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Il faut avoir les nerfs solides Je ne pouvais pas rester sans rien faire. J’ai dit à mon fils que j’allais porter plainte contre la France, contre l’Europe même ! L’association Alerte aux Toxiques et le collectif Info Médoc Pesticides ont accepté de m’accompagner mais ils m’ont mise en garde. “Il faut que vous ayez les nerfs solides pour mener ce combat.” J’étais prête, mais j’ai vite déchanté. Je me suis rapprochée d’un avocat spécialiste qui m’a déconseillé de porter plainte. La procédure allait être longue, fastidieuse pour n’aboutir probablement à rien. “La législation actuelle n’est pas en faveur de la reconnaissance de l’origine environnementale d’une telle maladie”, m’a-t-il dit. Pour les professionnels de la vigne, c’est déjà très compliqué, alors pour les riverains... Il m’a suggéré de tenter une action collective avec d’autres parents. De ne pas y aller seule. J’ai commencé à communiquer dans la presse pour les retrouver, ce qui a provoqué un sacré bazar dans la commune. Avec les associations, nous avons mené une cyberaction : l’Agence régionale de santé a reçu d’un

parce que les produits épandus dans les champs voisins nous piquaient les yeux et la gorge... Mais cette idée fugace a vite été évacuée par le quotidien : je devais gérer sa maladie, ses séjours répétés à l’hôpital, sa chimiothérapie. Jusqu’à ce que je tombe, en 2015, sur ce fameux article trouvé par hasard sur internet. Le titre annonçait qu’il y aurait six fois plus de cancers pédiatriques dans ma commune que dans le reste de la France. Quel choc j’ai eu ! L’article citait une enquête de l’Agence régionale de santé et de l’Institut de veille sanitaire, menée à Preignac en 2013, à la demande du maire de l’époque. L’institutrice s’était étonnée de voir autant de cas de cancers dans l’école de la commune, entourée de vignes elle aussi. Selon les auteurs de l’étude, la seule source de contamination extérieure venait des pesticides. Ils conseillaient d’approfondir les investigations, mais concluaient qu’ils ne le feraient pas. C’était rocambolesque, cela m’a fait exploser. Entre-temps, le maire avait changé, et pour son successeur, plus l’enquête était étouffée, mieux c’était.

coup 4 000 mails demandant que l’étude soit poursuivie et élargie. Nous sommes restés sans réponse. Malgré les réunions d’information que j’ai organisées, l’omerta continue. La commune a quand même fini par racheter et arracher les vignes jouxtant l’école primaire et maternelle. Mais un peu plus loin, à 70 mètres, il y a toujours des vignes aspergées de glyphosate. Je garde l’espoir de pouvoir déposer plainte Le maire actuel possède lui- même une propriété viticole. Beaucoup d’habitants de Preignac, y compris des parents d’élèves, travaillent dans la vigne et sont payés une misère. Même lorsqu’ils tombent malades, les ouvriers ont peur de bouger, de parler, au risque de perdre leur emploi. Ici, aucun des parents ne m’a contactée : je suis toujours aussi isolée, désespérée, déçue. Fatiguée à force de porter ce fardeau. Pourtant, il est temps d’agir. Récemment, une maman m’a contactée pour me signaler un nouveau cas de leucémie infantile à Preignac. C’est un début. Je garde donc l’espoir de pouvoir déposer plainte.

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L’AVIS D’EXPERT

Suite à cette étude, les troubles autistiques sont venus s’ajouter au panel, ainsi que la baisse de QI. Chez les adultes, le nombre de méningiomes augmente à proximité des grandes cultures. Que prouve l’étude menée à Preignac en 2013 ? L’enquête conclue à un excès de cancers dans la commune, et pose la question : est-ce un hasard, ou l’épandage de pesticides y est pour quelque chose ? Pour y répondre, notre association demande aux autorités de santé que l’étude soit étendue à toute la France. L’Inserm soulignait déjà une augmentation du risque de leucémies infantiles en cas d’exposition domestique aux pesticides. Il serait étonnant de ne pas observer la

même chose en cas de contamination par des pesticides pulvérisés autour des habitations. Les données sont là : le registre national des cancers de l’enfant et la surface agricole par commune. Si tout se passe comme prévu, les résultats de cette étude devraient être publiés en 2020 ou début 2021. Quelles lois protègent les riverains actuellement ? Presque aucune. Nous contribuons avec d’autres associations à la rédaction d’un décret sur la protection des riverains depuis juillet 2018. Notre demande : établir une zone tampon de 100 à 200 mètres autour des habitations où les produits phytosanitaires toxiques seraient interdits. Ce serait une étape.

Dr Pierre-Michel Périnaud président d’Alerte Médecins Pesticides “Certaines

maladies des riverains sont dues aux pesticides ” Quels sont les risques pour les riverains exposés aux pesticides ? Selon une expertise de l’Inserm parue en 2013 faisant référence, l’exposition aux pesticides augmente le risque de maladie de Parkinson chez les adultes riverains de champs, particulièrement dans les zones viticoles. Chez les enfants, elle augmente le risque de troubles du neuro-développement et de malformations congénitales.

75 SANTÉ MAGAZINE I juillet 2019

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