Journal C'est à Dire 113 - Août 2006

D O S S I E R

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Les Turcs du Val de Morteau impliqués dans le mouvement associatif Vie sociale Plusieurs associations turques ont leur siège dans le Val de Morteau. Comment fonctionnent-elles, qui les fréquen- tent ? Présentation et gros plan d’une d’entre elles.

D ans le Val de Mor- teau, trois associa- tions d’origine turque cohabitent. Les deux premières sont basées à Morteau. L’asso- ciation familiale, culturelle et sportive franco-turque est ins- tallée sur la place du champ-de- foire, dans un petit local où “les membres occupent leur temps à jouer aux dames et boire du thé, très tranquillement” selon un représentant des autorités mor- tuaciennes. Cette première struc- ture est présidée par Savas Adi- guzel. La seconde, basée à Mont- lebon, est présidée par le Mor- tuacien Celal Yuksel, c’est l’as- sociation de l’amitié franco-turque qui selon la mai- rie de Montlebon, a connu “quelques déboires” avec l’in- cendie récent de son siège. La troisième, la plus importan- te, a été créée en 1981. C’est l’as- sociation des Turcs du Val de Morteau, installée depuis 2000 dans un centre culturel construit à Morteau, à proximité du funé- rarium. L’association, prési- dée par Ramazan Mutluel, comp- te actuellement 80 adhérents.

Ouverts tous les jours à partir de 18 h 30, les locaux accueillent le visiteur par un patio aux tons bleus, du plus pur style otto- man. À l’intérieur, un bar et une salle où sont disposées tables et chaises donnent l’air d’une bana- le salle de réunion. Au fond, un écran de télé diffuse les images d’une chaîne de télévision turque. C’est un foyer, “dans lequel on se retrouve pour discuter, regar-

mulés. “La commission de sécu- rité doit passer très prochaine- ment pour confirmer que désor- mais, tout est en ordre. Nous avons dû casser complètement certaines entrées et faire des modifications pour être parfai- tement aux normes” ajoute le président. Le budget de l’association turque est composé de la cotisation de ses membres, fixée à 16 euros

par mois. La construc- tion du centre cultu- rel, dans lequel sont dispensés régulière- ment des cours de langue et d’histoire, a été intégralement financée par les

der la télévision, jouer au billard, etc.” indique le nouveau président. La moyenne d’âge du centre est visiblement jeune. “Entre 25 et 40 ans. On a pris la relè-

“Nous ne sommes ni une association religieuse, ni une mosquée.

Ramazan Mutluel est le nouveau président du centre culturel turc depuis mai dernier.

vendredi soir pour la grande prière où se retrouve une tren- taine de fidèles. “Nous n’avons pas d’imam. Parmi nous, deux ou trois personnes savent prê- cher, ce sont ceux qui connais- sent le mieux le Coran” explique Sukru Celebi, membre de l’as- sociation. “Souvent, les gens disent qu’ici c’est une mosquée. Nous ne sommes pas une asso- ciation religieuse, ni une mos- quée. C’est juste une association disposant d’une salle de priè- re. D’ailleurs, nos statuts sont très clairs sur tout ce qui est poli-

tique ou religieux” précise Rama- zan Mutluel. À l’intérieur pourtant, aucune femme. C’est certainement le principal sujet tabou de la com- munauté turque. Les femmes ne sont pas exclues de l’asso- ciation, elles ont droit à leurs séances de prière, dans une sal- le bien à elle. “On ne leur inter- dit pas l’accès du foyer, justifie un membre de l’association. Mais dans la culture turque, il ne vien- drait pas à l’idée d’une femme de venir dans un bar…” Voilà certainement un des principaux

paradoxes qui sépare encore les mentalités françaises et turques. Pour le reste, les Turcs du Val de Morteau font preuve d’un total esprit d’ouverture. Pour montrer leur entière bon- ne foi et leur souci de transpa- rence, les membres de l’asso- ciation turque organiseront des portes ouvertes à l’automne, à l’issue de la période du Rama- dan qui démarre le 24 sep- tembre. “On n’a pas à se cacher d’être Turcs” justifie un des leurs. J.-F.H.

membres qui ont déboursé cha- cun “2 000 euros environ.” Les Turcs participent activement à la vie mortuacienne. Dans un coin de la salle trône une ving- taine de coupes glanées ici et là dans des tournois sportifs orga- nisés dans le Val. À droite du patio, une porte lais- se entrevoir une vaste salle de prière, une magnifique pièce couverte de mosaïques. Elle est fréquentée essentiellement le

ve des fondateurs des années quatre-vingt” confirme Osman Celebi, autre membre de cette association dont la plupart des adhérents sont originaires de la région de Denizli, au Sud-Ouest de la Turquie. La construction du centre cul- turel ne s’est pas faite sans pro- blème : un terrain instable ajou- té à des normes de sécurité qui n’étaient pas complètement res- pectées, les soucis se sont accu-

Erdan et Guler Köse, parcours de Turcs en France Portrait Après avoir enchaîné plusieurs emplois dans différents secteurs d’activité, Erdan et Guler ont créé leur entreprise de restauration à Morteau. La famille Köse représente un exemple parlant de l’intégration des Turcs par le travail.

complètement abandonnés, ils restent accolés à leurs “nouveaux” prénoms francisés, mais selon eux, “prendre un prénom français, ça aide à encore mieux s’intégrer.” “Je suis arrivé le 22 sep- tembre 1976 en France, à Villers-le- Lac, raconte Éric - Erdan - Köse. Mon père était venu en France en 1971 pour le travail, il était demandeur d’emploi en Turquie, il est venu s’installer à Loray pour travailler à l’entreprise Cli- vio. Il a été le premier Turc du secteur.

tissement personnel du couple Köse feront le reste. L’Orient Express ouvre ses portes le 16 juillet 2000. Rapidement, la clien- tèle lycéenne investit les lieux, le suc- cès est rapide. Prudent, Éric n’aban- donne pas son travail à la Fabi. Aujour- d’hui encore, il travaille à mi-temps chez l’équipementier automobile, de 6 h 30 à 11 heures ou de 15 h 30 à 19 h 30 selon les jours. Le reste de son temps, il le passe devant la rôtissoi- re de l’Orient Express à confectionner les kebabs, et épaule sa femme qui tient les lieux en permanence. Le suc- cès de l’Orient Express attirera la concurrence. Un deuxième, un troi- sième puis un quatrième restaurant la qualité de nos produits.” La réussite du couple Köse est entiè- rement liée à l’investissement per- sonnel qu’ils sont tous deux consen- ti. “On est loin des 35 heures” sourit Éric. “Beaucoup de Français, la plu- part, sont très contents de ce qu’on a fait. Quelques autres, on a l’impres- sion qu’ils nous en veulent” enchaîne Mélanie. “Je travaille 15 heures par jour, j’estime que ce qu’on a, on ne l’a pas volé.” Heureux de leur réussite socio-pro- fessionnelle, Erdan et Guler restent pourtant, comme nombre de leurs com- patriotes venus s’installer en France, sur un sentiment paradoxal : “En Tur- quie, quand on y va, on est considé- rés maintenant comme des étrangers. Ici aussi…” J.-F.H. turc ouvriront leurs portes dans la foulée à Morteau, puis un autre à Villers-le- Lac. “Malgré tout, on ne souffre pas de la concurrence affirme Éric. On mise sur

Les gens venaient le “visiter” comme un animal dans une cage !” commen- te Éric dans un sourire. Pendant quelques années, le père Köse repar- tait régulièrement en Turquie, “il dépen- sait alors l’argent gagné en France à cause du coût des voyages.” Il décide donc de faire venir toute la famille dans le Haut-Doubs, sa femme, Erdan, les quatre frères et les deux sœurs du jeune homme. Lors d’un mariage turc, Erdan ren- contre Guler. Coïncidence, ils sont tous deux originaires du secteur d’Erzin- çan, à l’extrême Est de la Turquie. Ils se marient en 1984 et s’installent à Morteau. Erdan commence sa vie pro- fessionnelle à 15 ans et demi, à la enchaîne les boulots : assistante mater- nelle, puis aide-ménagère puis enco- re horlogère. Avec trois enfants, “ça ne suffisait pas à boucler les fins de mois.” Erdan et Guler décident alors de ten- ter l’aventure de la création d’entre- prise. Après quelques démarches, ils ouvrent en juillet 2000 un des pre- miers restaurants kebab du Haut- Doubs, l’Orient Express, rue de la Chaussée à Morteau (anciennement magasin Cendrillon). Naturellement, les banques hésitent à épauler un ouvrier Fabi et une horlogère. “Per- sonne ne voulait nous prêter 150 000 F à l’époque, à cause du premier kebab qui n’avait pas marché à Morteau” , raconte Mélanie. Un prêt sans intérêt d’un organisme spécialisé, la compré- hension d’artisans locaux patients pour le règlement des travaux et l’inves- maçonnerie Ruggeri. Il part ensuite travailler au Russey, dans l’entreprise de polis- sage SNAP, avant d’être accueilli à la Fabi à Morteau. Pendant ce temps-là, Guler

D ésormais, il s’appelle Éric, elle se prénomme Mélanie. Malgré une demande for- mulée il y a une dizaine d’an-

nées, ils ne sont Français que depuis quatre ans. Avant, Mélanie se pré- nommait Guler et Éric, c’était Erdan. Ces prénoms turcs, ils ne les ont pas

“On est loin des 35 heures” sourit Éric.

Éric et Mélanie Köse, entourés de deux de leurs trois enfants. Eux aussi mettent la main à la pâte dans l’affaire familiale.

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