La Presse Bisontine 83 - Décembre 2007

ÉCONOMIE

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INDUSTRIE

Résister face à la Suisse Le pôle “Luxe and tech” refuse la fatalité

32 industriels du Haut-Doubs réunis sous la bannière du luxe commencent à organiser la riposte face à une industrie suisse toujours plus gourmande en termes de main-d’œuvre française.

péenne qui ont totalement libé- ralisé le marché de la main- d’œuvre. “Cela, on ne l’a pas vu venir alors qu’il y a encore quatre ans, la Suisse manquait de tra- vail, ajoute Robert Jeambrun. La Suisse a très bien négocié ces accords.” Logiquement, 80 par- lementaires suisses ont su avoir plus de poids qu’un seul com- missaire européen chargé de défendre les intérêts de tous les États-membres de l’Union. La mine des industriels se dur- cit. “La situation est critique, elle est grave reconnaît Raphaël Sil- vant. Il faut que les politiques nous aident. Faut-il accepter que desmilliers d’emplois soient ame- nés à disparaître dans dix ans ?” s’interroge le président de “Luxe and tech”. Et Robert Jeambrun de citer l’exemple de ces entre- prises suisses qui n’arrivent même plus à trouver un régleur pour des salaires qui dépassent les 7 000 F.S.Ou de cet ingénieur français de 27 ans, qui se pré- vaut d’une année seulement de pratique en France, récemment débauché enSuisse pour un salai- re de 80 000 euros par an ! Le pire, c’est que la plus grande partie du chiffre d’affaires des entreprises regroupées dans le pôle luxe provient de l’industrie du luxe français, grâce à des clients prestigieux comme Car- tier ouHermès, ces marques qui elles-mêmes ont des ateliers en

Pour Raphaël Silvant, le président de l’association “Luxe and tech”, “il y a urgence à réagir.”

D e “l’ambition d’une poi- gnée d’hommes qui tien- nent àdévelopper une filiè- re régionale” , comme le présente l’industriel de Dam- prichard Raphaël Silvant, est né le pôle“Luxe and tech”,un réseau de 32 entreprises toutes instal- lées dans un rayon de 30 km, entre leVal deMorteau et le Pla- teaudeMaîche. Horlogerie,maro- quinerie, bijouterie, joaillerie, instruments d’écriture, toutes ces entreprises travaillent pour l’industrie haut de gamme. À elles toutes,ces sociétés emploient 1 450 salariés et réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 200 millions d’euros. Lemois dernier, le pôle luxe tirait un premier bilan de sa jeune existence. Disposant d’un bud- get annuel de 200 000 euros, l’association “pôle luxe” poursuit l’objectif qu’elle s’est fixé à sa création en 2006 : faire travailler ensemble toutes ses entreprises adhérentes, mutualiser leurs moyens et leurs compétences pour proposer aux donneurs d’ordres “une réponse globale et innovante à tous les projets indus- triels liés au luxe.” Voilà pour le postulat de départ. Seulement, tout irait pour le

mieux si ces entreprises ados- sées à la frontière suisse ne vivaient pas dans l’ombre du géant économique suisse. C’est pourquoi, ces entreprises veu- lent se faire entendre, l’organisation du pôle luxe va dans ce sens. Mais au-delà de la création d’une identité visuelle commune, d’affiches, d’un logo, d’un site Internet, du recrute- ment de deux salariés perma- nents, que doit faire l’association pour représenter au mieux les intérêts de ses adhérents ? “Nous venons de voter quatre proposi- tions d’actions répond Raphaël Silvant : l’organisation de mis-

siasme, né d’une heureuse ini- tiative collective, est néanmoins terni par la conjoncture actuel- le même si, reconnaît Raphaël Silvant, “il est toujours mieux de travailler à côté du bon élève que du mauvais.” Il n’empêche, la Suisse continue à embarrasser nos industriels qui soulignent “le succès incontesté de la loco- motive suisse qui a su créer un label de provenance.” Mais der- rière le sourire de façade, il y a l’éternel problème : l’hémorragie de lamain-d’œuvre qualifiée (ou non) vers les contrées suisses. C’est pourquoi, “l’association Luxe and tech peut être une répon- se à cette problématique” se convaincM.Silvant.Robert Jeam- brun, autre industriel membre de l’association ajoute : “La Suis- se amène du travail à nos entre- prises, du pouvoir d’achat pour les frontaliers, il ne faut pas tout voir en négatif. Mais le gros pro- blème, c’est vrai, c’est ce phéno- mène d’aspiration des jeunes. Et le mouvement évolue plus vite que ce que l’on peut réagir” déplo- re-t-il. Une fois de plus, les industriels pointent du doigt le coupable : les accords bilatéraux signés entre la Suisse et l’Union Euro-

Suisse, véritables aspirateurs à main-d’œuvre française ! Si bien qu’actuellement,les entre- prises françaises installées sur la bande frontalière deviennent de véritables instituts de for- mation pour les entreprises suisses. Sur les 150 personnes employées dans le groupe Sil- vant, l’effectif diminue chaque année de 10 %, “du personnel qu’on arrive tant bien que mal à remplacer” constate le P.D.G. Le paradoxe de cette situation ubuesque, c’est que “la plupart de ces entreprises suisses sont nos clientes” ajoute M. Silvant. Et encore, actuellement, sur 25 millions de boîtes de montre exportées par la Suisse, seules 6millions sont entièrement fabri- qués en Suisse. Avec le renfor- cement annoncé du label swiss made qui prévoit que la quasi- totalité des composants devront sortir des ateliers suisses, “il fau- dra quatre fois plus de monde. Ce sera impossible” constatent

les industriels. D’où lamain ten- due proposée par les entreprises du Pays Horloger qui verraient évidemment d’un bon œil l’idée, encore floue pour l’instant, d’étendre le périmètre du swiss made auPaysHorloger. “Et pour- quoi ne remettrions-nous pas en place un vrai made in France ?” rétorque Sylvain Compagnon de l’agence Développement 25. Finalement, la vocation de l’association“Luxe and tech”n’est pas de prétendre au swiss made , idée inaccessible aujourd’hui, mais plutôt d’affirmer haut et fort que, non loin de la Suisse, il existe un petit territoire où le savoir-faire français de précision est encore détenu par des cen- taines de travailleurs qui n’ont pas encore quitté le territoire national pour les cieux helvé- tiques. Mais tous ont bien conscience que ce message doit être entendu rapidement. Car il y a urgence. J.-F.H.

sions de pros- pection com- munes, la mise en place d’une veille stratégique pour savoir qui sont nos concur- rents, où ils se trouvent, lamise en place de ponts entre la recherche et les entreprises et le développement de la conception et du design .” Ce bel enthou-

Un ingénieur de 27 ans débauché pour 80 000 euros par an !

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