La Presse Bisontine 109 - Avril 2010

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n° 109 - Avril 2010

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BESANÇON Entre 100 000 et 200 000 cartes postales Un patrimoine franc-comtois vendu aux enchères Après son décès, les héritiers d’un collectionneur bisontin ont décidé de vendre sa collection de cartes postales. Sans doute une des plus grandes France qui traite d’un sujet : la Franche-Comté.

Drôle de carte postale pour promouvoir Besançon. En tirant la culotte du personnage on découvre des vues de la ville.

ce Biortin et du Café de la Bourse à Besançon. “Il n’y a pas de bourse ici, mais en nommant ainsi l’établissement on faisait référence à la vie parisien- ne, à la grande capitale. Le rayonne- ment culturel parisien était très fort à l’époque, comme le montre cette car- te où à Noël 1911, une réplique du Moulin Rouge avait été installée dans les Nouvelles Galeries à Besançon” poursuit M. Mareschal. Ce monde de la collection intéresse en priorité la génération des plus de soixante ans. À leur tour, ils laisseront en hérita- ge ces cartes postales aux plus jeunes générations. T.C.

te. Il a fallu trier, regrouper, gommer parfois les noms des personnes au dos des cartes postales conformément au souhait des héritiers. J’ai été aidé pour cela par Patrick Allaine, un consul- tant passionné de cartes postales et de philatélie.” Pour cette collection, il a été convenu que les enchères se fassent en trois fois. La première vente s’est déroulée le 18 février, la seconde le 18 mars, et la prochaine est programmée le 18 avril. Elle concernera des cartes postales du Jura et de la Haute-Saô- ne classées canton par canton, ainsi qu’un large lot “militaria”. À partir de ce témoignage visuel dans lequel tous les Francs-Comtois y retrou- vent leurs racines, on mesure à quel point la société a changé et s’est stan- dardisée. Les commerçants indépen- dants qui animaient de petites échoppes telles que la biscuiterieTupin, ont disparu au profit de grandes enseignes que l’on retrouve d’une vil- le à l’autre. “Toutes les cartes liées aux vieux métiers sont très recherchées” explique Bruno Mareschal. Les per- sonnages nommés le sont aussi com- me Joséphine de Beure, une femme étrange vêtue comme un homme, ou le pèreManu, sabots aux pieds, concier- ge de l’institut Sainte-Marie. Il y a aussi Nina Prax posant fièrement assi- se sur une charrette tirée par son chien Muguette et Jim Boa, un homme à la

Il a fallu six mois à Maître Bruno Mareschal pour préparer la vente aux enchères organisées en trois dates.

LE 18 MARS 42 000 euros T.T.C. La municipalité acquiert un lot de 6 000 cartes postales C’est un témoignage unique de la vie à Besançon au début du siècle dernier que la Ville vient d’acquérir aux enchères. La collection va rejoindre la bibliothèque municipale.

C’ est assez rare dans la car- rière d’un commissaire-pri- seur d’être amené à mettre aux enchères une telle col- lection. Imaginez près de 150 000 cartes postales et cartes photos, gla- nées par un Bisontin passionné pen- dant plus d’un demi-siècle (son iden- tité est volontairement préservée). Toutes concernent la région et en par- ticulier Besançon. L’auteur a réuni un ensemble unique, impossible à recons- tituer, de 6 000 cartes qui montrent la ville entre 1900 et 1920 sous un visage commercial, humain, culturel et traditionnel. “C’est sans doute une des plus grandes collections de Fran- ce de cartes postales, sinon la plus grande sur la Franche-Comté” indique Maître Bruno Mareschal. Après son décès, c’est à lui que les héritiers du collectionneur ont confié le soin de vendre ce patrimoine dont la plus grande valeur est historique avant d’être pécuniaire. “Nous avons mis six mois pour préparer cette ven-

carrure de boxeur. Les grèves, les mon- treurs d’ours, les inondations, les mar- chés aux puces et aux cochons, les acci- dents, les commer- çants, tout ce qui rythmait la vie d’antan avait sa pla- ce en carte postale ou en carte photo (série plus limitée). Il existe même une vue du Cinéma Pala-

L ionel Estavoyer et Henry Ferrei- ra-Lopes avaient le sourire à la sortie de l’hôtel des ventes des Chaprais le 18 mars. Le conseiller en patrimoine de la ville de Besançon et le directeur de la bibliothèque muni- cipale venaient d’acquérir pour la municipalité le lot 88. Il s’agit d’une collection exceptionnelle de 6 000 cartes postales sur Besançon au début du siècle dernier dont 300 cartes pho- tos. On y retrouve tous les quartiers, Chaprais, Velotte, Centre-Ville, Bat- tant, Saint-Ferjeux, Fontaine-Argent

ou encore Châteaufarine. Les 19 albums contiennent en plus la thé- matique des devantures de commer- ce, des fêtes et des manifestations. Cette collection, fruit de l’obstination d’un seul homme qui l’a constitué pendant cinquante ans, est un témoi- gnage unique sur Besançon. “Nous ne pouvions pas laisser passer cela” estime Lionel Estavoyer. Pourtant, l’affaire aurait pu échap- per aux deux émissaires de laVille si les enchères avaient dépassé les 38 000 euros. C’est la limite finan- cière que s’était fixée la municipali- té pour acquérir cette collection esti- mée à 25 000 euros. En quelques secondes, le prix s’est envolé pour s’arrêter à 36 000 euros. Personne n’a enchéri sur la proposition d’un col- lectionneur bisontin. “Lot adjugé” déclare alors maître Bruno Mares- chal d’un coup demarteau, “sous réser- ve du droit de préemption de l’État au bénéfice de laVille de Besançon” inter- rompt d’une voix forte Henry Ferrei- ra-Lopes en se levant dans la salle. La scène était presque théâtrale. À cet instant, l’acheteur bisontin a com- pris qu’il venait d’être privé de son plaisir avant même d’avoir pu y goû- ter. Le droit de préemption est un droit régalien qui permet au ministère de la Culture de préempter à la derniè- re enchère pour le compte d’une col- lectivité qui en fait la demande. Il pré- empte, mais c’est bien lamunicipalité qui paie ! “Il y a quelques années, l’État préemptait au prix qu’il souhaitait. Les choses ont changé. Désormais, on laisse les enchères se faire librement avant d’intervenir” précise Henry Fer- reira-Lopes. “Ce droit de préemption est crucifiant pour la personne qui pensait avoir cette collection de cartes

Les grèves, les montreurs d’ours, les inondations…

postales.Mais ça l’aurait été tout autant pour l’institution publique si elle nous avait échappé” assure Lionel Esta- voyer. Le dépit se lisait sur le visage de l’adjudicataire déchu. “C’est un des plus grands collectionneurs de Besan- çon. Il est très averti. Évidemment il est déçu, car il sait qu’il ne retrouve- ra jamais une telle collection” remarque Maître Bruno Mareschal. Pour 42 000 euros (T.T.C.), la Ville de Besançon acquiert donc cet ensemble de cartes postales. Il va rejoindre la bibliothèque municipale. “J’ai pour ma part proposé aux élus que pendant quelques années, nous publiions cer- taines de ces cartes rarissimes pour- suit Lionel Estavoyer. Je souhaite éga- lement que dans le cadre des journées du patrimoine on en présente certaines. C’est toute l’histoire sociale, urbaine, économique de la ville qui est repré- sentée dans ces albums. Un vrai tré- sor.” Devant l’hôtel des ventes des Cha- prais, plusieurs personnes ont salué l’initiative de la municipalité. “C’est bien pour le patrimoine” lance un col- lectionneur. Un autre propose de créer unmusée de la carte postale. Ce qu’il faudra éviter comme le redoute cet homme, “c’est que la collection finis- se dans une cave.” Henry Ferreira-Lopes et Lionel Estavoyer, deux émissaires man- datés par la Ville pour acquérir la collection de cartes postales unique.

Des cartes postales de Besançon qui se vendent parfois plus du double de leur estimation. Même les collection- neurs n’en reviennent pas. L a salle de l’hôtel des ventes des Chaprais est comble. Plus de cent personnes ont fait le déplacement. Par- mi elles, des collectionneurs, des marchands, des passionnés et quelques rares curieux qui portent une affection particulière à la carte postale. Gérard n’a pas trouvé de places assises. C’est donc debout, appuyé contre une commode qu’il suit la vente aux enchères. Il est venu de Pontarlier dans l’espoir de compléter sa col- lection de cartes postales sur la capitale du Haut-Doubs. Le sexagénaire s’est fixé un budget d’un maximum de 500 euros frais compris. Mais quand il voit l’allure à laquelle montent les enchères, il est un peu inquiet pour la suite. “Les cartes postales qui concernent Besançon 150 euros pour la sellerie “Léon Monnin” Qui dit mieux !

partent au moins au double de leur estimation” mur- mure-t-il. C’est le cas par exemple de cette carte photo représentant le père Manu, concierge de l’institut Sain- te-Marie. Mise à prix à 40 euros, elle sera finalement adjugée à 90 euros. Les enchères s’envolent encore pour une carte photo de la sellerie-bourrellerie “Léon Monnin” à Besançon. Elle partira à 150 euros alors que son estimation était de 35 euros. L’image de la grève des papeteries Bizontines (sic) trouvera preneur à 150 euros après que les enchères aient débuté à 50 euros. Enfin, deux rares cartes pho- tos sur l’incendie de la vinaigrerie de la rue de la Mouillè- re seront adjugées 190 euros alors que le prix de départ était fixé à 35 euros. Soudain se présente une image sur laquelle on voit un attelage à cheval représentant “absinthe Girod fils”. Le thème intéresse Gérard, mais la carte non, “car elle est abîmée.” Mise à prix 50 euros, les enchères atteindront 170 euros ! “C’est n’importe quoi soupire un marchand installé dans le fond de la salle. Des gens achètent ici des cartes 80 euros que je vends dans mon magasin 60 euros. Ils feraient mieux de venir chez moi…” L’euphorie et le stress qui règnent dans une salle des ventes aux enchères poussent sans doute les acquéreurs à miser un peu plus pour arracher à l’adversaire l’objet qu’il convoite. Mais c’est aussi le signe que le marché de la carte postale ancienne ne connaît pas la crise.

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