (1976) dans son ana- lyse de la crise de la République de Weimar et les causes de la montée du nazisme et du fas- cisme en Europe occidentale. En d’autres termes, le mouvement a accepté de participer au développement de pratiques sportives pro- mues par les États et a largement encouragé les interventions publiques en faveur d’une am- plification démocratique de la citoyenneté sportive. Il a également anticipé des questions qui deviendraient primordiales à l’issue de la

guerre, comme l’intégration totale des femmes dans le système sportif. Ce faisant, le mouve- ment a continué longtemps à se percevoir lui- même, sa mission et ses organisations popu- laire comme l’expression d’une représentation alternative de la société, par opposition à la bourgeoisie. Ainsi, tandis que l’ISR commu- niste (Internationale Sportive Rouge) tentait de construire un réseau sportif complètement autonome par opposition à « l’olympisme de l’élite », l’ISO et l’ISOS ont cherché à être re- connues comme des acteurs du réseau olym- pique élargi. Cette question a longtemps constitué l’une des controverses débattues au sein du système olympique international. En effet, ce n’est qu’en 1986, exactement soixante ans après la déclaration de Coubertin précé- demment citée, que la CSIT a été reconnue élé- ment officiel du système olympique. Ce rap- port controversé (concernant d’une part l’attitude à l’égard des institutions politiques, d’autre part à celui des membres de l’organisa- tion du système olympique) nous encourage à accentuer une caractéristique sociologique ori- ginale du MSO. Elle consiste en une intégra- tion négative fière aux systèmes politiques – persistants jusqu’aux années 50 – et en même temps, en une sorte d’adaptation isomorphique (Di Maggio & Powell, 1983) au système sportif international à proprement parler. Si nous analysons les motifs structurels de l’ISOS et en particulier de la CSIT de l’après-guerre, on peut facilement retrouver cet isomorphisme dans la structuration interne des programmes et des initiatives dédiés à l’amélioration des compé-

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