La Presse Bisontine 74 - Février 2007

L’INTERVIEW DU MOIS

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Éditorial

SPORT

Agence mondiale antidopage

“Cela devient de plus en plus difficile de se doper”

Visionnaire Vauban, un homme d’exception, un patri- moine pour l’Humanité. C’est ainsi que Besançon fanfaronne et célèbre son héros. Celui qui, envoyé par Louis XIV pour fortifier les confins du royaume, doit sortir, trois cents ans après sa mort, la capitale comtoise de sa langueur grâ- ce à une inscription - espérons-le pour 2008 - sur la liste des sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Au même titre que le Mont Saint-Michel ou que le canal du Midi. Ce long chemine- ment, voulu par Jean-Louis Fousseret, après que certains proches lui ont souf- flé l’idée à l’oreille - Paulette Guinchard fut de ceux-là - est sans doute lameilleu- re initiative du maire de Besançon en faveur de sa ville. Et certainement de bien de ses prédécesseurs. Parmi les autres bonnes idées, plus confidentielles pour l’instant mais toujours à vocation promotionnelle pour la ville, figure dans le programme “Besançon 2020” la pers- pective de redonner à la capitale com- toise son ancien statut de ville d’eau qui lui a valu, il y a une centaine d’années, l’appellation plutôt “vendeuse” de Besan- çon-les-Bains. Et pourquoi pas ? Seu- lement, lemaire actuel hérite hélas d’une situation peu glorieuse sur le plan de la préservation du patrimoine. Si Besan- çon - on s’en enorgueillit assez - garde le privilège de présenter un des centres sauvegardés les plus vastes de France, la ville a sérieusement souffert, sans que sur une génération on ait assez de recul pour s’en apercevoir, de destructions en tout genre ou d’édifices qui ont défi- guré son visage historique. Qui se sou- vient aujourd’hui, sinon les plus anciens, qu’à l’image de l’antique Porte Noire vers Saint-Jean, Besançon était ponc- tuée de nombreuses autres portes - Arènes, Battant… - que les maires suc- cessifs se sont échinés à démolir pour y faire passer le progrès ? Le funiculai- re ou les thermes justement sont d’autres œuvres que la modernité avait relégué parmi les vestiges inutiles. Un maire visionnaire est certainement celui qui sait deviner que les choses inutiles ou passées de mode peuvent des décen- nies plus tard devenir les atouts inesti- mables de l’attractivité d’une ville. À ce titre, ni Jean Minjoz ni Robert Schwint pour ne citer que ses prédécesseurs, tout auréolés qu’ils soient de louanges, n’ont su avoir la clairvoyance patrimo- niale. L’actuel maire semble en être aujourd’hui mieux doté.

L a Presse Bisontine : L’été dernier, on a entendu plu- sieurs voix de sportifs mais aussi de médecins s’ex- primer en faveur d’un dopage encadré par des méde- cins. Qu’en pensez-vous ? Alain Garnier : C’est inacceptable pour des raisons éthiques et purement médicales. Souvent, derriè- re cette thèse, il y a des arguments erronés, voire une incitation au dopage qui n’ont rien à voir avec la santé du sportif. Pour le médecin du sport, le dopage pose un certain nombre de questions de fond, qui sont aussi des enjeux de société : quelles sont les limites légitimes à l’intervention médica- le chez un homme sain ? On sait par exemple que demain la thérapie génique va pouvoir vraiment modifier l’homme. L’autre question, c’est quelle est la place de l’homme dans le sport moderne qui s’ins- crit de plus en plus dans le débat politique et éco- nomique général. Si l’on considère que le sportif fait partie intégrante d’une dimension économique, alors le rôle du méde- cin est d’adapter le sportif à cet enjeu, quelles qu’en soient les coûts pour la santé et on en arrive à la conclusion que le dopage est incontournable. Mais bien sûr, je ne partage pas du tout cet avis. Pour moi, c’est le sport que l’on doit revoir à la baisse et adapter à l’homme. Ce qui signifie revoir le nombre de compétitions, les plages de repos. Quand on prend l’exemple du tennis, les charges de travail, les déplacements en avion incessants, etc., ne sont pas tout à fait en accord avec les règles physiolo- giques de base. Pareil pour le football où les phases de récupération sont de plus en plus limitées. Cela ne veut pas dire qu’il faut bouleverser les calen- driers mais un même sportif n’est pas obligé de jouer tous les matches. Une équipe peut tourner avec son effectif. La question est : est-ce qu’on veut changer le sport ou changer l’homme ? L.P.B. : Certains arguent que puisque le dopage ne pourra jamais être éradiqué, autant l’encadrer pour limiter les risques encourus par les sportifs… A.G. : C’est répondre à une vraie question par une mauvaise réponse qui est aussi hypocrite. C’est faux de dire que le dopage serait moins dangereux s’il était encadré. L’usage de tout médicament, quel que qu’il soit, comporte des risques. Le médecin doit évaluer le rapport entre les bénéfices et les Alain Garnier, originaire de Besançon, la lutte contre le dopage progresse. Même si des lacunes existent encore. Cas Floyd Landis sur le tour de France, scandale du dopage sanguin en Espagne. En 2006, le dopage a fait la une de l’ac- tualité. Pour le directeur médical de l’agence mondiale antidopage à Lausanne (A.M.A.), le docteur

Pour le docteur Alain Garnier, “parler de dopage médicalisé, c’est inacceptable.”

risques. Dans le cadre du dopage, il n’y a aucun bénéfice pour la san- té du sportif. L.P.B. : L’A.M.A. autorise certains médica- ments selon les pathologies des sportifs. Mais on s’aperçoit que dans certaines dis- ciplines, le nombre d’asthmatiques est très élevé par exemple. Est-ce que ce n’est pas une porte d’entrée pour le dopage ? A.G. : La vraie question est de savoir ce qu’on fait face à un sportif réel- lement malade : est-ce qu’on lui interdit le sport ? Je ne pense pas que ce soit acceptable humainement. On est donc obligé d’imaginer un système qui autorise l’usage demédi- caments dans certains cas bien pré- cis. C’est toujours un équilibre entre un système trop souple qui va per- mettre le détournement d’usage de produits et un autre trop rigide qui va fermer la porte à certains spor- tifs. Il faut trouver le juste milieu. Ce n’est pas du tout évident. Il faut aussi avoir le courage de dire que

L.P.B. : Est-ce que vous avez le sentiment que la lutte anti- dopage est efficace actuellement ? A.G. : Si on regarde l’ère avant et après la création de l’agence mondiale anti-dopage en 2000, il y a eu une mini-révolution. Cela ne veut pas dire que la situation actuelle est totalement satisfaisante. Mais dans certaines disciplines, auparavant, vous n’aviez même pas le droit de dire qu’il y avait du dopage, tout était fait pour l’occulter. Le positionnement est complètement opposé maintenant. Le fléau du dopage, tout le monde le reconnaît, c’est une pre- mière étape. L’autre révolution, c’est que désor- mais, les règles sont les mêmes pour tous. Cette harmonisation était fondamentale. Aujourd’hui, elle est réalisée et on rentre dans l’étape de mise en œuvre de ces dispositifs. L.P.B. : Peut-on imaginer éradiquer le dopage ? A.G. : Éradiquer, non. Car si on considère l’histoire, le dopage est lié au sport depuis l’origine. Il y a tou- jours une faible proportion de tricheurs. Y en a-t- il moins maintenant ? C’est toujours difficile à éva- luer. Le seul indicateur dont on dispose, ce sont les contrôles, au coup par coup. Même s’il y en a beau- coup plus maintenant, cela ne reste qu’une petite quantité. C’est dur d’avoir une image globale. Mais cela devient de plus en plus difficile de se doper et de plus en plus de sportifs se font d’ailleurs prendre, quel que soit leur niveau et leur nationalité. Avant, certains sportifs, quel que soit ce qu’ils faisaient, n’auraient jamais été inquiétés. Désormais, des têtes d’affiches peuvent être sanctionnées. Il y a une vraie prise de considération d’une volonté poli- tique de lutter contre le dopage. L.P.B. : Que reste-t-il à faire ? A.G. : Il faut anticiper les problèmes avant qu’ils ne se présentent dans la pratique de ceux qui se dopent. Avant, on attendait que les sportifs utilisent une substance pour rechercher le moyen de la détecter aux contrôles. Maintenant, on travaille en amont avec les laboratoires pharmaceutiques, avant que les molécules ne soient mises sur le marché, pour mettre au point dès le départ des moyens de contrô- le et de détection. C’est également ce qu’on est en train de faire avec le génie génétique aussi. L’autre élément, c’est d’augmenter la connaissan- ce de l’utilisation du dopage. Cela nécessite de pas- ser du contrôle ponctuel à un suivi plus permanent avec un “passeport de l’athlète” qui nous permet- trait d’avoir du recul sur plusieurs années du spor- tif. On pourrait ainsi mieux détecter quand quelque chose semble étrange. Propos recueillis par S.D.

“Désormais des têtes

d’affiches sont sanctionnées.”

certains médecins aident les sportifs à se consti- tuer de faux dossiers médicaux. Face à cela, on est désarmé. Il faut encore améliorer le dispositif de contrôle, ce qui signifie pour le sportif honnête enco- re plus de contraintes. Mais il y a un moment où on ne peut pas toujours durcir les contrôles. L.P.B. : Y a-t-il des abus ? A.G. : Je pense qu’actuellement, le dispositif, pour ceux qui veulent bien se donner la peine de le mettre en place tel qu’il est voulu par le code mondial anti- dopage et se donner les moyens, est tout à fait accep- table. C’est aux agences nationales, aux fédérations au niveau international, à les appliquer. Le code assure une équité de traitement avec les mêmes règles pour tous, quelle que soit la nationalité ou la discipline. Au niveau international, nous rece- vons tous les duplicatas des autorisations théra- peutiques. On a le droit de revenir sur l’autorisa- tion si on considère qu’elle n’est pas justifiée. Ce n’est encore jamais arrivé. Le système a ses limites : s’il y a des complicités médicales de structures, on a du mal à lutter. On peut avoir des suspicions mais on ne peut pas aller au delà. L’agence n’aura jamais les moyens de convo- quer les sportifs pour refaire une contre-expertise d’un dossier médical.

Jean-François Hauser

est éditée par “Les Éditions de la Presse Bisontine”- 5 bis, Grande Rue B.P. 83 143 - 25503 MORTEAU CEDEX Tél. : 03 81 67 90 80 - Fax : 03 81 67 90 81 E-mail : publipresse@wanadoo.fr Directeur de la publication : Éric TOURNOUX Directeur de la rédaction :

Bio express 1992: Médecinchefdescli- niquesolympiques lorsdes J.O. d’hiver d’Albertville. 1994 : Médecin du sport, le docteur Alain Garnier devient chef du bureau médical au ministère de la jeunesse et des sports, et s’occupe entre autres du programme nationale antidopage

2000 : Rejoint l’agence mondiale antidopage qui vient de se créer. Il devient ensuite le directeur médi- cal de l’agence mondiale antidopage. Il supervise lamise en place des auto- risations d’usage demédi- caments à des fins théra- peutiques

Jean-François HAUSER Directeur artistique : Olivier CHEVALIER Rédaction : Frédéric Cartaud, Thomas Comte, Solène Davesne, Jean-François Hauser. Régie publicitaire :

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Crédits photos : La Presse Bisontine,A.M.A., Casino de Besançon, C.P.E., Pierre Diéterlé, Denis Maraux, Mathprod, M.J.C. Palente.

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