La Presse Bisontine 66 - Mai 2006

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Éditorial

I NSÉCURITÉ

Fin de la police de proximité

Autisme Mardi 11 avril, 18 heures, au petit Kur- saal de Besançon. Le comité de quar- tier de la Boucle a convié riverains et commerçants à une réunion-débat qui s’avère houleuse puisqu’elle touche la corde sensible par excellence de tous les usagers du centre-ville : les travaux. Dans la salle, des rangées de chaises… désespérément vides. Au total, onze curieux, une commerçante seulement (!), ont assisté à l’exposé présenté par le service voirie de la ville de Besan- çon. Une fois encore, le dialogue sera impossible. Bien sûr on peut fustiger les commerçants bisontins d’être absents, eux qui sont souvent prompts à se lamenter à la perspective du moindre coup de pioche dans les rues du centre-ville. On peut enmême temps juger totalement inopportun de convo- quer des commerçants à 18 heures, eux qui sont à cette heure-là tous affai- rés à faire tourner leurs enseignes. Cet épisode fâcheux est une nouvelle illus- tration des énormes difficultés de com- munication qu’entretiennent toujours les élus et une partie de leurs admi- nistrés. Le constat est parfaitement identique sur un autre sujet, différent mais néanmoins voisin, du transport en commun dans l’agglomération bison- tine, également évoqué dans ce numé- ro. D’un côté on entend des élus qui martèlent à l’envi, presque obstiné- ment, que le seul salut viendra du déve- loppement des transports en commun et que par conséquent ils n’ont d’autre choix que de solliciter les industriels de l’agglomération pour financer les futurs réseaux. À côté, ces mêmes industriels englués dans leurs soucis de gestion quotidiens et écartelés par l’augmentation régulière des ponctions financières et une conjoncture écono- mique morose n’admettent pas que la collectivité fasse appel à eux pour une nouvelle fois mettre la main à la poche. Une fois encore, le dialogue est tota- lement absent entre deux catégories de la population qu’un abîme semble séparer. Voilà peut-être une nouvelle forme de fracture sociale - voire socié- tale -, une sorte d’autisme mutuel entre deux mondes qui ne parlent pas le même langage. Sans doute sont-ils de part et d’autre de bonne foi, cha- cune des parties défendant ce qu’elle pense être juste. Seulement, malgré les efforts déployés enmatière de consul- tations, de réunions publiques ou d’ac- tions de communication, “l’élite poli- tique” s’éloigne inexorablement de sa “base populaire”. J ean-François Hauser

“Tous les gouvernements se sont cassé les dents sur la délinquance”

Politologue spécialiste de la délinquan- ce, Sébastien Roché a participé mi-avril aux rencontres des politiques de la vil- le de Besançon autour de l’insécurité. Pour lui, la crise des banlieues aurait pu être évitée si une réelle police de proxi- mité avait été mise en place.

L a Presse Bisontine : Le ministère de l’Intérieur prô- ne la stratégie de la tolé- rance zéro. Est-ce la solu- tion pour faire diminuer la criminalité ? Sébastien Roché : Il n’y a pas de

suscitée dans les quartiers, les policiers ont dès le début choisi une logique d’affron- tement en présentant la ver- sion officielle des événements. Un signe d’apaisement à ce moment-là aurait pu calmer les esprits. C’est comme un incendie, si on n’intervient pas dès les premiers instants, ensui- te on ne peut plus rien contrô- ler. Les banlieues ont été les grandes oubliées depuis 2002. Lors de sa réélection, Jacques Chirac avait fondé la majeu- re partie de sa campagne sur la lutte contre la fracture sociale et a beaucoup déçu ensuite dans les quartiers. Car les banlieues n’apparte- naient pas aux priorités affi- chées par le ministère de l’In- térieur. Maintenant, la situation a peut-être un peu changé par la force des choses. Mais l’idée - et l’objectif prin- cipal - de Nicolas Sarkozy a été principalement de faire diminuer les chiffres globaux de la criminalité, d’avoir un impact sur les statistiques. On a mis la priorité pour fai- re baisser le nombre de vols d’autoradios mais on n’a pas pris la peine d’améliorer la relation entre la police et les habitants de banlieue, que soient d’ailleurs les jeunes ou les personnes âgées, les familles qui y habitent. On a préféré la quantité à la qua- lité. Cela soulève des ques- tions sur la capacité duminis- tère d’adopter une vision globale des problèmes. On a juste regardé les bons résul- tats et oublié le travail de fond.

grande trans- formation en fait. Ce qu’il y a, c’est un chan- gement de la communication

“Les policiers ont choisi une logique d’affrontement.”

de la part du ministère de l’Intérieur, c’est vrai. Mais sinon, si on se fie aux chiffres, depuis 1995 on a connu trois fois des baisses de la délin- quance. Ce n’est pas du tout un phénomène nouveau ou exceptionnel. En fait, la cri- minalité est restée à un niveau assez similaire depuis une vingtaine d’années, et on assiste parfois à des hauts plateaux de délinquance. Tous les gouvernements s’y sont cassé les dents. Et cette année, on a tout de même vécu les plus grosses émeutes que la France ait connues depuis cinquante ans. Donc voilà le bilan aujourd’hui. Est-ce que l’on appelle cela un bilan posi- tif ou négatif, à chacun son opinion. L.P.B. : Pourtant, la criminalité a changé. Selon les chiffres du minis- tère de l’Intérieur, la délinquan- ce des jeunes notamment a aug- menté. Est-ce un changement de nature de la criminalité ? S.R. : Certes, il y a eu des chan- gements. Pour les émeutes, on n’a jamais connu une extension aussi importante en durée, au plan géogra- phique et en coût, des dégâts occasionnés. Il y a une natu- re différente du problème. Pareil pour les violences phy- siques qui sont en augmen- tation ou la participation des mineurs dans la délinquan- ce. Mais on ne peut pas vrai- ment parler de nouveaux phé- nomènes, cela fait maintenant 15 ou 20 ans qu’on les a déjà bien identifiés, qu’on les connaît. L.P.B. : Comment analysez-vous les émeutes qui ont embrasé les banlieues françaises en octobre dernier ? S.R. : Il y a deux facteurs qui ont joué. Un incident au début qui est très grave et ensuite une communication qui est mauvaise de la part duminis- tère. Par rapport à l’émotion

Pour le politologue Sébastien Roché, “les banlieues ont été les grandes oubliées depuis 2002.”

ritairement peuplé de per- sonnes d’Afrique subsaha- rienne, la police si elle veut réussir à tisser des liens avec cette population, doit avoir la capacité de les comprendre, d’entrer en communication avec eux. Ça passe peut-être par des interprètes, la com- préhension des différentes cultures. Sinon, on n’arrive- ra à rien sur le terrain. Il faut faire de ce travail en amont une priorité. L.P.B. : À la suite des émeutes dans les années quatre-vingt, la police britannique a favorisé le recrutement de fonctionnaires issus des communautés immi- grées. Est-ce un exemple que pour-

rait suivre la France ? S.R. : Cela peut être un élé- ment, mais cela ne fait pas toute la légitimité. Même si vous avez un policier noir, si celui-ci n’a pas pris le temps de parler avec les associa- tions locales, les concierges, etc., cela ne lui donnera pas de contacts en plus. Le recrutement est une chose. Mais si on ne change pas les pratiques de la poli- ce, on aura beau changer la couleur de peau des fonc- tionnaires, on n’améliorera pas les choses.

pas compris l’importance de la police de proximité. Pour- tant, dans tous les autres pays qui ont connu des émeutes similaires à celles qui ont embrasé les banlieues en octobre, on s’est déjà posé la question de la meilleure réponse à apporter à ces crises et on a mis en place des dis- positifs de proximité. Mais en France, on ne fait rien.

L.P.B. : Pour quelle raison ?

S.R. : On ne s’est pas donné les moyens d’être là sur le terrain. Derrière le tra- vail de police, de répression, il y a tout le côté essentiel des bonnes relations

“On a juste regardé les bons résultats et oublié le travail de fond.”

L.P.B. : Est-ce que la fin de la police de proximité dans les quartiers a joué un rôle important ? S.R. : Ça y a par- ticipé, c’est cer- tain. Mais Sar-

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Propos recueillis par S.D.

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Politologue, directeur de recherche au C.N.R.S., il a été aussi secrétaire général de la société européenne de criminologie. Il a publié entre autres “Police de proximité : nos politiques de sécurité” au Seuil en 2005 et “Tolérance zéro ? Incivilités et insécurités ?” chez Odile Jacob en 2002. Il est aussi enseignant à l’école nationale supérieure de la poli- ce et expert pour le ministère de la Justice. Sébastien Roché… en bref

avec la population, pour ins- taurer une vraie confiance. Et c’est quelque chose qui ne peut se faire que bien avant la crise, bien sûr. À Paris, à Évry, à Clichy, et même à Besançon - même si c’est dans une moindre mesure -, vous avez une fragmentation eth- nique des quartiers. Dans un quartier, par exemple, majo-

kozy n’est pas le seul responsable sur la question de la mort de la police de proximité. Elle était déjà très mal en point avant sous les gouvernements de gauche. Disons qu’il a juste débran- ché la perfusion qui la main- tenait en vie. Mais ça a été une erreur grave, le ministre de l’Intérieur n’a absolument

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Crédits photos : La Presse Bisontine, Blackwaters, C.F.A. Hilaire-de-Chardonnet, C.G. 90, I.N.R.A.P., Ville de Besançon.

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