La Presse Bisontine 71 - Novembre 2006

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Indigènes Qui se souvient aujourd’hui que les tirailleursmarocains ont largement contri- bué à libérer une partie de notre dépar- tement, et notamment le secteur de Montbéliard en novembre 1944 ? Après avoir débarqué en Provence, ils ont remonté la vallée du Rhône avec l’ar- mée de De Lattre, avant de poursuivre leur lente progression vers l’Est de la France. Malheureusement - ou heureu- sement - ce sont les salles obscures qui font aujourd’hui la lumière sur une ques- tion aussi douloureuse ! Sans la sortie du film Indigènes - en grande partie tour- né en Franche-Comté -, nul ne se sou- cierait aujourd’hui du sort de ces sol- dats issus des anciennes colonies françaises et par ce fait intégrés à l’ar- mée nationale, dont la pension a été gelée dès 1959 par le général De Gaul- le dans une France en plein processus de décolonisation. Aujourd’hui, on par- le de “décristalliser” ces pensions jus- qu’à cinq fois inférieures à celles des combattants franco-français, pourtant unis dans le même bain de sang dans les conflits armés auxquels ils ont tous participé. Cet épisode est révélateur de deux tendances effarantes : la premiè- re, et c’est une bonne chose, c’est que les médias jouent un rôle majeur dans la démocratie. C’est la sortie d’un film, et le lourd tapage médiatique qui l’a accompagnée, qui a remis sur le tapis un débat qui croupissait depuis près de cinquante ans dans les tiroirs des minis- tères. La seconde, moins réjouissante, c’est le constat que l’action politique ne se nourrit plus des impératifs du temps et des priorités de l’époque, mais nais- se uniquement de la médiatisation d’un fait tombé dans l’oubli. D’un coup de baguette magique et opportuniste, le gouvernement se dit prêt aujourd’hui à débloquer 400 millions d’euros pour réparer une injustice dont il avait subrep- ticement effacé la douloureuse trace. Ils sont nombreux, dans tous nos villages du Doubs, à avoir servi leur patrie, mais sont aujourd’hui décédés sans même avoir obtenu une reconnaissance, fût- elle honorifique. L’ère médiatique pré- fère a priori récompenser d’une légion d’honneur, cent fois galvaudée, chan- teurs et sportifs du moment. Combien de dossiers égarés, d’injustices cachées, d’erreurs judiciaires ou de ratés admi- nistratifs ne sortiront jamais de l’anony- mat à cause de l’autisme de l’État ? À moins qu’un film porté par des acteurs à la mode suffise une nouvelle fois à redonner la mémoire à un État amné- sique. Je an-François Hauser Éditorial

L ITTÉRATURE

Dans l’ombre de son grand frère Patrick

Olivier Poivre d’Arvor : “Pour avoir ma propre vie, j’ai dû partir ailleurs”

Ensemble, les deux frères Poivre d’Arvor, Patrick et Olivier, ont déjà écrit une dizaine de récits. Ils récidivent cette année avec deux livres consacrés à Lawrence d’Arabie, un roman et une biographie à paraître en octobre. Entre deux avions pour Berlin et Istanbul, Olivier Poivre d’Arvor, directeur de l’association française d’action artistique a fait un détour par les Mots Doubs de Besançon, fin septembre. Rencontre.

L a Presse Bisontine : Vous avez déjà écrit une dizai- ne de livres avec votre frè- re Patrick Poivre d’Arvor. Pourquoi faire le choix d’écrire à deux ? Olivier Poivre d’Arvor : Ce n’est pas la formule la plus facile, c’est vrai. Mais en écrivant à deux, on est protégé de toutes sortes de choses, de l’ego, la vanité. On est protégé du fait de dire “moi, je” . Et après la publication du livre, on n’est pas seul à le défendre, à en parler sur les plateaux de télé. J’ai très peur de la promotion, du contact. Être deux, c’est aussi une façon de ne pas dire “moi, je” , “j’ai écrit” , de ne pas mettre son ego sur la table. Mais quand on est deux, il y a aussi ce qui se passe avant la publication. Sur le choix du sujetmême, celadonnequelque chose d’assez curieux. Si vous êtes seuls, vous allez vers votre inclinaison naturelle. Là, c’est un travail de compromis, nous avons chacunnotre propre his- toire, nos propres univers. L.P.B. : Comment choisissez-vous vos sujets ? O.P.D.A .: On travaille beaucoup sur nos émotions d’enfance. L’enfance, c’est ce qu’on a en commun avec mon frère. On choisit ensuite la construction, comme un scénario. Lorsque nous avons la structure très précise de l’ouvrage, l’écritu- re est plus simple. Chacun dans son coin écrit un cha- pitre, puis c’est un va-et-vient de l’un à l’autre. Un peu com- me une lessiveuse. On se par- le beaucoup. Dans “Dispa- raître”, on ne s’est pas réparti les personnages, chacun de nous a un peu contribué à la voix de chaque personnage. On s’empare de l’objet. L.P.B. : Comment est venue l’idée de consacrer un roman à Lawren- ce d’Arabie ? O.P.D.A. : On était à la recherche d’un personnage avec qui pas- ser un peu de temps. J’ai vécu longtemps en Égypte, à Londres, je connais bien l’at- mosphère du Moyen-Orient. Patrick s’intéressait à ladimen- sion politique de l’histoire de Lawrence. Avec Patrick, on avait comme projet d’écrire une biographie tout d’abord, un beau livre avec beaucoup de photos, qui doit d’ailleurs sortir en octobre prochain aux éditionsMengès. Mais en tra- vaillant sur cette biographie, ona trouvé queLawrence était unmagnifique sujet de roman.

impitoyable. Bien sûr que tout le monde est intéressé par les prix littéraires. Ce sont deux frères qui ont créé le concours, deux frères ont déjà reçu le prix, il y a près d’un siècle. Mais il ne faut pas trop y pen- ser. Ce qui compte, c’est d’avoir des lecteurs. L.P.B. : Après avoir écrit à quatre mains, envisagez-vous de retour- ner un jour à l’écriture individuel- le ? O.P.D.A. : C’est une question que je me pose en ce moment. On est dans une relation très forte avec mon frère. J’ai déjà écrit seul, mes premiers livres sont d’ailleurs sortis avant les siens, Mais à force d’écriture à quatremains, je ne sais plus très bien qui je suis, quelle est mon écriture. J’ai assez envie d’écrire un peu seul, mais je ne sais pas si j’y arriverai. J’adore écrire, mais le travail de l’après-publication ne me plaît. Parler de soi, penser

mettez en scène deux frères. L’un, Lawrence, est célèbre, pourchassé par les paparazzi jusque sur son lit demort, l’autre vit dans l’ombre de son frère aîné. O.P.D.A. : Cela nous situe l’un par rapport à l’autre. On est présent chacun avec son his- toire. Et cette relation entre les deux frères est aussi un très bon moteur. On sait de quoi on parle, avec Patrick. C’est sûr, qu’il y aurait un livre à écrire sur la fraternité, un jour. Même de manière infi- me, le romancier se raconte toujours.Avec ces personnages de deux frères, séparés de onze ans, on se retrouve un peu. En même temps, ce n’est pas du tout nos vies. L’effacement, la disparition, le suicide, ce sont des thèmes qui nous sont proches, mais qui concernent aussi beaucoup de personnes. L.P.B. : Est-ce difficile d’être le frè- re de Patrick Poivre d’Arvor ? O.P.D.A. : Ce n’est jamais faci- le d’être, de se situer par rap- port à ses origines, ses parents…Le fait d’être le frè- re de quelqu’un qui est très célèbre, cela m’a amené vers quelque chose d’autre dans ma vie, que je n’aurais cer- tainement pas fait si mon frè- re avait été enseignant ou coif- feur. Çam’a amené à orienter ma vie. Vers 25-30 ans, pour avoir ma propre vie, ne plus vivre par rapport à lui, j’ai dû aller ailleurs. Onne sait jamais comment l’autre vous regar- de. Ce n’est d’ailleurs pas for- cément négatif, c’est parfois très stimulant. J’ai passé dou- ze ans en poste à l’étranger pour m’inventer ma vie. Il n’y avait pas de place pour moi en France. Après avoir fait ce détour par l’étranger, j’ai pu exister. En fait, ce n’est qu’à une échelle plus apparente ce que tout le monde vit. Tout le monde doit s’opposer à ses parents, “tuer le père”. Moi, je n’ai pas eu àm’opposer àmes parents, mais j’avais un grand frère. Et contrairement au père, on ne peut pas tuer son frère. Il faut solutionner le pro- blème autrement. Mais avec Patrick, on est lié, c’est fusion- nel. L.P.B. : Votre roman figure sur la première liste de sélection du prix Goncourt. Qu’est-ce que cela fait ? O.P.D.A. : On ne sort pas en sep- tembre pour dire qu’on n’est pas intéressé par les jurés lit- téraires. On est content d’être sélectionné sur ces listes. Il y aun certainnombre de romans qui sortent en ce moment, le principe de sélection est assez

Frère cadet du présentateur vedette du J.T. de T.F.1, Olivier Poivre d’Arvor a dû partir à l’étranger pendant douze ans, en tant que directeur d’instituts culturels, pour “pouvoir exister”. “En France il n’y avait pas de place pour moi”, dit-il.

roman est “Disparaître”. Je suis fasciné par le silence. Si on écrit justement, c’est par- ce qu’on ne peut pas parler, on ne peut dire ce qu’on ressent. Si on écrit, c’est pour faire silence. Propos recueillis par S.D. Olivier et Patrick Poivre d’Arvor, “Disparaître” aux éditions Gallimard et “Lawrence d’Arabie, la quête du désert ” aux éditions Mengès

qu’on intéresse les gens et expliquer pourquoi ce qu’on a fait est génial à longueur d’in- terviews, c’est quelque chose que je ne supporte plus. L.P.B. : Pourtant, vous fréquentez les salons littéraires, vous êtes venus au salon des Mots Doubs de Besan- çon. C’est aussi de la promotion… O.P.D.A. : Je viens parce que mon frère me pousse. Aussi parce que l’éditeur amisé beau- coup sur notre livre. Je fais par respect et par sens des res- ponsabilités, pas par senti- ment de plaisir. Le titre du

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L.P.B. : Dans “Disparaître”, vous

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