La Presse Bisontine 121 - Mai 2011

20 DOSSIER

La Presse Bisontine n° 121 - Mai 2011

HISTOIRE

Grâce à l’apport suisse Quand Besançon devient capitale de l'horlogerie française

P aradoxe de l’Histoire, c’est quand l’industrie suisse allait mal qu’est née l’horlogerie française. À la fin du XVII ème siècle, l'industrie hor- logère suisse est frappée par le chômage et ses horlogers fran- chissent une frontière encore poreuse pour s’installer à Besan- çon. La France encourage et entérine ce mouvement d’immigration par un décret qui, en 1793, fonde la Manu- facture Française d’Horlogerie à Besançon. La colonie suisse mettra près d’un siècle à s’enraciner. C’est

De ces 300 ans d’histoire, il reste forcément un lourd héritage. Entretenu par quelques entreprises locales, ravivé aujourd’hui par les prétentions d’autres industriels. Bref retour en arrière.

Les ateliers de l’école d’horlogerie (actuel lycée

Jules-Haag) dans les années trente (collection musée du Temps).

seulement vers 1860 que l’on peut considérer la greffe comme r é u s s i e : l’industrie hor- logère bisontine s’impose alors dans les Exposi- tions universelles de la fin du siècle, l’école d’horlogerie est fondée en 1860. Créé en 1882, l’Observatoire de

Près d'un siècle à s'enraciner.

fonde alors solidement sur ses bases horlogères. Aujourd’hui, Besançon n’est plus la capita- le de l’horlogerie, elle s’est mutée en pôle européen des micro- techniques Dans les années 1970, le déve- loppement des centres horlo- gers de l'Extrême-Orient et la concurrence acharnée de la Suis- se mettent Besançon en diffi- culté. On connaît la suite… Source musée du Temps

Besançon a pour vocation pre- mière de donner l’heure juste : l’heure s’affichait à l’Hôtel de ville, les horlogers de la région venaient la prendre le matin. Besançon devient alors la capi- tale de l’horlogerie française. À la fin du XIX ème siècle, la recherche universitaire va à la rencontre des techniciens hor- logers. La vocation scientifique et technique de Besançon en matière de mesure du temps se

Les ateliers Lip (Cliché Service photogra- phique Lip).

ANALYSE

Le directeur général de Leroy “Le Made in France a de l’avenir” C’est notamment avec lui que souffle le vent du renouveau pour l’horlogerie à Besançon. Guillaume Tripet est le directeur général de Leroy. Comment voit-il l’avenir de Besançon ?

L a Presse Bisontine : Pourquoi misez-vous tant sur le nom “Besançon” pour faire prospérer la marque L.Leroy ? Guillaume Tripet : Plus que sur le nom, nous misons sur la localisation de Besançon. Nous avons une histoire commune avec cette ville, plus particu- lièrement encore avec son observatoire. N’oublions pas non plus que Besançon concentrait à la “gran- de “époque” 15 % de la production mondiale de montres. Notre implantation à Besançon, c’est un retour aux racines puisque les ateliers Leroy étaient installés au square Saint-Amour dès 1892. La marque est tombée aux oubliettes avec l’avènement du quartz, une époque où les montres mécaniques de qualité n’intéressaient plus per- sonne. À partir de 1954, on a fermé nos ateliers bisontins. Ce retour à Besançon suit une logique parfaite. L.P.B. : Seraient-ce les prémices du retour d’un “Made in France” horloger alors que le “Swiss made” est la réfé- rence suprême ? G.T. : Bien sûr, et nous y croyons plus que tout. Notre première démarche a été de recontacter l’observatoire de Besançon en leur demandant s’ils étaient prêts à certifier des produits méca- niques. La démarche suivante sera de mettre en route un poinçon “Besançon” qui dépasse le simple aspect chronométrique. Quant au Swiss Made, il est largement galvaudé. Ce n’est pas un secret de dire que les composants de certaines montres qui ont le label Swiss Made sont fabriqués à 100 % enAsie et que seuls l’assemblage, le régla- ge et le contrôle sont assurés en Suisse. L.P.B. : Combien de montres Leroy seront assemblées à Besançon ? G.T. : Cette année entre 200 et 300. On va essayer de doubler ce chiffre dès l’an prochain. Leroy va

ouvrir en septembre une vitrine place Vendôme, là où se joue le haut de gamme français. On refu- se déjà des clients. L.P.B. : Vos locaux bisontins vont vite devenir exigus ! G.T. : Pour notre installation, nous avons pris ces locaux que le Grand Besançon nous a proposés, ils sont très adaptés à notre activité actuelle mais pas “présentables” par rapport au niveau de produits que l’on fait. Il est clair que très vite, d’ici trois ans, il faudra travailler avec la Ville et la Région pour trouver un lieu suffisamment chargé d’histoire. D’ici la fin de l’année, nous serons entre 5 et 10 de plus. L.P.B. : Pour l’instant, l’atelier Leroy à Besançon, ce n’est “que” de l’assemblage. Peut-on se prendre à rêver et ima- giner un jour le retour de manufactures horlogères à Besançon ?

Guillaume Tripet : “Je ne fais aucune promesse,

mais je crois à l’horlogerie à Besançon.”

“Le Swiss Made est largement galvaudé.”

G.T. : Ce n’est pas de l’ordre du rêve. Je suis persuadé qu’à un horizon de 10 à 20 ans, on refera des mouvements à Besançon. Le Made in France a de l’avenir, il a un potentiel que beaucoup de gens sous-estiment. Quand je dis ça, on a pu me prendre pour un pré- tentieux, voire un fou. Les men- talités commencent à changer. À Bâle, on a présenté un film en 3D sur L.Leroy et Besançon, qui a été vu par des milliers de visi- teurs. Parmi eux, Thierry Stern, le président de la marque Patek- Philippe. Je ne saurais vous répé- ter les mots qu’il m’a dits, notre démarche a été parfaitement com- prise par lui. Avec un poinçon bisontin, l’idée

marre tout de Besançon. Si on commence à regrou- per le savoir-faire existant, ça va amener d’autres choses, c’est certain. Quand un grand groupe du luxe français comme L.V.M.H. met toute sa pro- duction horlogère chez Tag-Heuer en Suisse, là, cela me paraît scandaleux. Qu’il le fasse à Besan- çon ! L.P.B. : Mais l’image de l’horlogerie reste toujours inti- mement liée à la Suisse ! G.T. : C’est justement pourquoi il est nécessaire de créer pour ces grands groupes un environ- nement réceptif à ces questions-là. Et il est vrai qu’à quelques exceptions près, peu de politiques en ont pris conscience ici. Cette démarche, si tout le monde y croit, peut vraiment avoir de grosses conséquences. Propos recueillis par J.-F.H.

est de remettre en place des paramètres identi- fiables et après, de donner des mandats de pro- duction et de développement à des entreprises locales déjà en place. L.P.B. : On n’imagine pas le retour de grandes entreprises employant des centaines de personnes ? G.T. : Mais la démarche est bien plus ambitieu- se que cela ! Le résultat d’un travail bien fait sur dix ans peut avoir beaucoup plus d’impact. Le jour où Cartier décide d’investir 50 millions d’euros à Besançon dans une base de production de 1 200 personnes, comme ils l’ont fait à La Chaux-de-Fonds, ce ne sera plus du rêve. Je ne fais aucune promesse, je dis simplement que Leroy est la marque d’horlogerie le plus haut de gamme qui n’ait jamais existé en France. Et si on veut être cohérent, il faut donc qu’on redé-

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