La Presse Pontissalienne 173 - Mars 2014

PONTARLIER

La Presse Pontissalienne n° 173 - Mars 2014

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PONTARLIER Départ en retraite “Ici, plus personne ne conteste le droit au travail des personnes handicapées” Après 34 ans à la direction de l’A.D.A.P.E.I., Patrick Vuittenez fait valoir ses droits à la retraite au terme d’une carrière passionnante où l’économique a toujours été au service du médico-social. Confidences.

L a Presse Pontissalienne : Comment appréhendez-vous ce passage à la retraite ? Patrick Vuittenez : Je ne voulais pas par- tir avant d’avoir mis sur les rails l’A.D.A.P.E.I. du Doubs qui fédère depuis le 1 er avril 2013 les 80 établis- sements du département. Mis à part cela, je n’avais pas du tout envie de m’accrocher. Pour la retraite, j’ai choi- si de me mettre au vert à Saffloz, petit village jurassien près de Chalain. C’est une vraie coupure. L.P.P. : Vous tirez un trait sur les responsabi- lités ? P.V. : Pas tout à fait. J’ai plus envie de m’impliquer dans la vie locale. Je vais participer aux élections municipales de Saffloz. Je conserve aussi quelques engagements associatifs notamment à E.P.P.I. L.P.P. : En quoi l’insertion vous intéresse ? P.V. : J’ai toujours apprécié de m’investir dans l’insertion. Il y a encore beau- coup à faire dans ce secteur moins structuré que le médico-social. L.P.P. : Comment s’est passé votre recrute- ment à l’A.D.A.P.E.I. ? P.V. : J’ai commencé en 1979 comme directeur-adjoint à l’U.N.A.P. C’est le président de l’époque, à savoir Félix

Bourdin qui m’a proposé ce poste. L’A.D.A.P.E.I. de Pontarlier compte parmi ses membres plus d’amis que de parents. Cette particularité se retrou- ve aussi au niveau de ceux qui l’ont présidée depuis sa création en 1964 avec une alternance de parents d’enfants handicapés et d’amis. Je pen- se que cela constitue une vraie force dans le sens où cela permet peut-être de prendre plus de recul. J’y ai trou- vé mon compte et cela a surtout pro- fité à l’A.D.A.P.E.I. de Pontarlier.

n’existe plus à l’A.D.A.P.E.I. de Pon- tarlier qui est devenue une section locale. Dans cette nouvelle organisa- tion, j’assure la responsabilité du pôle “travail et insertion professionnelle” qui réunit plus de 2 000 personnes dont 1 300 travailleurs handicapés. Les sections qui n’ont plus de person- nalité juridique ont retrouvé leur mis- sion première autour de l’animation, des parents et de la sensibilisation du public. La gestion budgétaire et admi- nistrative s’effectue maintenant au niveau de l’A.D.A.P.E.I. du Doubs. L.P.P. : Vous vous êtes beaucoup investi dans ce vaste chantier. P.V. : Oui mais au même titre que les deux autres directeurs généraux et les trois présidents de l’A.D.A.P.E.I. à Besançon, Montbéliard et Pontarlier. On a procédé à deux remplacements pendant cette période en recrutant Véronique Cugini à la direction de l’U.N.A.P. et en confiant à Jean-Michel Laforge la direction du pôle “travail et insertion professionnelle.” Les pas- sages de relais ont bien fonctionné. Cette fusion, on a pris le temps de la faire. L.P.P. : Pas trop compliqué de diriger à la fois de l’association et l’U.N.A.P. pendant trente ans ? P.V. : Non. Au contraire, j’ai toujours tenu à avoir cette double casquette opérationnelle et humaine. Je me suis toujours fait une fierté de connaître tous les travailleurs handicapés. Quand j’avais un coup de blues car cela arri- ve aussi, je descendais dans les ate- liers et le simple fait de côtoyer ce public suffisait à redonner du sens à mon travail. L.P.P. : Vous semblez beaucoup les apprécier. P.V. : J’ai pris de vraies leçons de vie auprès des travailleurs handicapés. Ils font preuve d’un attachement au travail, d’une dignité et d’un sens du vivre ensemble tout à fait remarquable. Si la société fonctionnait avec les mêmes valeurs, on n’en serait peut-être pas là. Ces échanges vont beaucoup me manquer. L.P.P. : C’est un public qui ne triche pas ? P.V. : Ils me bluffent encore par leur spontanéité. Ils sont nature et n’ont pas à se cacher derrière ce vernis social. J’ai toujours tenu à les considérer com- me des personnes à part entière. L.P.P. : La prise en charge du handicap s’est- elle améliorée depuis trente ans ? P.V. : Évidemment. On constate une réelle évolution dans le renforcement des soutiens, dans la professionnali- sation des équipes et dans la person- nalisation des projets d’accompagnement. On réfléchit plus en parcours de vie. On prend davan- tage la personne handicapée dans sa globalité en lui laissant aussi une cer- taine liberté de choix. L.P.P. : Une prise en charge à tous les âges de la vie ? P.V. : L’A.D.A.P.E.I. de Pontarlier a été l’une des premières à construire une unité de vie pour les personnes âgées.

“J’ai toujours fonctionné sur la confiance et le respect.”

L.P.P. : Professionnelle- ment parlant, vous avez grandi avec la structure ? P.V. : En quelque sor- te. En 1983, l’A.D.A.P.E.I. a choi- si de créer un siège d’association avec une direction générale qui m’a été confiée à la tête de l’U.N.A.P., du foyer Horizon et de l’Institut Médico-édu- catif. Les choses ont encore évolué avec la mise en de l’A.D.A.P.E.I. du Doubs. Le poste de directeur général

On peut encore s’améliorer dans la recherche de solutions en interne ou en partenariat avec d’autres institu- tions sanitaires et sociales. L’avantage aujourd’hui, c’est qu’on fonctionne plus en réseau. On peut s’appuyer sur des établissements comme l’E.H.P.A.D. ou l’unité psychiatrique du Grandvallier pour ajuster au mieux la prise en char- ge. L.P.P. : Quel rôle joue l’U.N.A.P. ? P.V. : Cette unité apporte les résultats économiques qui ont permis d’améliorer le social. Au départ, il s’agissait d’une petite blanchisserie avec une forte acti- vité de sous-traitance industrielle. Quand F.C.I. a arrêté, il s’avérait néces- saire de trouver des solutions de diver- sification. La fermeture de la blan- chisserie de l’hôpital en 1981 nous a finalement permis de passer du stade artisanal au stade industriel. Quelles que soient les décisions prises, j’ai tou- jours fonctionné sur la confiance et le respect vis-à-vis des personnes han- dicapées, des familles, des adminis- trateurs, des clients, des fournisseurs. Ce mode opératoire a toujours préva- lu à Pontarlier. L.P.P. : Quel est le volume d’activité de cette blanchisserie ? P.V. : Elle traite 13 tonnes par jour pour 600 clients différents et notamment Peugeot, les hôpitaux du secteur et les établissements du groupe Accor dans

qualité, environnement et santé-sécu- rité. L.P.P. : La valeur du travailleur handicapé est- elle reconnue ? P.V. : Ces personnes ont une vraie qua- lification professionnelle et de solides compétences. La preuve, elles forment les saisonniers qui viennent les rem- placer en été. C’est une vraie satis- faction. Le volet professionnel à l’A.D.A.P.E.I. du Doubs ne se réduit pas à la blanchisserie. Elle intègre trois cuisines centrales, cinq cafétérias, un élevage de poulet au château d’Uzel. On continue aussi à faire de la sous- traitance industrielle. Les choses ont aussi changé dans ce domaine. Main- tenant, on achète nous-mêmes les com- posants, on les assemble et on les livre au client. Cette stratégie est plus ris- quée. Elle nécessite d’avoir la confian- ce du conseil d’administration. L.P.P. : Avez-vous fait des mauvais choix ? P.V.. : En 33 ans, j’ai parfois pris des mauvaises décisions. Le tout étant d’en prendre plus de bonnes que de mau- vaises. Il faut parfois se mettre en dif- ficulté, en précarité pour défendre ce à quoi l’on croit. L.P.P. : Tous les ingrédients d’une vie trépi- dante ? P.V. : Je dirais plutôt passionnante et très riche sur le plan relationnel. J’ai été particulièrement touché par les petits gestes, les petits cadeaux des travailleurs handicapés. Ils ont passé parfois un temps fou pour confection- ner ces objets offerts pour mon départ en retraite. L.P.P. : Quel est votre sentiment sur la per- ception du handicap ? P.V. : Elle a bien évolué sur Pontarlier. On a bien travaillé dans ce sens avec la création de la commission “loisirs, cultures, sports.” Ce groupe intègre des bénévoles de la vie civile qui orga- nisent des sorties, des concerts, des manifestations… Et cela permet aux handicapés de s’ouvrir sur la société civile. Aujourd’hui, plus personne à Pontarlier ne conteste le droit au tra- vail des handicapés. Dans leur équi- libre de vie, le travail, c’est capital. Quand des clients viennent visiter nos installations, j’avais l’habitude de leur dire qu’ici, ils ne sont pas dans une blanchisserie mais dans un établisse- ment médico-social et c’est cela qui a du sens. Propos recueillis par F.C.

le Doubs. Rappelons que l’objectif n’est pas la croissance à deux chiffres mais de four- nir du travail à l’ensemble des tra- vailleurs handicapés. On intervient dans le cadre d’une mission médico-sociale avec des contraintes écono- miques. On doit être compétitif. Comme on ne peut pas faire des gains de productivité sur le personnel, on joue sur le volume, l’outil de travail et la qualité des prestations. Pour ce faire, on dis- pose d’un service com- mercial avec 5 per- sonnes. L’outil de travail est ultra-per- formant. C’est l’une des rares blanchisserie tri- plement certifiées en

“J’ai parfois pris des mauvaises décisions.”

Après 34 ans de service, Patrick Vuittenez part en retraite avec pour seul regret de s’éloigner des personnes handicapées qui lui ont donné de si belles leçons de vie.

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