Journal C'est à Dire 113 - Août 2006

D O S S I E R

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La communauté turque crée de l’emploi Économie Intégration

L’entreprise mortuacienne compte depuis plus de tren- te ans de nombreux salariés d’origine étrangère - dont turque - dans ses effectifs. Mais ici, l’intégration va au-delà du simple contrat de travail. La Fabi, lieu d’accueil de nombreux Turcs

L es précurseurs ont été les créateurs de l’entreprise Dinler, polisseurs à Villers-le-Lac. C’était il y a près de vingt ans. Ses créateurs d’en- treprise d’origine turque ont été suivis ensui- te par ceux de la société Bal 2000, spécia- lisés aussi dans le polissage à l’entrée de Morteau rue de l’Helvétie. On peut citer aussi, toujours dans le polissage, les socié- tés AT3, rue de la Perrière à Villers-le-Lac, Nombreux sont les citoyens d’ori- gine turque à avoir monté leur propre entreprise dans le Val de Morteau. Avec à la clé, des dizaines d’emplois.

puis Ozbay, place de la Patinoire à Morteau ou encore Dik Méka, rue du Bief à Morteau. Mais les Turcs n’excellent pas que dans le polissage, ils ont parfois créé des entreprises de maçonnerie comme la société Celebi à Montlebon. Plus étonnante, et plus récen- te, a été la reprise de l’entreprise Hor- loges Alonet par un entrepreneur d’origine turque, David Surmeli, Mortuacien depuis une trentaine d’années. Beaucoup enfin tra- vaillent en tant que frontaliers, souvent dans des postes à responsabilité. David Surmeli explique ce dynamisme éco- nomique à la turque par des raisons d’ordre historique. Il s’explique : “Quand on a vu ses parents ramer, faire 50 ou 60 heures par semaine pour une paye de misère, ça pous- se vraiment à aller plus loin, dit le jeune dirigeant. On n’a pas voulu reproduire ce

que les parents ont subi.” Le parcours de ce trentenaire est sympto- matique de la volonté turque. Après ses études, il travaille à la SFOM, une socié- té spécialisée dans la construction de machines. Il y prendra tous les postes à responsabilité. Il part ensuite chez Petit- jean, au secteur “maintenance”. “Mais quand on veut aller plus haut dans une entreprise, à un moment donné, on est limi- té, la plupart du temps à cause de son origine. Il n’y a donc qu’un moyen pour pro- gresser : se lancer.” Il est ainsi devenu le premier chef d’entreprise d’origine turque à prendre la responsabilité d’une entre- prise dans un secteur d’activité autrefois chasse gardée d’une certaine “élite” du Haut-Doubs : l’horlogerie. J.-F.H.

À côté des multiples petites entreprises, essentielle- ment dans le secteur du bâtiment, le principal employeur des Turcs du Val de Morteau a été, depuis l’arrivée des premiers Turcs au début des années soixante-dix, la société FabiAuto- mobiles à Morteau. “L’effectif de la Fabi est monté jusqu’à 30 % d’étrangers. À cette époque, seu- le l’horlogerie était un métier sérieux aux yeux des gens” com- mente Jacques Remonnay, ancien P.D.G. de l’entreprise. Pénurie de main-d’œuvre obli- ge, la Fabi a dû se résoudre à faire appel des recrues étran- gères. “Au démarrage de Fabi, les premières personnes qui y ont travaillé étaient des agri- culteurs qui abandonnaient la terre, rappelle Jacques Remon- nay. Puis il y a eu des ouvriers, pas horlogers dans l’âme, qui ne se voyaient pas devant un éta- bli. Et quand ce réservoir de main-d’œuvre s’est tari, on a eu énormément de difficultés pour le recrutement. L’administration française a alors largement auto- risé l’industrie lourde à faire appel à des ouvriers étrangers. C’est comme cela que les pre- miers Turcs sont arrivés dans les années soixante-dix. Ensui- te, c’était facile. Quand l’un d’eux

disait “si tu veux, je peux deman- der à mon cousin de venir de Turquie” , alors on le recrutait.” Mais il a fallu loger tout ce petit monde. Des “maçons Fabi” ont alors construit au profit de ces immigrants “qui n’arrivaient qu’avec leur seule valise” , des logements. Une douzaine de stu- dios ont donc été spécialement construits dans le quartier du Stand à Morteau, non loin de l’usine. “Ils étaient souvent deux par chambre. C’était pour eux une solution avant de trouver un plus grand logement.” Mais la Fabi est allée plus loin - et continue à le faire aujour- d’hui - dans le processus d’in- tégration de sa main-d’œuvre étrangère. “On était souvent confrontés à des problèmes avec nos clients avec lesquels les ouvriers du service qualité par exemple ne maîtrisaient pas le français. Nous avons donc mis en place des ateliers d’alpha- bétisation” poursuit l’ancien patron. Aujourd’hui encore, la Fabi dis- pense des cours de français et d’informatique à sa main- d’œuvre étrangère, des forma- tions dispensées par le lycée des Fontenelles à raison de 4 heures par semaine pendant les heures de travail. J.-F.H.

Une action pour élargir l’horizon des femmes étrangères Mairie

Un dispositif a été initié par la ville de Morteau pour tenter d’améliorer l’intégration des femmes étran- gères dans la vie mortuacienne.

et les femmes” , la mairie de Morteau a mis en place une action destinée à améliorer l’in- tégration des femmes d’origi- ne étrangère - et bien sûr

animations mais en contrepartie nous leur demandons de par- ticiper à certaines tâches col- lectives, comme couvrir les livres de la bibliothèque par exemple.

P artant du constat que “le meilleur facteur d’inté- gration est la maîtrise de

turque - dans la cité. Le groupe “Horizon fem- me” est né en 2004 à la demande du maire de Morteau. “On a deman- dé à rencontrer les femmes des commu-

la langue et le respect des valeurs républicaines, notam- ment l’égalité entre les hommes

Un lien s’est vraiment créé, très amical” constate Léa Dromard. Pour la rentrée 2006, la mairie de Morteau s’apprête à apporter des nouveautés afin de

“Ouvrir ces actions à toute la famille.”

renforcer encore l’intérêt de cette action citoyenne. “L’idée est d’ouvrir ces actions à tou- te la famille, notamment aux hommes.” Le but sous-jacent de ces animations est bien de “changer la place de la fem- me.” J.-F.H.

nautés étrangères qui ont répon- du largement à l’appel. Peu à peu s’est mis place un rythme de rencontres destinées à vivre des moments d’échanges avec elles”, raconte Léa Dromard, coordinatrice de cette action au C.C.A.S. de Morteau. Visites de crèches, animations avec les enfants pendant les vacances scolaires, “une bon- ne trentaine de femmes se retrouvaient 2 à 3 fois par mois. Aujourd’hui, le noyau dur est constitué d’une dizaine de par- ticipantes.” L’action se dérou- le de septembre à juin. “Cela permet aussi aux femmes qui ne parlent pas bien le français, de manier notre langue en dehors des cours d’alphabéti- sation. Elles apprennent le fran- çais en s’amusant.” Le principe est basé sur l’échan- ge, une sorte de donnant-don- nant. “Nous leur proposons des

Léa Dromard anime l’action pour le compte du C.C.A.S.

“Les Turcs rachètent Morteau !” Immobilier On entend parfois cette phrase - brandie avec crainte - dans les bouches de Mortuaciens étonnés par la frénésie immobilière de la communauté turque. Mythe ou réalité ? L es Turcs eux-mêmes ne s’en cachent pas : ils inves- tissent dans la pierre. Plus sieurs fois d’aller couler du béton chez un copain à trois-quatre heures du matin pour l’aider dit cet autre Turc de Morteau. C’est dans notre mentalité.”

loppé par les familles d’origi- ne turque. Un autre Turc obser- ve que “ce qui étonne les gens, c’est qu’apparemment, les Turcs ont les moyens d’investir. Mais la plupart du temps, on raisonne “famille”, c’est-à-dire que le père se mettra avec son fils, ou que deux frères se mettront ensemble pour acheter une maison, sans

que les Français eux-mêmes, certainement pas, mais le phé- nomène est plus récent chez les Turcs et se comprend aisément. Un jeune Turc mortuacien s’en explique : “Nos parents, quand ils sont arrivés en France, pen-

Finalement, peut-on vraiment parler de frénésie immobilière ? Nous nous sommes reportés au fichier des déclarations d’in- tentions d’aliéner à la mairie de Morteau : les derniers relevés statistiques montrent qu’entre janvier 1998 et août 2003, 16 maisons ainsi qu’un ensemble immobilier ont été achetés à Morteau par des acheteurs d’ori- gine turque. Même si depuis trois ans, la tendance semble s’être quelque peu renforcé, ce mouvement spéculatif n’est pas “alarmant” au regard du mar- ché global de l’immobilier. Quant aux prétendues aides des banques turques ou du gou- vernement d’Ankara aux inves- tisseurs turcs en France, cela relève du pur fantasme… J.-F.H.

saient tous un jour repartir en Turquie. Ils ne voyaient pas l’in- térêt d’acheter une mai- son et de toute façon, n’en avaient pas les moyens. Trente ans

se dire que l’un des deux va faire du pro- fit sur le dos de l’autre. Et vis-à-vis de la banque, un prêt sur deux têtes, ça pas- se beaucoup mieux !

“Aller couler du béton à trois-quatre heures du matin.”

plus tard, ils ont des enfants, souvent nés ici, et même des petits-enfants. Ils n’ont plus aucu- ne raison de repartir un jour. Les enfants, qui ont passé le plus clair de leur vie en France, savent qu’ils vont y rester. Ils se sont donc mis à acheter leur maison.” L’autre explication serait plu- tôt d’ordre “sociologique” et vien- drait du réflexe solidaire déve-

Ce qui fait la force des Turcs, c’est qu’ils sont capables d’ache- ter à plusieurs, ce que ne veu- lent pas forcément faire les Fran- çais.” La solidarité familiale - et com- munautaire - se traduit aussi dans la participation aux tra- vaux de rénovation des biens immobiliers ainsi achetés. “Le week-end, ça m’est arrivé plu-

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