La Presse Bisontine 82 - Novembre 2007

La Presse Bisontine n°82 - Novembre 2007

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REPORTAGE

À l’intérieur de la rue Sur le trottoir bisontin, la misère

Il n’y a pas de solidarité dans la misère. Les S.D.F. qui vivent en bande ne se pardonnent rien entre eux. Dans la rue, c’est la loi du plus fort qui commande. Sans pitié.

qui se battent au quotidien pour sauver sa peau. “Tu vois, dit-il, en désignant de la tête d’autres marginaux, ces mecs-là m’ont sali à tour de rôle.” Entre deux rasades de vin qu’il boit à la bou- teille, Chek accepte de se livrer à quelques confidences, refu- sant d’entrer dans les détails. Il est disposé à témoigner sur cet univers inhumain dans lequel il sombre doucement. “Ici, il n’y a pas de loi, il n’y a pas de roi. Pas de respect. Il faut parfois se rebeller contre ceux qui te veu- lent du mal. Ces bâtards n’hé- sitent pas à te faire les poches, ils ne te laissent pas le choix.” Ce garçon passe ses nuits au gré des squats, des cages d’es- caliers ou des bâtiments à l’aban- don, l’important pour lui est de

s’isoler pour être tranquille. La vie d’un sans domicile fixe. Chek a déjà été hébergé aux Glacis, quand il est arrivé à Besançon, mais il en est parti. “Il y a des gens qui se font loger, d’autres qui crèvent sous les ponts en écoutant chanter les canards. Dans les squats, il se passe par- fois de drôles de choses. Tu peux te faire casser la gueule pour pas un rond. La police ne fait rien. Elle t’emmène en garde à vue même quand t’as pris des coups.” Cet homme ne rejette pas l’ac- tion sociale, il va parfois au Four- neau Économique dans le quar- tier Batttant où il prend un café, un repas chaud. Mais Chek ne rêve plus. L’étiquette S.D.F. lui colle à la peau. Son “chez lui” se résume à sa couverture, une

L es passants se pressent sur le pont Battant en cette fin d’après-midi, à l’heure de la sortie des bureaux. Plus personne ne prête attention au petit groupe de “zonards” qui s’agite à l’angle du quai Vau- ban. Question d’habitude ou d’indifférence, peu importe, tou- jours est-il que tout le monde l’évite pour ne pas être impor- tuné. La réalité sans gloire de ces mar- ginaux qui squattent l’espace public à longueur de journée, déchirés par l’alcool et la drogue, qui vocifèrent et se chahutent, crasseux jusque sous les ongles, répugne la plupart d’entre nous. Il n’y a guère que les travailleurs sociaux, des associations de soli- darité et quelques âmes sen- sibles pour leur tendre la main, les écouter, dialoguer et amé- liorer leur quotidien. Tout le monde ou presque, se fout de ces “traînées”, qu’on préférerait ne pas voir, en tout cas pas ici. L’ascenseur social est indispo- nible pour cette minorité visible résignée qui vit dans la misère sur le trottoir bisontin. Elle n’at-

tend plus rien. L’aide de la col- lectivité ? Certains n’en veulent même plus. Eux ont pris l’es- calier il y a longtemps qui les conduit marche après marche vers l’enfer : impossible de fai- re machine arrière. Le petit groupe fonctionne com- me une micro-société qui a ses propres règles, ses propres lois. Dans la rue, c’est chacun pour soi que l’on soit garçon ou fille. Il n’y a pas de solidarité dans la misère contrairement à l’ima- ge que l’on se fait de ces bandes. “Ici, c’est la loi du plus fort” lâche Chek. Dans le milieu, l’identi-

Le quotidien, la violence, l’alcool, la drogue.

bouteille, et sa radio qui l’ac- compagne. La musique est peut- être la seule chose qui lui don- ne encore envie de respirer et de pousser la lucarne qui ouvre sur un avenir meilleur dans le

Sud de la France. “Une nana, un boulot, un appartement pour mettre fin à tout cela. Mais ce n’est pas donné à tout le mon- de.” Rideau. T.C.

té de chacun se résume à un sur- nom. À 38 ans, cet homme originai- re de Turquie dit être arrivé avec sa famille dans le Sud de la France alors qu’il était enfant. Arrivé à Besançon en 2003, il fait partie de ces accidentés de la vie qui ont fini par adopter la rue et

“Te faire casser la gueule pour pas un rond.”

RÉACTION

Un accompagnement possible

Des outils à portée de main pour les S.D.F. Il existe des structures pour aider les S.D.F. les plus démunis à s’en sortir. Encore faut-il qu’ils le veuillent. Un message difficile à faire pas- ser auprès de ceux qui ont choisi de vivre dans la rue.

S’ en sortir ? “Il faut qu’ils le veuillent” lâche un travailleur social qui est au contact des sans domicile fixe à Besan- çon. Les S.D.F., de plus en plus jeunes selon lui, ont à leur disposition tout un réseau d’ac- compagnement pour les aider à se réinsérer dans la “vraie” vie. C’est le cas du S.A.A.S. (service d’accueil d’accompagnement social) ou des C.H.R.S. (centre d’hébergement et de réinsertion sociale). Mais pour utiliser ces pas- serelles, les intéressés doivent être prêts à res- pecter les règles de collectivité ou celle d’un employeur dans le cadre d’un emploi d’inser- tion. “Ils ont des outils à portée de main. Main- tenant, quand on leur trouve un emploi d’in- sertion à 12 heures par semaine pour commencer, il y en a qui ne tiennent pas le coup. Ceux-là doivent tout réapprendre. Pour eux, on parle plus d’insertion que de réinsertion.”

Quelques-uns de ces sans-abri qui errent du côté du quartier Battant ont perdu tous leurs repères, usés par un excès d’alcool et de drogue,

sans compter aussi les problèmes psychologiques dont ils souffrent parfois. Des cas désespérés pour lesquels il est difficile d’apporter des réponses. Et puis il y a ceux qui se plaisent dans la rue, qui ont leurs attaches sur le bitume, même si cela semble dur à croire. “Ils aiment l’alcool, le shit , la défonce. Ils disent qu’ils sont heureux comme ça. C’est leur conception de la vie. La plupart d’entre eux perçoivent le R.M.I., vivent de la manche et de petits trafics, ils mangent au fourneau économique” et c’est bien ainsi.

“Ils aiment l’alcool, le shit, la défonce.”

Tous ne peuvent pas s’en sortir (photo

archive L.P.B.).

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