La Presse Bisontine 71 - Novembre 2006

6 L’ÉVÉNEMENT ’

ÎLOT PASTEUR : le piège se referme sur la ville

Né en 1998, le projet d’aménagement urbain et commercial Îlot Pasteur - récemment rebaptisé “Passages Pasteur” - est un des principaux dos- siers d’aménagement du centre-ville de l’actuel maire de Besançon. Il s’agit d’édifier un pro- gramme de logements et de surfaces commer- ciales dans un ensemble d’immeubles situés dans le périmètre de la Grande rue, la rue du loup, la rue du Lycée et la rue Claude-Pouillet, au cœur du centre-ville. Ce projet stratégique pour l’attractivité du cœur de ville - la FNAC a confirmé son intention de venir s’installer - prend des allures de bourbier pour la ville de Besan- çon. Le dernier rebondissement en date est une décision de la cour d’appel de Besançon qui annule les actes de vente passés en 1998 entre les différents partenaires. Conséquence : on revient à la situation de 1998 et nul ne peut affir- mer clairement aujourd’hui à qui appartiennent les immeubles de l’Îlot Pasteur. Malgré tout, la ville poursuit l’aménagement de ce futur centre commercial, forte d’une déclaration d’utilité publique. En toile de fond, il y a une guerre com- merciale entre différents promoteurs. À ce jour, le bras de fer judiciaire se poursuit et les travaux avancent tant bien que mal. Décryptage. La chronologie du feuilleton Le 19 mai 1998 , les consorts Weil, propriétaires indivis d’un ensemble d’immeubles rue Pasteur et Grande rue, signent un compromis de vente avec Alain et Michel Wajs- brot, promoteurs immobiliers basés à Metz. Montant de la transaction : 20 millions de francs. Le 3 septembre 1998 , la ville de Besançon décide d’exer- cer son droit de préemption sur ces immeubles. Les frères Wajsbrot entament alors une procédure administrative en vue d’annuler l’exercice de la préemption effectuée par la ville. Le 3 novembre 1998 , les frères Wajsbrot demandent l’annulation des arrêtés municipaux du 3 septembre 1998. Le 1 er décembre 1998 , la ville, usant de son droit de préemption, acquiert donc ces immeubles aux consorts Weil pour la somme de 20 millions de francs. Les 9 et 15 juillet 1999 , la ville rétrocède ces mêmes immeubles à la Société d’Équipement du Doubs (S.E.D.D.), à qui elle confie l’aménagement du projet Îlot Pasteur. Le 24 février 2000 , le tribunal administratif de Besan- çon annule les arrêtés pris par la ville le 3 septembre 1998 au motif que la ville n’avait aucun projet précis au moment de la préemption. Cette décision sera confirmée le 25 mars 2004 par la cour administrative d’appel de Nancy. Le 28 janvier 2002 , le préfet du Doubs déclare d’utilité publique le projet de réalisation de l’opération Pasteur. Les 6 janvier et 28 mars 2003 , des ordonnances d’ex- propriation donnent à la S.E.D.D. la possession des immeubles concernés. Le 3 mai 2005 , le tribunal de grande instance de Besan- çon déclare les frères Wajsbrot irrecevables dans leurs prétentions d’annuler la préemption de la ville au motif que l’acte de vente qu’ils avaient signé en mai 1998 avec les Weil était nul pour défaut d’enregistrement. Le 21 février 2006 , le tribunal de grande instance de Besançon déboute les frères Wajsbrot de leur demande de faire cesser l’opération d’aménagement de l’îlot Pas- teur, reprenant les arguments avancés dans le jugement du 3 mai 2005. Le 20 juillet 2006 , le tribunal administratif de Besançon rejette la requête des frères Wajsbrot d’annuler huit déli- bérations du conseil municipal de Besançon en date du 19 janvier 2004 par lesquelles elle décidait de réaliser l’opé- ration Pasteur. Mais le 26 septembre 2006 , la cour d’appel de Besan- çon contredit le jugement du tribunal de grande instance du 3 mai 2005 et prononce la nullité des contrats de vente conclus entre les consorts Weil et la ville de Besançon du 1 er décembre 1998 et entre la ville de Besançon et la S.E.D.D. des 9 et 15 juillet 1999. La cour d’appel s’appuie alors que un arrêt de la cour de cassation en date du 28 juin 2006.

L’ AFFAIRE

Pas d’indemnisation en vue Le projet îlot Pasteur ébranlé

dans ses fondations La justice a donné un nouveau coup à l’avancement du projet immobilier et commercial rebaptisé “Passages Pas- teur”. Malgré ce rebondissement, la ville affirme ne pas vouloir donner un euro d’indemnisation aux frères Wajs- brot tout en leur laissant la possibilité de racheter des mètres carrés qu’ils pourront commercialiser.

jet îlot Pasteur va s’apparenter à un gouffre financier pour la collectivité” commente l’un d’eux. Si on doit s’en tenir à l’arrêt de la cour d’ap- pel qui “renvoie les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion des actes” , les consorts Weil redeviendraient propriétaires des immeubles en cause. “Si on applique la décision, on redevient pro- priétaire, on rend son argent à la ville, et on peut revendre aux Wajsbrot” résume un consort Weil. Cette affaire empoisonne sérieusement la ville. Certainement autant que les Bison- tins qui désespèrent de voir un jour briller au centre-ville les enseignes commerciales annoncées depuis des années. Le grand perdant dans l’histoire est sans conteste le centre-ville de Besançon. J.-F.H. Le maître d’ouvrage de l’opération et construc- teur, le groupe Eiffage, a confié à la société Ségécé (groupe Klépierre, filiale de la BNP), la gestion du futur centre commercial “Passages Pasteur”. C’est à cette société - premier ges- tionnaire de centres commerciaux en Europe - que le maire Schwint avait confiée à la fin des années quatre-vingt-dix le marché îlot Pasteur, suite à un concours. Le directeur général adjoint de la société Ségécé, Daniel Brisson, connaît bien Besançon pour y avoir été le directeur général de la Chambre de Commerce et d’In- dustrie du Doubs jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Selon lui, “le dossier n’est pas remis en cause. Nous avons signé des enga- gements, notamment avec FNAC et Monoprix, ces engagements seront tenus même si les aléas juridiques retardent les choses.” Le groupe Ségécé est aguerri à ce genre de dossiers. “À Boulogne-Billancourt, on a mis 16 ans pour que se concrétise un centre com- mercial, à Valenciennes 17 ans.” Les Bisontins devront donc encore s’armer de patience. Un ancien Bisontin dans la gestion du futur centre commercial

D ans les couloirs de la ville de Besan- çon, les notes de services succèdent aux réunions. Un seul sujet mobi- lise actuellement les conversations : comment se sortir d’un guêpier dans lequel on s’est fourré soi-même ? Résumé de la situation : la cour d’appel de Besançon vient d’annuler, par jugement du 26 septembre dernier, les actes de ven- te par lesquels la ville de Besançon était devenue propriétaire d’un gros morceau de l’ensemble immobilier au sein de l’Îlot Pas- teur. Au moment où elle avait décidé d’user de son droit de préemption, la ville de Besan-

transaction entre les Weil et les Wajsbrot. Ce bâton de dynamite à retardement allu- mé par l’équipe Schwint explose aujour- d’hui à la figure de l’équipe Fousseret. Aujourd’hui, la mairie se veut rassurante : “Nous sommes dans une situation de marche en avant, même s’il existe des aléas de pro- cédure. Ces aléas ne remettent pas en cau- se le déroulement des travaux” affirme Patrick Ayache, le directeur général des services, avançant l’argument de la pré- dominance de l’expropriation prononcée en 2003. “La S.E.D.D. apparaît toujours pro- priétaire par l’effet de l’ordonnance d’ex- Forte de cette certitude, la mairie de Besançon adopte une posture ferme : “Nous ne sommes prêts à aucun effort financier, nous ne dédommagerons personne. Ce qu’on est prêts à faire, c’est vendre une partie des mètres carrés aux frères Wajsbrot mais nous ne les indemniserons pas” ajoute M. Ayache. Le groupe Eiffage, maître d’ouvrage de l’opération immobilière commerciale, est plus circonspect. “Il y a une vraie contra- diction dans l’arrêt de la cour d’appel. D’un côté la ville ne serait pas propriétaire et d’un autre la déclaration d’utilité publique reste valable. Pour l’instant, c’est encore le flou” avoue Jean-Pierre Specte, respon- sable de l’opération pour Eiffage. Pour les consorts Weil, la situation actuelle n’a rien d’étonnant : “Dans cette affaire, les dossiers ont été très mal plaidés. Et la S.E.D.D. a été de très mauvais conseil. Au final, ce pro- propriation de 2003, affirme M. Ayache. Les opérations d’amé- nagement peuvent donc se pour- suivre.”

çon n’avait aucun projet fice- lé. En droit, c’est une condi- tion suffisante pour rendre caduque la préemption. Cet- te faute grossière des services de la ville remet en selle les promoteurs messins Michel et Alain Wajsbrot, spécialisés dans la commercialisation de surfaces commerciales à tra- vers la France.

“Si on applique la décision, on redevient propriétaire.”

Actuellement, tous les protagonistes de l’af- faire glosent sur la portée exacte de cette dernière décision, dernière en date d’un feuilleton qui dure depuis huit ans. Car le vrai détonateur de l’histoire, c’est l’ancien maire de Besançon - et son service urba- nisme. Cette histoire de gros sous sur fond de promotion immobilière est finalement simple à comprendre. Voulant privilégier un promoteur plus proche de ses volontés que lesMessinsWajsbrot, le maire de Besan- çon Robert Schwint n’avait rien trouvé d’autre que la préemption des immeubles - préemption jugée par la suite sans fon- dement, donc illégale - pour empêcher la

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