Journal C'est à Dire 135 - Septembre 2008

L E P O R T R A I T

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Vincent de Chassey est un cousin du monde À Morteau, on connaît le chansonnier et l’homme de théâtre. Mais Vincent de Chassey est aussi à la tête de l’organisation non gouvernementale Cou- sins du monde qui apporte une aide financière à des cultivateurs africains. Le modèle de solidarité qu’il défend est tout à fait particulier. Solidarité

confiance. L’ancien banquier s’est ému de cette solidarité extra- ordinaire. De retour en France, il a décidé de soutenir ces ini- tiatives africaines en créant l’as- sociation Cousins du Monde il y a deux ans. Son objectif est de mettre en place sur notre ter- ritoire un réseau d’entraide reprenant le même principe que la tontine pour donner un coup de pouce financier à ces groupes de producteurs pendant cinq ans afin de les aider à se dévelop- per. “Grâce à cela peut-être pour- ront-ils se constituer en coopé- rative par exemple.” L’objectif de cette organisation non gouvernementale reconnue d’utilité publique est “d’aider ceux qui s’aident déjà eux-mêmes” assure son président. 70 per- sonnes qui se sont fédérées en petits groupes de 10 adhèrent pour l’instant à cette O.N.G. Cha- cun de ces groupes est parte- naire d’un ensemble de pro- ducteurs africains qui fonc- tionnent en tontine. “En Fran- ce, le groupe épargne chaque année la même somme que son groupe cousin en Afrique et délègue ensuite un ou deux de ses membres pour apporter cet- te épargne” lors d’un voyage aux producteurs qui voient ainsi leur capacité de financement dou- bler. L’effort financier demandé aux adhérents de Cousins du Mon- de n’est pas exceptionnel puis- qu’il s’élève à 80 euros par an dont 66 % sont déductibles des impôts. “La particularité de notre fonctionnement est que l’on s’in-

A u départ, il y a cette question naïve et com- plexe à la fois. “Mais comment font ces gens qui n’ont rien pour ne pas mou- rir ?” L’Afrique est à ce point déroutante. L’interrogation a saisi Vincent de Chassey com- me elle aurait saisi n’importe quel Européen qui se confronte pour la première fois à la réa- lité de ce continent. Si certains se seraient contentés de la regar- der avec compassion, lui s’est mis en quête de la réponse à la question posée lors “de péré- grinations vivaces” à travers la Mauritanie. Ce toubab (c’est ainsi que l’on surnomme les blancs) a effec- tué plusieurs voyages dans ce pays qu’il connaît suffisamment pour y avoir vécu pendant quatre ans lors de son service national effectué dans les années soixan- te en tant que coopérant. Depuis qu’il a pris sa retraite en 2000, il y est retourné à différentes reprises. Finalement, il a décou- vert au cours de ses périples et de ses rencontres une éton- nante solidarité qui lie des indi- vidus au sein d’un même grou- pe. En Afrique, la solidarité est souvent un souffle de vie. C’est une valeur simple mais sûre qui met en exergue la relation humaine.

Cette conception d’une entrai- de de “voisin à voisin” aurait- elle échappé à notre société occi- dentale ? Difficile à dire. En tout cas, elle s’est sérieusement émoussée selonVincent de Chas- sey. En France, tous les indivi- dus sont solidaires d’un même système (somme toute assez effi- cace et confortable) pour lequel ils cotisent et qui les prend en charge en cas de défaillance. Le visage de la solidarité est celui d’une lourde machine adminis-

vent, sont des cultivateurs, des moyens de financement pour les aider ? “Pendant trois ans, j’ai fait une étude sur la micro-finan- ce au Sénégal et en Mauritanie. Je me suis aperçu qu’en Afrique, ce système fonctionne mal, car les gens n’ont pas la culture du crédit” dit-il. L’homme a retiré comme ensei- gnement de ce constat que l’ai- de ne passe pas toujours par la banque. Dans sa quête d’in- formations, le routard mortua-

trative. C’est aussi celui des O.N.G. (organisations non gouvernementales) qui interviennent sur des théâtres de misère par- tout dans le monde, et pour lesquelles, émus par les images vues à la télé,

cien a fait connaissance avec des groupes orga- nisés en tontine. Un mode de fonctionne- ment solidaire très par- ticulier. “Ce sont en général dix femmes qui décident de mettre en

Vincent De Chassey : “Pendant trois ans, j’ai fait une étude sur la micro-finance au Sénégal et en Mauritanie.”

“Les gens là-bas n’ont pas la culture du crédit.”

stabilité et les conflits font aus- si partie des réalités de ce conti- nent. Une réalité moins réjouis- sante qui pousse désormais Vin- cent de Chassey à porter ses efforts sur d’autres pays afri- cains plus tranquilles. T.C.

terdit de dire aux producteurs africains la manière dont ils doi- vent utiliser cet argent” insiste Vincent de Chassey, qui estime que trop de leçons données à l’Afrique par l’Europe, qui a ten- té d’exporter un modèle d’orga- nisation, se sont soldées par des échecs. Par son initiative, Vincent de Chassey parvient, modestement, à petits pas, à tisser des liens humains avec des Africains au- delà d’un simple rapport d’ar- gent. Mais l’équilibre est fra- gile. La situation politique dégra- dée de la Mauritanie empêche aujourd’hui les groupes de Cou- sins du Monde d’aller porter leur épargne aux producteurs qui pourtant en ont besoin. L’in-

on glisse un chèque dans une enveloppe en guise de soutien. La démarche est louable. Le paradoxe est que nous n’avons jamais autant parlé de solida- rité aujourd’hui dans notre socié- té alors que notre mode d’or- ganisation exacerbe les indivi- dualités. Vincent de Chassey s’est lais- sé séduire par la méthode afri- caine. Intrigué, il a voulu en savoir plus sur la manière dont coopèrent les gens qui n’ont rien ou presque pour s’en sortir. Exis- te-t-il pour ceux qui, le plus sou-

commun leur petite épargne. Je précise qu’elles n’ont aucu- ne chance d’accéder à un orga- nisme de prêt, et n’ont donc pas d’autres choix que celui de s’or- ganiser entre elles. Sur le prin- cipe, chaque mois le collectif prê- te de l’argent à un individu du groupe qui le rembourse ensui- te avec un petit intérêt. Ainsi ces femmes peuvent autofinancer par exemple un petit barbelé pour protéger des chèvres une cultu- re vivrière.” Dans ce système de tontine, tout repose sur une relation de

Renseignements sur consinsdumonde.fr

Vendredi 12 septembre à 19 h, Vincent De Chassey présentera l’association à Morteau, au café Chez Gilles. L’objectif est aussi de constituer un nouveau grou- pe de tontine pour soutenir des producteurs africains.

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