La Presse Bisontine 121 - Mai 2011

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n° 121 - Mai 2011

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INTERVIEW

Le scientifique Vincent Bichet éclaire le débat

“Ils cherchent du pétrole, pas du gaz de schiste !” Géologue à l’Université de Besançon, Vincent Bichet met en garde contre les interprétations et annonces trop hâtives. Attention, selon lui, à ne pas confondre ce que les pétroliers recherchent en Ardèche et dans le Jura.

Entre 1934 et 1936, le sous-sol de Sainte- Colombe avait été exploré. Le pétrole n’a pas coulé à flot.

L a Presse Bisontine : Le sous-sol du Haut-Doubs deviendra-t-il la future mine d’or des pétroliers ? Vincent Bichet : Le Jura a été la cible des pétroliers jusque dans les années 1980 avec des forages vers Nozeroy, dans le Risoux ou sur le Laveron (lire par ailleurs). Les pétroliers y cherchaient du pétrole et du gaz conventionnels. Les résultats se sont avérés néga- tifs même si notre sous-sol recè- le théoriquement de bons pièges - avec des anticlinaux - où il est envisageable d’exploiter gaz ou pétrole par forage “traditionnel” sans avoir recours au processus de fracturation artificielle (N.D.L.R. : technique utilisée pour aller chercher le gaz de schiste). L.P.B. :Vous ne parlez donc pas de gaz de schiste alors que les politiques (Euro- pe Écologie-Les Verts ou le P.S.) sont montés au créneau en dénonçant ce processus aux conséquences catas- trophiques sur l’environnement. Ont-

géopolitiques actuelles, le moindre gisement suscite de l’intérêt. L.P.B. :Des milliers de barils pourraient être alors produits. À quelle profon- deur faut-il forer ? V.B. : Ce ne sera jamais de gros gisements, même s’il y a un potentiel entre 1 500 et 2 500 mètres de profondeur. L.P.B. :Combien de pétroliers sont inté- ressés par notre sous-sol ? V.B. : Trois compagnies princi- pales se partagent les permis attribués sur le massif du Jura (France et Suisse).Celtique Éner- gie Petroleum possède le permis d’exploration dit de Pontarlier. L.P.B. : Le sol va donc bientôt être per- cé ? V.B. : Le permis d’exploration de Pontarlier est délivré pour 5 ans. Si des forages de reconnaissan- ce sont envisagés, ils seront sans doute réalisés dans ce délai.Mais

la première étape consiste à réin- terpréter toutes les données anciennes, en particulier les pros- pections sismiques avec les moyens informatiques d’aujourd’hui. L.P.B. : S’il n’y a pas de forage dans l’immédiat, que feront-ils ? V.B. : Pour préciser les cibles de forage, ils feront sans doute des prospections sismiques aumoyen de camions vibreurs. L.P.B. : Ces ondes sismiques ont-elles des conséquences sur l’environnement ? V.B. : Non, absolument aucune. Ce type d’étude sismique est cou- rant et vient par exemple d’être réalisé àMorges (en Suisse) non loin des habitations, sans aucu- ne nuisance. L.P.B. : Quelle est la position du scien- tifique que vous êtes ? V.B. : Le scientifique est intéres- sé mais le citoyen est hésitant

de juste que l’on donne à la popu- lation toutes les informations… Je n’ai aucun conflit d’intérêt, je ne travaille pas pour les pétro- liers ! L.P.B. : Justement, on a l’impression que ces informations sont secrètes ! V.B. : Elles ne sont pas secrètes, mais il faut aller les chercher, c’est vrai. Je vous invite à vous rendre sur le site du bureau d’exploration-production des hydrocarbures (B.E.P.H.). Dans le bulletin de septembre 2010, le permis de Pontarlier était écrit noir sur blanc. L.P.B. :Pourquoi les compagnies pétro- lières reviennent-elles à la charge tren- te ans après avoir exploré notre sous- sol ? V.B. : Lesmoyens de connaissance du sous-sol se sont beaucoup améliorés depuis l’époque des premières explorations dans le Haut-Doubs. Avec un baril à 115 dollars et les problématiques

et vigilant ! Je suis un farouche militant pour l’abandon pro- gressif des énergies fossiles.Mais je suis réaliste quant à la durée nécessaire à cet abandon. Tant que l’on reste dans le conven- tionnel, avec les contrôles envi- ronnementaux en vigueur en France, pourquoi pas. L.P.B. : A quoi ressemblerait le Haut- Doubs si l’exploitation était autorisée ? Un nouveau Koweït ? V.B. : L’exploitation n’est pas pour aujourd’hui. Si l’exploration s’avère positive,alors l’État devra autoriser ou non l’exploitation. Mais le Koweït certainement pas ! Cela fait 40 ans que l’on exploite du pétrole enAlsace ou en Aquitaine avec des installa- tions discrètes et a priori sans préjudice majeur pour l’environnement. Restons tou- tefois vigilants, les techniques pétrolières évoluent et sont de plus en plus offensives ! Propos recueillis par E.Ch.

ils crié au loup trop vite ? V.B. : Je ne dénigre pas les prises de position des politiques, leur vigilance est légitimemais atten- tion à ne pas faire l’amalgame entre ce qui est envisagé en Ardèche et ce qui peut se faire dans le Jura. La géologie est dif- férente. Ici, il y a potentiellement du gaz et du pétrole conven- tionnels plus faciles et moins chers à exploiter que les non- conventionnels.C’est la cible prio- ritaire des prospections annon- cées par les pétroliers.Le potentiel gaz de schistes est beaucoup plus incertain dans le massif juras- sien, même si le socle du massif pourrait contenir quelques gise- ments. L.P.B. :L’exploitation de gaz ou de pétro- le conventionnels a-t-elle des consé- quences écologiques plus faibles ? V.B. : Un forage n’est jamais sans conséquences environnemen- tales et je ne dis pas que c’est mieux oumoins bien : je deman-

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