Journal C'est à dire 210 - Mai 2015

L A P A G E D U F R O N T A L I E R

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Zénith, 150 ans, toujours au firmament L’entreprise fondée en 1865 fait partie intégrante de la ville du Locle et de son patrimoine. C’est l’une des dernières manufactures horlogères suisses restée fidè- le à ses attaches locales. Un vrai défi. 270 personnes, dont la moitié sont des fron- taliers, travaillent dans des bâtiments transpirant l’histoire et la modernité. Visite. Le Locle

D epuis la fenêtre de l’atelier de “prototypie”, là où sont confection- nées les montres Zéni- th de demain, les salariés aper- çoivent l’ancienne demeure de Gabriel Favre-Jacquot, fondateur de cette société vieille de 150 ans, décédé en 1917. Chez Zénith, l’ombre du créateur de lamarque plane encore sur la fabrique et transpire les murs. C’est cet hom- me, éclairé, qui est devenu capi- taine d’industrie. Jusqu’à 1 100 salariés ont été employés ici au cœur du Locle en 1920, au plus fort de l’activité. Si les 18 bâtiments et leurs façades n’ont pas bougé car clas- sés pour certains au patrimoi- ne mondial de l’U.N.E.S.C.O., Histoire 1978 : quand Zénith a failli disparaître… En 1971, lʼentreprise américai- ne Zenith Radio Corporation sʼempare de Zénith uniquement à cause de son nom. En 1978, la société américaine décide dʼarrêter la production de mou- vements mécaniques. À la fin de la même année, Zénith est vendu au groupe suisse Dixi. Ce nʼest que grâce aux efforts “héroïques” de lʼhorloger Charles Vermot, qui réussit à cacher plans, presses et composants des mouvements mécaniques de la marque (y compris le légendaire calibre El Primero) dans un bâtiment, que Zénith a pu reprendre la production de ses mouvements mécaniques dans les années 1980. Sans Charles Vermot, Zénith aurait perdu tout son savoir-faire. Un musée va lui être consacré.

l’intérieur de la manufacture a quant à lui été bouleversé. La chaleur des machines à com- mandes numériques est récu- pérée pour alimenter un réseau de chauffage. C’est innovant. Mais les horlogers ont gardé la même rigueur dans leur tra- vail. La même passion : “Ce sont des mouvements exceptionnels sur lesquels je travaille…” témoigne Dora depuis son pos- te de l’atelier “réglage”. C’est ici que les “cardiologues” de la montre contrôlent les mouve- ments El Primero avant qu’ils ne soient transmis à l’assemblage final et ensuite envoyés aux dis- tributeurs. Le prix d’une Zénith varie entre 4 100 et 300 000 euros pour la plus chère. “La tranche de prix dans laquelle nous sommes les plus forts varie de 5 000 à 10 000 euros” témoigne une représentante de la marque. Environ 100 montres par jour sont produites dans ces ateliers répartis sur différents niveaux. Près de 80 corps de métier sont comptabilisés. Et chacun a sa spécificité comme l’atelier méca- nique où débute la fabrication proprement dite. Quatre per- sonnes y travaillent, dont deux pourquoi l’un de ces artisans est surnommé dans la société “Main d’or”. Outre les poinçons qu’il fabrique par enfonçage (une spé- cialité Made in Zénith), “Main d’or” fabrique les étampes pour le façonnage des composants de très petite taille en acier com- me les bascules, les tirettes, les ressorts. Un travail mis en relief par l’atelier de décoration, situé un peu plus loin. Concentré sur son établi, un arti- san réalise “les traits tirés”. Grâ- ce à la pression de sa main, il effleure avec un papier abrasif les pièces et leur donne un côté spécialistes. Ces faiseurs “d’étampes”, magiciens de la mécanique totali- sant à eux deux 90 ans d’expérience, sont capables de réaliser des miracles.Voilà peut-être

authentique mis en valeur par la salariée qui réalise le dia- mantage (donner à la pièce la forme voulue et la rendre brillan- te). “Cela paraît simple mais il faut garder la même pression, témoigne depuis son poste le fai- seur de traits. Si vous êtes mala- de, mieux vaut ne va pas venir au travail au risque de tout gâcher…” dit-il. Les salariés ont le souci de bien faire. La pression ? Sans dou- te l’ont-ils. Pour autant, chacun organise sa pause comme il l’entend. S’il faut “badger” pour rentrer ou sortir de son poste de travail, chacun s’organise. Il n’y a pas de travail de nuit. Sur les La moitié vient de France. Si les maîtres horlogers sont respon- sables de A à Z des grandes com- plications, ils ne maîtrisent pas le marché. Comme toutes les marques de la place, la manu- facture a connu un repli en début d’année sur ses ventes. De quoi les motiver pour inventer de nou- velles inventions comme la montre à tourbillon, la seule montre qui défie la gravité. Un concentré de technologie avec une dose d’authenticité. À 150 ans, Zénith est un doyen dans la force de l’âge. E.Ch. En chiffres 18 bâtiments sur la même parcelle, situés rue des Billodes au Locle depuis 1865 Prix dʼune montre Zénith : de 4 100 à 300 000 euros 300 brevets déposés 600 déclinaisons de mou- vements 2 333 prix remportés dans le domaine de la chronométrie 270 employés que comp- te actuellement la manu- facture, 200 travaillent à la production, les autres au marketing, recherche et développe- ment, commercialisation.

Les ateliers de la manufacture.

Aldo Magada, C.E.O. de Zénith “Les baisses de volume nous obligent à réagir” Ancien directeur international des ventes chez Breit- ling, Aldo Magada dirige Zénith depuis juillet 2014 avec l’objectif de donner une nouvelle identité à la marque. Il évoque la conjoncture.

Environ 100 montres par jour sont produites.

C est à dire : L’actualité de Zéni- th, ce sont les 150 bougies que vous soufflez. Au-delà de cet anniversai- re, comment se porte la marque ? Aldo Magada (directeur) : La situation du marché est la même pour Zénith comme pour les autres horlogers : c’est du challenging. Le premier semestre a été difficile avec le décalage du franc par rapport à l’euro et au dollar. Il faut réagir. Càd : Comment ? A.M. : Nous avons harmonisé les prix avec des augmenta- anarchique des monnaies, d’avoir un prix public compa- rable entre les différents pays. Cela permet de garder une com- pétitivité pour les clients locaux et cela protège notre réseau de distribution. Càd : Inquiet par ce retour- nement du marché ? A.M. : Il n’y a pas péril dans la survie de l’entreprise ni pour les autres entreprises horlo- gères. Mais les baisses de volu- me nous obligent à réagir. La grande question est de rester compétitif sachant que nous faisons 100 % de nos produits et composants en Suisse. Nous tions en zone euro et sur le yen japonais et des baisses sur certaines monnaies. Nous faisons en sorte, malgré le côté

devons protéger notre outil de production et les gens qui y tra- vaillent car ils sont de qualité, ont été formés. Càd : Quelle est votre poli- tique en matière de prix des montres ? A.M. : Les gens confondent un prix élevé avec une valeur éle- vée. Il n’y a pas de homard au prix de la crevette. Quand cer- tains disent que des montres à 1 000 euros c’est de l’horlogerie de luxe, c’est du mensonge. Càd : Zénith pâtit - encore - d’un manque d’image par facture. C’est une force. D’un autre côté, c’est à double tran- chant car nous sommes qua- lifiés comme des fabricants de mouvements. Notre mission est d’être la manufacture du El Primero mais aussi la marque avec la visualisation d’un pro- duit comme l’Open 69. Càd : Voulez-vous augmen- ter la quantité de montres produites ? A.M. : Nous ne donnons pas les volumes de montres car nous travaillons pour un groupe (L.V.M.H.). Nous sommes une marque de niche à quelques dizaines de milliers de pièces. rapport à des Rolex ou Jaeger. Est-ce votre sentiment ? A.M. : Nous avons cet- te image de manu-

Aldo Magada dirige Zénith depuis un an.

On peut augmenter sans que nosmontres perdent de la valeur. L’avantage d’un actionnaire com- me L.V.M.H., qui a une cultu- re du luxe, c’est d’avoir une vision à moyen et long terme. Càd : Avez-vous peur de la montre connectée ? A.M. : La smartwatch, on la fait depuis 150 ans. Ce n’est pas une nouveauté l’Applewatch. Ils vont prendre une part de marché importante mais ce sera un segment. Un consommateur Zénith peut avoir une Apple et une Zénith. Sauf que nous, on n’a pas besoin de recharger toutes les 19 heures notre montre (rires). Càd : L’actualité montre que des sociétés suisses se sépa- rent en premier des fron- taliers. Votre point de vue. A.M. : La moitié de nos sala- riés sont frontaliers. Je choisis des gens qui sont motivés, qua- lifiés, passionnés. On veut que les gens se sentent bien même si on n’est pas Disneyland. Càd : Des embauches à venir ? A.M. : Il n’y a pas une volon- té d’augmenter le périmètre de l’entreprise actuellement du fait de ce manque de clarté. On joue la prudence.

“On joue la prudence.”

Les bâtiments de Zénith où sont conçues et fabriquées les montres sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.

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