La Presse Bisontine 121 - Mai 2011

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 121 - Mai 2011

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SYNDICATS

Défilé des syndicats le 1 er mai “Si les salariés ne viennent pas à nous, nous irons à eux”

L a Presse Bisontine : Samedi 9 avril, les salariés des hypermarchés Car- refour ont massivement débrayé en France. Compte tenu du contexte éco- nomique, estimez-vous que nous allons vers une accentuation de ces mouvements sociaux ? José Aviles : Il y a eu plus de 70 % de grévistes à Besançon. La grande dis- tribution compte beaucoup d’emplois précaires. Carrefour propose à ses employés 2 % d’augmentation de salai- re sur une année, alors que les action- naires se partagent 6 milliards de divi- dendes ! Des négociations doivent être ouvertes au niveau national. Les sala- riés demandent 5 % d’augmentation. Certains diront que c’est beaucoup, mais au regard du montant des divi- dendes, c’est une goutte d’eau. La mobi- lisation des salariés de Carrefour peut servir d’exemple. Dès l’instant où il y a des luttes et que les salariés obtien- nent des résultats, il se crée un élan de solidarité. L.P.B. : Le secteur commercial ferait donc par- tie des domaines où les salariés ont la vie la plus dure ? J.A. : Je suis conseiller du salarié, c’est- à-dire que j’assiste les gens dans leur entretien préalable au licenciement dans les P.M.E. où il n’y a justement pas d’organisation syndicale. En 2009, j’ai accompagné 64 personnes sur les 494 qui ont demandé l’assistance d’un conseiller (tous les syndicats confon- dus), 49 en 2010, et 13 depuis le début de l’année 2011. 80 % de ces salariés sont issus du secteur du commerce (boulangerie, bar, restaurant…). Je me suis rendu à six reprises dans une grande enseigne commerciale de Châ- teaufarine. Sur les six personnes concer- nées, cinq ont quitté leur poste car elles ne supportaient plus la pression exercée sur elles. L.P.B. : Les conditions de travail ne cesseraient donc pas de se dégrader dans certaines entre- prises ? J.A. : La vie en entreprise est difficile. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus de personnes sont déclarées inaptes au travail. Pour seulement 10 % d’entre elles, cela est consécutif à un accident du travail. Pour le reste, il s’agit de salariés qui ne peuvent plus assurer leur fonction car ils sont soumis à des pressions trop fortes. L.P.B. : Mais finalement assez peu de salariés demandent l’assistance d’un conseiller syn- dical ? J.A. : 494, c’est dérisoire ! Je précise qu’un tiers de ces gens sont assistés par les trois conseillers C.G.T. Tous les salariés n’ont pas le réflexe de venir vers les syndicats pour défendre leurs intérêts. S’ils ne veulent pas venir à nous, c’est nous qui irons à eux. La C.G.T. va mener des campagnes d’information auprès des salariés. Nous À la tête de l’Union locale de la C.G.T. depuis le 31 mars, José Aviles fait un état des lieux de la situation sociale et syndicale sur le bassin d’emploi bisontin. À quelques jours du 1 er mai.

José Avilès, 43 ans, est syndiqué à la C.G.T. depuis le 1 er mai 2001.

défendons les intérêts de 2 000 sala- riés. Évidemment, si l’on établit une comparaison avec un pays comme l’Allemagne où la majorité des sala- riés sont syndiqués, nous sommes en retard. Si en France, 90 % des salariés appartenaient à un syndicat, les négo- ciations seraient plus simples, et le recours à la grève serait sans doute moins fréquent. L.P.B. : Le syndicalisme a-t-il changé ? J.A. : Le syndicalisme d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. Ce qui a changé, c’est la solidarité. Des salariés sont dans une telle situation de précarité qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre une journée pour venir mani- fester. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas d’accord avec l’action syndi- cale. La preuve, lors de la mobilisation pour les retraites, plus de 60 % des gens soutenaient le mouvement, et tous n’étaient pas dans la rue. L.P.B. : Pour autant, lors des manifestations contre la réforme des retraites proposée par

avons décidé d’aller dis- tribuer des tracts à la sor- tie des entreprises du bas- sin d’emploi de Besançon pour leur rappeler leurs droits et l’importance d’être adossé à un syndi- cat. Il est évident que si les syndicats étaient pré- sents dans toutes les sociétés, il ne se passe- rait peut-être pas tout ce qui se passe aujourd’hui. L.P.B. : Néanmoins, peut-on y voir le signe d’un déficit

le gouvernement, on a eu le sentiment d’un essoufflement de l’action syndicale. J.A. : Les gens sont résignés. Quelqu’un qui gagne le S.M.I.C. actuellement est pratiquement un travailleur pauvre si l’on se réfère au seuil de pauvreté qui est de 930 euros. Par ailleurs, une personne syndiquée peut être mal vue dans son entreprise, ce qui ajoute une

des syndicats est-il petit à petit vidé de son sens ? J.A. : C’est le jour de la fête des sala- riés. Il a été acquis au prix de dures luttes. Cependant, tous les 1 er mai ne se ressemblent pas. Ils sont marqués par l’actualité. En 2002 par exemple, il avait une connotation politique par- ticulière, puisqu’à l’époque le Front National était au second tour de l’élection présidentielle. C’est un 1 er mai qui a marqué l’esprit des gens. Cette année, les revendications porteront sur pénibilité au travail par exemple, et les retraites. Je voudrais rappeler aussi que beau- coup de personnes travaillent le l er mai car leur salaire est doublé ce jour-là. Une femme seule élevant son enfant, ce n’est pas un cliché. Elle est contrain- te de travailler un jour férié pour gagner un petit plus dérisoire. Si les salaires étaient enfin réévalués, peut-être que ces gens-là ne seraient pas obligés de passer par là. Propos recueillis par T.C.

pression supplémen- taire. La société, on la subit, mais on peut fai- re également évoluer les choses pour que des salariés puissent vivre décemment de leur labeur. Pour cela, il faut se mobiliser. Les syn- dicats doivent se ren- forcer. Les salariés ont intérêt à ne pas attendre d’avoir des dif- ficultés pour venir nous retrouver. L.P.B. : Le 1 er mai, jour de la fête du travail et de défilé

“Les gens sont résignés.”

“Beaucoup de personnes travaillent le ler mai.”

d’image des syndicats auprès des salariés. Ou, au contraire ne s’agit-il pas plus d’une désaffection des salariés vis-à-vis des syn- dicats ? J.A. : Je ne pense pas. Il n’y a pas de désaffection des gens vis-à-vis du syn- dicalisme. J’en veux pour preuve que la C.G.T. est en très légère progres- sion. Des retraités nous rejoignent. Dans le Grand Besançon, nous sommes présents dans 79 entreprises et nous

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