La Presse Bisontine 58 - Septembre 2005

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Éditorial

S CIENCES

Les Américains à nouveau sur la lune

Alain Cirou : “On voit plus clair, plus loin, mais on comprend de moins en moins l’univers”

Secret Ils affirment ne pas entretenir le secret. Ils préfèrent parler de discrétion. Soit. Mais dès qu’on tente de fendre l’ar- mure d’un franc-maçon, il se réfugie derrière ces sacro-saints textes sur les- quels repose aujourd’hui encore le dog- me franc-maçon : surtout ne pas affir- mer son appartenance à la grande famille et dévoiler la teneur des réunions. D’où, naturellement, tous ces fantasmes et suspicions nés de la méconnaissance d’unmonde qui, quoi que sesmembres en disent, entretient un véritable culte du secret. Vue de l’extérieur, la franc- maçonnerie passe tantôt pour un club ésotérique (voire pour une secte), tan- tôt pour un cercle de réflexion philoso- phique, tantôt pour un réseau d’influence où se trament manigances et lobbies en tout genre. La maçonnerie, ce serait un peu tout cela à la fois aux yeux du profane. Rien de tel pour le maçon en qui l’appartenance à une loge ne ser- virait qu’à s’élever individuellement pour mieux transmettre ensuite les idéaux maçonniques en société, fraternité et tolérance en tête. Mais que ce soit sur le plan national ou pire encore, local, l’omerta est bien la règle d’or. On le ver- ra dans ce numéro. Certes, quelques maçons acceptent de parler à visage découvert de leur appartenance. Mais quand il s’agit de les interroger sur leurs travaux en loge, quand on les titille sur leurs supposés “pouvoirs”, ils s’accro- chent comme la bernique au rocher à ce fameux vœu de discrétion. Ils se tar- guent de débattre des grands thèmes de société quand ils plaident en même temps la démarche initiatique person- nelle. Ils se disent ouverts et font pour- tant une enquête approfondie sur tout postulant à l’initiation. Ils prônent le pro- grès et la tolérance quand la grande majorité des loges refuse, au nom de principes qui se perdent dans la nuit des temps ou tout simplement par machisme, que les femmes soient ini- tiées. Dernier paradoxe : malgré leur propension à faire de l’honnêteté une règle d’or, il n’en reste pas moins que plusieurs scandales ont déjà éclaboussé des loges maçonniques dont certains membres s’étaient perdus dans des dérives affairistes. Alors, vaste impos- ture la franc-maçonnerie ? Nul profa- ne ne peut se permettre de l’affirmer sans preuve. En revanche, les maçons n’ont pas à s’étonner que tous les fan- tasmes et toutes les rumeurs plus ou moins fondées circulent sur leur comp- te alors qu’eux-mêmes ne font rien pour lever une partie du voile. O Jean-François Hauser

Après les “Nuits des Étoiles” qui ont réuni mi- août des milliers de passionnés d’astronomie pour observer le ciel et la pluie d’étoiles filantes, le journaliste scientifique Alain Cirou, rédac- teur en chef de la revue Ciel et Espace et consul- tant sur Europe 1, revient sur les grandes mis- sions spatiales de ces derniers mois.

L a Presse Bisontine: Mis- sion exploratrice sur Mars, sur Titan, Deep Impact…depuis 6 mois, on a l’impression d’assister à un nombre incalculable de missions spatiales. Simple coïncidence ou regain d’intérêt pour le domaine spatial ?

voit n’est pas celui que l’on perçoit. Il va y avoir une révo- lution dans les années à venir, dans un an ou dans un siècle, je ne sais pas. La découverte la plus impor- tante jamais réalisée, c’est qu’il y a plus de planètes en dehors de notre système solaire que dedans. Depuis 1995, on a découvert 140 pla- nètes, d’ici 10 ans, on en connaîtra certainement quelques milliers et dans 50 ans quelques milliards. Et on ne risque pas trop en disant que dans 20 ans on saura répondre à la question de la présence de vie dans l’univers. On construit en ce moment des machines, en orbite dans quinze ans, qui pourront observer les atmo- sphères des planètes et détec- ter si quelque chose respire. L’époque est passionnante. L.P.B. : On n’entend plus beau- coup parler de la station spatia- le internationale. A.C. : Ce n’est pas quelque chose de perti- nent. La Après la Lune, il en fallait un nouveau, pour en mettre plein la vue aux Soviétiques, on a proposé la coopération internationale. Elle doit coû- ter 20 milliards de dollars et n’est pas encore finie. Mais une fois terminée, on pas- sera à autre chose. Au plan scientifique, c’est une inep- tie, on n’a pas besoin de cela. Et quand la navette spatia- le ne volera plus, la station sera condamnée. Car qui vou- dra payer pour ce machin ? L.P.B. : Le site internet de la N.A.S.A. a enregistré près d’un milliard de connexions après la publication des photos de Deep Impact. Est-ce qu’il y a un nou- vel engouement du public ? A.C. : Oui, mais les raisons ne sont pas nécessairement celles auxquelles on pense en priorité. Ce qu’on a le plus N.A.S.A. fonc- tionnait aupa- ravant avec des grands pro- grammes.

robots pendant des années. L’espace est un enjeu stra- tégique. Les Européens n’ont pas de politique. Il existe une agence spatiale européenne, mais on manque de grands desseins, d’une vision. C’est cruel car l’espace est un

domaine pour les scientifiques, qui tire les activités technologiques vers le haut. Ce n’est pas uniquement pour aller s’amuser à visiter des pla- nètes lointaines, ça fait aussi avancer la science. L’argent n’est pas dépensé dans l’espace, mais

Alain Cirou : En ce moment, il y a un certain nombre de programmes qui arrivent à terme, des programmes enga- gés il y a 5 ou 10 ans, qui ont été financés à ce moment-là. Cela correspond à une époque où les grandes agences spa-

“Dans 20 ans, on saura s’il y a de la vie dans l’univers.”

Pour Alain Cirou, rédacteur en chef de la revue Ciel et Espace, “il faut redonner le goût des sciences, faire passer l’idée que ce n’est pas nécessairement chiant et réservé aux garçons doués en maths.”

sur terre, c’est de l’investis- sement dans les hommes, dans la technologie. L.P.B. : Des grandes missions conduites ces derniers mois, les- quelles sont fondamentales pour l’avancée des connaissances scien- tifiques ? A.C. : J’en retiens quelques- unes. La mission sur Titan, tout d’abord, est très impor- tante. Parce que c’est un monde totalement différent, jamais on n’avait rencontré un monde tel que celui-là. C’est suffisamment surpre- nant et original pour vouloir y retourner. Cela va chan- ger nos connaissances, même si je ne sais pas dans quel sens. Mars aussi est inté- ressant, mais c’est plus quelque chose qui continue. En fait, les choses les plus importantes de ces dernières années sont invisibles, situées aux confins de notre système solaire. On a décou- vert que Pluton n’est pas la dernière planète de notre système, mais qu’il y a des milliers de planètes au-delà Les télescopes spatiaux ont multiplié par deux l’univers dont on dispose. On voit plus clair, plus loin mais en même temps, on comprend de moins en moins. Il y a encore 15 ans, tout paraissait simple. Désormais, on parle de matière noire, d’énergie sombre. L’univers que l’on

tiales ne voulaient plus s’en- gager dans de grosses mis- sions, mais plutôt dans des missions plus petites, peut- être moins ambitieuses, mais très rapides. Il y a un phé- nomène de communication aussi, surtout côté améri- cain. Que ce soit pour une mission sur Mars ou sur une étoile quelconque, 10 à 15 % du budget sont consacrés à la promo. Pour Hubble, une quinzaine de personnes étaient employées pour la communication des résul- tats, sortir des photos, des vidéos… L’idée des Améri- cains, c’est qu’on travaille avec l’argent du public et il faut montrer que ça marche. C’est une énorme bêtise euro- péenne de ne pas avoir com- pris cela, car l’appui du public est prépondérant. L.P.B. : Et quels sont les grands rendez-vous des années à venir ? A.C. : Les comètes sont une vraie cible, Mars aussi. Les Américains vont également retourner sur la Lune, cer- tainement entre 2015 et 2020, le programme est déjà décidé. La navette devrait être arrêtée en 2010 puis sera remplacée par un nouveau véhicule spatial. Le credo des Américains, c’est “On va sur la Lune pour s’en- traîner, pour ensuite aller sur Mars.” Mais avec Mars, on va encore se contenter de

ne, la curiosité, la découver- te. Ensuite, on a laissé l’ini- tiative aux groupes locaux. L.P.B. : Les “Nuits” ont pris beau- coup d’ampleur… A.C. : C’est devenu européen. La seule déception, c’est l’at- titude de la télévision, qui a accompagné l’événement pendant des années. Faire une émission scientifique avec les frères Bogdanov, c’est comme présenter la Bourse avec Madame Soleil. On s’est retiré pour cela, on ne peut pas cautionner ce genre de choses. La télévi- sion a une lourde responsa- bilité de mettre à l’antenne ces gens, qui sont des mani- pulateurs. Depuis 3 ans, on organise aussi les nuits juniors, organisées par des enfants qui présentent à d’autres enfants ou à leurs parents leurs connaissances. C’est fondamental parce que c’est un passage de relais, c’est très bien perçu, notam- ment par les éducateurs. Les disciplines scientifiques sont en chute libre à l’universi- té, il faut redonner le goût des sciences, faire passer l’idée que ce n’est pas néces- sairement chiant et réservé aux garçons doués en maths. Il faut donner l’envie. O Propos recueillis par S.D.

ramené de la Lune, c’est cet- te image de la terre, si peti- te. L’espace, le ciel, c’est un miroir des angoisses, des cul- tures, des rêves. Le même phénomène se passe dans la situation actuelle. Chacun a besoin de rêver, d’être émer- veillé ou de se faire peur.

“Depuis 1995, on a découvert 140 planètes.”

L.P.B. : Du 11 au 13 août, l’asso- ciation française d’astronomie

organisait les Nuits des étoiles. Là aussi l’intérêt du public ne se dément pas. A.C. : Oui, clairement, l’inté- rêt est là. On a proposé plus de 350 sites cette année dans toutes les régions, avec des passionnés qui sont là pour apprendre au public à obser- ver, les guider. En 14 ans, la manifestation s’est institu- tionnalisée mais est restée un rendez-vous familial. Cet- te année, on a en plus eu la chance que la Lune n’éclaire pas trop les étoiles. Tout le monde pense à regarder au moins une fois les étoiles, il suffit de donner une occasion. On passe 99 % de notre vie au sol et de temps en temps on lève la tête au ciel. Notre objectif, c’était vraiment de donner un rendez-vous régu- lier pour se faire plaisir à observer. Cette année, on a retenu le thème de Jules Ver-

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