journal d'une transition

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FJ - … Il y a quelqu’un que tu as bien connu, Jean Genêt, qui disait tranquillement : « Il n’a rien compris à ce que je lui disais parce qu’il a pensé avec sa tête alors que ça ne devient vrai que si ça entre par les pieds et que ça aboutit à la tête… ! » Que les idées prennent corps, ça je le reçois ; mais là encore, pour moi, c’est le corps organisme, ce n’est pas le corps au niveau de sa composition élémentaire… D – Mais la même chose se produit dans chaque partie de l’être ; quand il y a une certaine concentration et un certain besoin de retrouver sa propre vérité, cette vérité qui te fait exister, qui te soutient vraiment… il y a cette découverte intérieure de cette présence qui est là… et c’est la même chose qui se produit pour le corps, quand il éprouve ce besoin, il reconnaît cette réalité qui le soutient et l’habite… FJ - … Mais au niveau des cellules, des gènes, il semble bien, d’après les connaissances scientifiques actuelles, que l’organisme humain est programmé pour mourir. Génétiquement. Alors s’agit-il de changer quelque chose à ça, d’exercer une espèce de pouvoir là-dessus, de modifier ou transformer la base physique, la loi de la nature ? D – Je ne me sens pas capable… Ce que je sens, c’est que ce qu’on appelle les lois de la nature, même les lois soi-disant observables, à tous les niveaux, elles sont à la mesure de la conscience incarnée, de son niveau d’évolution… Et que la conscience se développe, à travers toutes les expériences et il arrive un point, nécessairement où ces « lois », quelles qu’elles soient, deviennent caduques… Alors peut-être y a-t-il, à ce moment-là, un passage, une transition, où on ne sait pas si on doit se soumettre, si on doit continuer de se soumettre à une sorte d’organisation rigide, inéluctable, qu’on l’appelle « destin » ou « lois de la nature » ou « condition humaine » - qu’on l’appelle comme on veut, ça ne change rien -… Mais s’il y a une possibilité d’aller plus loin, que tout ça devienne plus vrai, que toutes ces limites et toutes ces lois se défassent dans une réalité plus vraie, plus plastique, plus proche de ce dont on a l’expérience dans la conscience ? Je crois que je préfère essayer de suivre ça plutôt que d’expliquer… FJ - … Mais on pourrait dire aussi que, d’une certaine manière, si la conscience individuelle progresse beaucoup, elle cesse d’être individuelle, elle ne réclame plus de demeurer subjective et elle a donc en quelque sorte triomphé de la mort… D – Mais ce serait bien dommage que cela se passe seulement comme ça ! FJ – Mais je demande justement… Est-ce que c’est un changement de regard qui fait que les mêmes lois apparaissent différemment, sont vécues différemment, et n’ont plus la même importance, ou bien… D – Mais c’est aussi ça à la fois ! C’est du fait que la conscience se développe, qu’elle atteint une plus grande intensité, qu’elle touche plus, que son besoin est plus grand, qu’elle accède… à une force plus centrale… Et cette force est concrète ! Tu peux dire qu’un « élément » nouveau est intervenu dans le jeu du monde, mais tu peux dire aussi que c’était toujours là et que la conscience, à travers l’homme, s’est intensifiée tellement qu’elle en a pris conscience et qu’à ce moment-là ça a pu agir. Il y a besoin et il y a réponse. Et tu trouves la même chose, qui s’ouvre aussi bien dans la matière, dans le corps… FJ - … Peux-tu me préciser ce que tu perdrais si l’on n’éprouvait plus aucun besoin d’avoir une conscience « subjective » ? D – Mais la joie de la diversité, la joie de l’unicité de chacun… ! FJ - … Mais il y a toujours une espèce de concrétisation dans un « moi »… D – Ce qu’on appelle l’ego – avec le sens de l’obstacle, de la déformation, de l’opacité, de l’interférence – c’est une manière d’être surtout, un mode ; même dans la perception ; c’est un arrangement qui fait qu’on se cristallise, qu’on se durcit, qu’on se sépare et qu’on tient à cette séparation ou qu’on se reconnaît à travers elle… C’est très nécessaire pendant longtemps pour se donner le temps de

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