Journal C'est à Dire 111 - Mai 2006

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P L A T E A U D E M A Î C H E

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Dissonances musicales entre les “rouges” et les “blancs” Histoire La scission des sociétés musicales du Haut-Doubs horloger remonte à la fin du XIX ème siècle. Elle s’opère dans un contexte marqué par la montée en puissance d’une République anticléricale et laïque. En s’appuyant sur l’exemple de Charquemont, retour sur des rivalités qui perdureront plus d’un siècle.

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C omment expliquer l’abon- dance des sociétés musi- cales dans le Haut-Doubs et plus particulièrement dans sa partie horlogère ? Cette densité procède de la conjonction de plu- sieurs facteurs : politique, géo- graphique et social. Les premières sociétés musicales voient le jour suite à la Révolu- tion de juillet 1830. Pour célébrer l’intronisation de Louis-Philippe, les jeunes gens de Charquemont prennent l’initiative de réorga- niser la garde nationale. Une tren- taine d’entre eux fonde une musique en août 1830. Il s’agit pour la plupart de jeunes pay- sans relativement aisés qui exer- cent également une petite acti- vité horlogère, ce qui les amène à nouer des contacts avec l’ex- térieur. Un processus identique s’observe à Morteau au même moment. Pour Vincent Petit, pro- fesseur d’histoire originaire du Plateau de Maîche et auteur de plusieurs ouvrages et publica- tions sur le sujet, “la localisation frontalière des premièresmusiques du département s’explique d’abord par le phénomène du patriotisme des confins qu’on retrouve éga- lement dans le Nord et en Lor- raine.” À cela s’ajoute pour le Haut-Doubs l’influence de la Suis- se où le mouvement orphéonique est plus précoce et d’ampleur. Dans une région encore struc- turée en communautés villa- geoises s’appuyant déjà sur des modes coopératifs à l’exemple des fruitières fromagères, les mou- vements associatifs s’instaurent plus facilement qu’ailleurs. Ces sociétés musicales ont d’abord une originemilitaire. Comme elles sont réservées aux hommes et par là même aux électeurs, elles vont très vite prendre une pla- ce prépondérante dans la vie poli- tique locale. Les dirigeants sont souvent membres de familles qui contrôlent à tour de rôle lesmuni- cipalités. Si les activités agricoles et forestières prédominent dans les campagnes du Haut-Doubs forestier, au Nord se développe progressivement l’industrie hor- logère. Une nouvelle classe émer- ge ainsi. À Charquemont, la société musi- cale va progressivement devenir un lieu de sociabilité privilégié des ouvriers de l’horlogerie. Les autorités de l’époque les encou- ragerontmême à former des socié- tés de secoursmutuel.Après Char- quemont et Morteau, d’autres sociétés musicales apparaissent auRussey en 1836, Fournet-Blan- cheroche en 1841, Maîche en 1863, Frambouhans en 1864, Char- mauvillers et Damprichard en 1876.

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Réunis sous le drapeau tricolore, les 43 musiciens de la Démocrate. Au premier rang, les cadres puis les ouvriers horlogers. (1887).

Les statuts de la Philharmonique de Charquemont sont approuvés par le préfet du Doubs en 1868. Elle se produit aussi bien pour célébrer des fêtes nationales que religieuses. Les statuts de 1868 stipulent que le curé de la parois- se est, de droit, le directeur de la société. À travers cette fonction, il contrôle les jeunes en leur évi- tant de s’égarer dans l’ivrognerie ou le libertinage. Il peut égale- mentmaintenir les horlogers dans les traditions chrétiennes et pay- sannes. Ce patronage ne résistera pas longtemps au contexte politique qui, à partir de 1879, se modifie profondément avec les premières mesures anti-cléricales. Soucieuse de montrer son attachement à la République, la municipalité de Charquemont vote le 10 juillet 1881 des crédits pour assurer la célébration du 14 juillet. Au printemps de l’année suivante, l’abbé Cachoz, curé de la parois- se et directeur de la société réunit les musiciens pour leur deman- der de ne pas jouer laMarseillaise lors de la Fête Nationale. Treize dissidents refusent d’ob- tempérer et fondent leur propre société qu’ils baptisent la “Démo- crate”. Cette rupture marque le début de l’opposition entre la fan- fare des “rouges” composée de républicains anti-cléricaux issus de la classe horlogère et la Phil- harmonique catholique faisant une part importante aux agri- culteurs. “Le mouvement de sépa- ration est parti des musiques car elles sont en première ligne des clivages politiques. Il se réper- cutera ensuite dans d’autres domaines comme la gymnastique” ajoute Vincent Petit. La scission génère une belle ému- lation entre les deux sociétés qui se distinguent sur les concours. Chacune s’illustre dans son réper- toire instrumental. Formée de cuivres et de percussions, la fan- fare de la Démocrate évolue dans le registre des marches républi- caines à consonance militaire. Plus hétéroclite, La Philharmo- nique est pourvue en plus de cla-

rinettes et saxophones propices aux musiques religieuses et aux chants choraux. Les rivalités donnent parfois lieu à des rencontres musclées. “Les deux musiques de Villers-le-Lac se sont retrouvées un jour sur un pont. Comme aucune ne vou- lait laisser le passage à l’autre, le conflit a dégénéré en bagarre ran- gée.” Aujourd’hui, les passions se sont apaisées. Faute d’effectifs, cer- taines formations ont disparu comme ce fut le cas pour la musique “républicaine” deMaîche. D’autres se sont même réunifiées, à l’image de celles de Charque- mont qui depuis quelques années jouent sous la même bannière.

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