La Presse Bisontine 121 - Mai 2011

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 121 - Mai 2011

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REPORTAGE L’envers du décor d’un opéra Dans les coulisses du Théâtre Musical Installé sur son siège, le spectateur n’imagine pas toujours la débauche d’énergie et de talent qui sont mis en œuvre pour qu’un opéra se transforme en un pur instant d’émotion. Bienvenue dans les coulisses du Théâtre Musical. Du metteur en scène aux techniciens, ils se sont mis au service de Rigoletto, l’œuvre de Verdi.

Brontis Jodorowski, le metteur en scène est attentif aux moindres détails.

La complicité entre le metteur en scène et le chef d’orchestre Jean- François Verdier est nécessaire.

U n matin au Théâtre Musical de Besançon. “Tout le monde en place pour le départ. C’est une scène complexe, il faut que ce soit bien !” Debout dans la salle, s’exprimant dans un français aux accents espagnols, Brontis Jodorows- ky fait passer la consigne. Il guide l’entrée du chœur d’hommes avec d’amples mouvements de bras. Rien n’échappe au metteur en scène. Il est attentif aux moindres détails, pous- sant l’exigence jusqu’à trouver une position exacte pour chaque chanteur. Le spectacle en préparation impose cette précision : Rigoletto de Giusep- pe Verdi. Une œuvre exceptionnelle, écrite par le compositeur italien qui s’est inspiré du Roi s’amuse, le drame de Victor Hugo. Quelques mélodies de cet opéra sont devenues populaires sans que le grand public en connais- se toujours la référence, grâce à la publicité qui a emprunté la musique deVerdi pour promouvoir entre autres une marque de jambon. Cette image de grande distribution contraste avec l’émotion insufflée par Brontis Jodo- rowski dans cette pièce au pouvoir dramatique. Le metteur en scène ne veut rien lais- ser au hasard. “Pendant un an, j’ai écouté cet opéra tous les jours pour m’en imprégner. Je me suis laissé péné- trer par l’œuvre et j’ai accepté d’être possédé par elle avant d’enfanter en quelque sorte de ce spectacle” confie- t-il au moment où avec ses complices il s’accorde une courte pause. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous sommes à la veille de la répétition générale. Chanteurs, musiciens, techniciens se sont mis dans les conditions du spec- tacle lors de cette séance de travail. C’est aussi dans ces moments-là que se purgent les angoisses. Dans trois jours aura lieu la premiè- re des deux représentations publiques. Même si techniquement il reste à affi-

ner encore quelques éléments, tout doit être parfaitement calé pour que l’opéra se déroule avec fluidité comme une mécanique bien huilée. Le public applaudira. “L’opéra impose un timing redoutable” confie Loïc Boissier, le directeur du Théâtre Musical. La coordination doit être parfaite entre les 48 musiciens de l’Orchestre de Besan- çon-Montbéliard-

Élisabeth. Elle a acheté les tissus, cou- ru les friperies, teinté des matières et en a râpé d’autres, pour obtenir un résultat propre à chaque tenue vesti- mentaire. Le tout, une fois de plus, est d’être crédible et en accord avec le pro- pos du spectacle. “J’aime bidouiller. J’ai un métier de magicien qui trans- forme la vie des interprètes qui se glis- sent dans un costume.” Vêtue de sa blouse peinturlurée qui raconte elle aussi une part de sa vie à l’opéra, Éli- sabeth de Sauverzac profite des répé- titions pour ajuster la tenue des acteurs. Elle a le souci du détail. Un pantalon trop court qu’il faut retoucher pour l’un, une robe àmodifier pour une autre qui se trouve trop grosse, dans une loge située à l’arrière de la scène Mada- me est aux petits soins. Mais elle agit toujours dans l’esprit donné au spec- tacle par le metteur en scène. “Il est le capitaine du navire. Nous ramons tous dans le même sens.” Mêmes les tech- niciens qui s’affairent en régie, gérant les lumières et les décors se plient à la volonté de Brontis Jodorowsky. Casque sur la tête, communicant entre eux par radio, tous leurs gestes sont dictés par des “tops”. À cet appel, cha- cun sait ce qu’il doit faire. Perché à plusieurs mètres au-dessus de la scène, dans les combles duThéâtre Musical dans un endroit baptisé le cintre, Fabrice Triponney attend le signal. Face à lui, une multitude de “cordes”, “non, de guindes, de ficelles, de fils, appelez cela comme vous vou- lez, mais pas de cordes” reprend-il dis- crètement. Il faut le savoir, comme chez les marins, le mot corde est banni du vocabulaire dans les théâtres car il fait référence à la malédiction du pendu. Au bout de ces fils marqués de repères, disposés l’un à côté de l’autre comme les cordages d’un navire, sont sus-

“À l’opéra on ne peut pas tricher.”

Franche-Comté installés dans la fos- se et, au-dessus de leurs têtes, les chanteurs lyriques qui occupent la scène. L’harmonie de l’ensemble repo- se sur les épaules d’un homme, Jean- François Verdier, qui dirige l’orchestre et donne son rythme à l’opéra. “C’est le directeur musical qui donne le tem- po. La musique avance, on ne peut pas tricher” rappelle Loïc Boissier. L’orchestre répète depuis une semai- ne à raison de deux séances de travail par jour. Un laps de temps très court pour préparer Rigoletto. “Nous sommes allés à l’essentiel. Cela demande beau- coup d’attention, d’efficacité et de pro- fessionnalisme de la part de Jean-Fran- çois Verdier. On sent dans les élans, dans les tempi, qu’il s’est imprégné de cette partition” confient des musiciens à la sortie d’une répétition. Les émo- tions ressenties par le public, les nuances musicales passent par la sen- sibilité du chef. “Quand on interprète une musique comme Verdi, on s’attend à avoir quelque chose de très marqué. C’est une musique très identitaire com- me Wagner. Il y a tout un contexte his- torique qu’il faut s’approprier. L’occulter, c’est passer à côté du caractère de cet- te musique” estime Hervé, second haut- bois. Dans les coulisses du Théâtre Musi- cal de Besançon, quelle que soit sa fonction, chaque intervenant du spec- tacle pense Verdi. À leur manière ils se sont mis au service de l’œuvre. Éli- sabeth de Sauverzac est costumière, ou plutôt “auteur de costume” rectifie- t-elle, une passion qui l’occupe depuis vingt-trois ans. Elle travaille avec Bron- tis Jodorowski depuis le mois de décembre sur les vêtements et les cou- leurs qui vont les habiller les chan- teurs. C’est à elle qu’ils doivent la dégaine qu’ils ont scène. Dans un cahier, cette Parisienne de passage à Besan- çon pour les besoins du spectacle, a consigné les dessins de chaque per- sonnage de l’œuvre de Rigoletto vêtu d’une tenue souhaitée. “Il faut explo- rer toutes les pistes possibles pour abou- tir à celle qui définira le mieux le carac- tère du personnage. Je raconte des histoires avec un costume” explique

Installé dans le cintre, Fabrice Triponney active des éléments de décor à des moments précis.

pendus des éléments de décor, que le tech- nicien active à des moments précis. Il a écrit sur un tableau le conducteur du spec- tacle. “Cela fait trente ans que je suis cintrier” dit-il. Durant cette longue carrière, de son perchoir, il en a vu des œuvres se jouer dans ce théâtre. De là-haut, on plonge sur la scène. Doucement, lamusique monte jusqu’ici empor- tant avec elle la voix des chanteurs. Rigo- letto, un vrai plaisir. T.C.

“Nous ramons tous dans le même sens.”

Élisabeth de Sauverzac, “auteur de costumes” en train de souiller une chemise de nuit.

Renseignements : Tout le programme du Théâtre Musical au 03 81 87 81 97 www.letheatre-besançon.fr

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