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L’AVIS D’EXPERT

l’ablation de mon sein, je n’ai pas souhaité de reconstruction mammaire. Je n’avais pas envie de subir un nouveau cycle de chirurgie et de soins. J’ai eu ma dose de douleur et d’épuise- ment. À quoi bon revivre cela ? Je pouvais très bien vivre sans un sein. Je porte une prothèse externe. Mon chirurgien a très bien fait les choses pour que je puisse mettre des décolletés. À aucun moment, je ne me suis sentie moins féminine. J’ai découvert en moi une force insoupçonnée Durant la chimiothérapie, quand je me suis découverte tête nue, je me suis même trouvée pas mal. Je me maquille un peu plus, je fais plus attention. Je me sens presque plus féminine qu’avant. Mes ami(e)s m’en ont fait la remarque. Ils ont été étonnés de me voir si combattante, si active, pendant la maladie ; aujourd’hui, ils me trouvent plus zen au quotidien. C’est vrai, j’ai découvert une certaine force en moi, insoupçonnée, pendant la maladie. Je suis restée positive, j’ai continué mes engagements asso- ciatifs. J’ai mis un point d’honneur à ne rater aucune répétition de ma chorale, même pendant la chimiothérapie. Mon mari a tou- jours été à mes côtés, persuadé dès l’annonce de la maladie que j’allais m’en sortir. Cela m’a por- tée. Si bien que je me sens plus capable aujourd’hui de surmon- ter les obstacles de la vie. Ce qui, avant, me semblait grave, me le semble beaucoup moins aujourd’hui. Les difficultés au travail, les soucis du quotidien, je fais avec, sans que cela ne m’at- teigne. Pour être plus précise, je décide que cela ne m’atteindra pas. Quand on a dû imaginer sa mort, se dire que dans quelques semaines on ne sera peut-être

plus là pour ses enfants, on pose un regard différent sur la vie. Avec des conséquences inat- tendues. Par exemple, j’accorde plus d’importance à ma relation aux autres. J’éprouve davantage le besoin de leur dire que je les aime, que j’ai passé de bons moments avec eux, de les en remercier. Je ressens comme une urgence à dire les choses avant que la vie ne file. Avant, je m’oubliais un peu Pendant la maladie, j’ai aussi écarté les relations qui me pom- paient de l’énergie sans bien- être en retour. Je me sens moins obligée de faire les choses qui ne m’apportent rien de positif. J’ai plus envie d’aller à l’essentiel, de profiter de la vie. Par exemple, je me suis découverte très sen- sible à la beauté de la nature. À l’annonce de la maladie, j’étais oppressée, j’ai ressenti le besoin physique d’aller dehors, dans le jardin. La contemplation de la beauté des fleurs, des arbres, de la lumière, m’ont apporté, et m’apportent encore, l’apai- sement dont j’avais besoin. Je suis reconnaissante à la vie que la beauté de la nature existe, quoiqu’il m’arrive. Je m’accorde ces moments de contemplation. Prendre du temps pour moi est l’une des grandes leçons de cette épreuve. Avant, je donnais beaucoup aux autres, mais je m’oubliais un peu. Depuis le can- cer, je fais plus de sport, avec la satisfaction de faire du bien à ma santé, j’écoute mon corps, je me suis remise à la guitare, j’essaie de changer l’alimentation de la famille... Nous avons tous été embarqués dans cette traversée. Nous avons tous été secoués, tous un peu changé. À la sortie de la maladie, nous sommes partis en voyage en Croatie. Heureux d’être tous ensemble.

Aline Bailly accompagnatrice de santé, responsable de la Maison des patients et des proches, Institut Curie

« Le cancer ramène à l’essentiel » Peut-on vraiment “vivre comme avant” après un cancer ? Certaines patientes, et leurs proches, expriment ce souhait car ce serait rassurant que rien ne change. Mais il y a un nécessaire décalage entre le souhait et la réalité : décalage avec les attentes de la famille et de l’entourage professionnel, décalage avec ce que l’on est après le traitement. La conscience du décalage émerge le plus souvent à la fin de celui-ci. Chacune comprend à son rythme qu’elle ne peut pas juste “se rétablir”, mais doit re-advenir. De quel ordre sont les changements exprimés par les femmes ? Elles ont le sentiment d’être une autre à redécouvrir. Le corps porte les séquelles des traitements qui ont rendu la maladie visible. L’image de soi en est modifiée. Le sentiment de perte de féminité est très fort : comment réinvestir la libido ? Rester séduisante ? Se projeter dans la relation au partenaire ? Il y a une perte de confiance dans ce corps qui a trahi. Beaucoup souffrent aussi de troubles cognitifs dus au traitement et ont du mal à se concentrer, à mémoriser au travail. Il est important d’en parler et de se faire accompagner, par des professionnels ou d’échanger avec des pairs via des groupes de parole ou des associations. Pourquoi la maladie entraîne-t-elle, quelquefois, des changements de vie radicaux ? Certaines patientes interprètent le cancer comme un signal d’alerte : elles ne peuvent “plus continuer comme ça” : à fumer, boire, mal manger, être stressée par leur travail, malheureuses dans leur couple... “Mon corps a parlé”, disent- elles. Beaucoup arrêtent le tabac ou l’alcool, changent d’alimentation ou d’activité physique. Elles reprennent ainsi possession de leur corps. Elles expriment par ailleurs le besoin de donner du sens à leur vie, à leurs projets. Il n’est pas rare de voir des séparations de couples, des ruptures avec des amis. Le cancer ramène à l’essentiel. D’autant que la peur de la récidive plane. Rien que pour cette raison, on ne peut plus “vivre comme avant”.

“ CE QUI, AVANT, ME SEMBLAIT GRAVE, ME LE SEMBLE BEAUCOUP MOINS AUJOURD’HUI ”

LÉTIZIA LE FUR POUR SANTÉ MAGAZINE

83 SANTÉ MAGAZINE I janvier 2019

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