Journal C'est à Dire 113 - Août 2006

D O S S I E R

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Nationalité Nombre de personnes résidant à Morteau Algériens 15 Américains 2 Brésiliens 2 Cambodgien 1 Camerounais 1 Chinois 5 Cubains 2 Gabonais 1 Grenadine 1 Haïtiens 3 Ivoirien 1 Kosovar 1 Libanais 5 Malgache 1 Marocains 12 Mauricien 1 Ougandais 1 Péruvien 1 Roumains 2 Russe 1 Sénégalais 1 Singapourien 1 Thaïlandais 1 Tunisiens 22 Turcs 319 Ukrainiens 3 Vietnamien 1 Yougoslaves 3 Les étrangers deMorteau Morteau présente une popula- tion particulièrement cosmopo- lite. On dénombre selon les der- niers chiffres 411 personnes de nationalité étrangère. Ce tableau ne comprend pas les Français d’origine étrangère. Sans sur- prise, les Turcs arrivent loin devant.

prise. L’augmentation régulière du flux migratoire dans les années soixan- te-dix s’explique aussi par le phé- nomène du regroupement fami- lial. Le scénario classique est alors le suivant : le père vient travailler en France puis rapatrie sa famil- le après quelques années de labeur sur le sol français. “À cette époque, le consulat de France en Turquie avait ordre de trouver des gens pour venir travailler en France, c’est l’État français qui le deman- dait. C’est comme ça que mon père est arrivé en 1973 dans la maçon- nerie et nous, nous sommes arri- vés en 1978” raconte un trente- naire mortuacien d’origine turque. “La condition pour faire venir sa famille était de justifier d’un certain niveau de revenu et d’un nombre de mètres carrés habi- tables suffisant” ajoute Annie Genevard. Dans d’autres secteurs d’activité, la communauté turque est très présente, comme le polis- sage par exemple où plusieurs entreprises ont été créées par des personnes d’origine turque. Bien sûr, tous les Turcs ne parviennent pas à s’intégrer à leur région d’ac- cueil. À Morteau par exemple, “le nombre de chômeurs turcs est plus important que le pourcentage de Turcs dans la population. Le fac- teur clé est la maîtrise de la langue” estime le maire de Mor- teau. Mais de manière générale, il est indéniable de souligner l’inté- gration réussie de la communauté turque dans le paysage socio-éco- nomique du Val de Morteau. Sous plusieurs angles, la communau- té turque contribue même au dynamisme de ce secteur géo- graphique envers lequel ils ont montré en trente ans une réelle capacité d’adaptation. J.-F.H.

Les premiers ressortissants turcs sont arrivés au début des années soixante-dix dans le Val de Morteau. Ici, une des toutes premières familles turques réunies à Morteau, les Surmeli.

Interview

Comment s’est intégrée la communauté turque dans l’Est de la Fran- ce au fil des décennies ? Entretien avec Gunhan-Emre Ersoy, vice- consul auprès du consulat général de Turquie à Strasbourg. “L’intégration des femmes est maintenant visible”

C’ est à dire : Qu’est- ce qui explique la forte présence turque dans l’Est de la France ? Gunhan-Emre Ersoy : L’im- migration turque a commencé d’abord vers l’Allemagne, jus- te après la guerre. Le pays avait besoin d’une forte main-d’œuvre pour contribuer à sa recons- truction, il a donc fait appel aux Turcs, puis aux Italiens et aux Grecs notamment. C’est vers le milieu des années soixante que la Fran- ce a commencé à accepter des travailleurs immigrés. Les premiers travailleurs turcs qui ont travaillé en France ne venaient pas direc- tement de Turquie mais ont pas- sé la frontière allemande. Et depuis l’Alsace, à partir de 1964, ils ont commencé à se répartir dans tout l’Est de la France. Puis ont commencé à venir en Fran- ce des ouvriers directement de Turquie. Càd : Ce mouvement migra- toire se poursuit-il vers la France aujourd’hui ? G.-E.E. : Non, le nombre d’ar- rivée a baissé radicalement depuis les années quatre-vingt

car la France n’a plus besoin de main-d’œuvre étrangère. Et en Turquie, le tissu économique a beaucoup changé. Là-bas, on a un grand besoin de bras. Càd : À combien estime-t-on la population turque en France ? G.-E.E. : La totalité de la com- munauté turque en France est

faire enregistrer systématique- ment tout de suite les naissances à Strasbourg, surtout quand elles habitent Pontarlier, Mor- teau ou Saint-Dizier par exemple. Càd : On entend parfois dire que les ressortissants turcs bénéficieraient d’aides pour s’installer en France. Qu’en est-il ? G.-E.E. : Il n’existe ni incita- tions ni aides économiques pour une immigration en France. La politique d’immigration relève de l’autorité de chaque pays concerné. Ça appartient donc à la France d’inciter l’immigra- tion ou de la limiter, ça ne relè- ve en aucun de l’action d’un autre État. Càd : Parmi les citoyens d’ori- gine turque, combien sont- ils naturalisés français ? G.-E.E. : Selon les chiffres du consulat, ils seraient 11 739 dans l’Est de la France. Mais ce chiffre est certainement beaucoup sous- évalué car il n’y a pas obligation de la part des autorités fran- çaises de déclarer les naturali- sations auprès du consulat turc.

estimée entre 400 000 et 450 000 per- sonnes, Turcs ou Français d’origine t u r q u e . L e chiffre n’est pas précis car

Rue Fontaine-l’Épine à Morteau, l’association des Turcs dispose d’une magnifique salle de prière couverte de mosaïques. Mais les femmes n’y ont pas accès…

“Ce n’est pas notre tâche de contrôler le regroupement familial.”

lial se poursuit-il ? G.-E.E. : Nous n’avons pas d’in- formation car il s’agit de la vie privée des gens. Ce n’est pas notre tâche de contrôler ce point- là. Ceci dit, il paraît de plus en plus difficile aux Turcs d’ob- tenir un visa pour le regrou- pement familial en France. Je rencontre des gens qui disent avoir beaucoup de difficultés maintenant à obtenir un visa pour un époux ou une épouse. Càd : Incitez-vous les Turcs naturalisés à changer de pré- nom ? G.-E.E. : Encore une fois, c’est une question d’ordre privé à laquelle on ne peut pas se mêler.

Chacun décide, si par exemple il rencontre des difficultés à cau- se de son prénom turc, de savoir s’il a intérêt ou non de le chan- ger. On ne peut faire qu’accom- pagner les citoyens turcs pour leur intégration en France. Càd : Estimez-vous que la communauté turque est bien intégrée dans l’Est de la France ? G.-E.E. : J’ai personnellement eu l’occasion, à travers les études que j’ai effectuées dans l’Est de la France, de m’apercevoir des évolutions récentes, d’obser- ver le changement. Au début, c’est vrai que le niveau d’inté- gration de la communauté

turque en France était très limi- té. Mais le changement le plus considérable ne s’est pas fait grâce à des critères économiques. Mais plutôt sociaux. Un seul exemple : à Metz, un des adjoints au maire est une femme d’ori- gine turque. L’intégration des femmes est donc tout aussi visible maintenant. Il y a désor- mais des femmes médecins d’ori- gine turque. Ce genre de chan- gement est très encourageant. C’est un critère d’intégration encore meilleur que le critère économique.

chaque consulat a ses propres informations et les gens se dépla- cent beaucoup d’une région à l’autre. Càd : Et dans l’Est de la France ? G.-E.E. : Le consulat de Stras- bourg couvre l’Alsace, la Lor- raine, la Haute-Marne et la Franche-Comté. Pour cette zone, la population turque est esti- mée à 107 500 personnes. De notre côté, on estime plutôt ce chiffre à 115 000 voire 120 000 car les familles ne viennent pas

Propos recueillis par J.-F.H.

Càd : Le regroupement fami-

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