La Presse Bisontine 59 - Octobre 2005

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Éditorial

A ÉRONAUTIQUE

Après la série noire du transport aérien cet été

Gérard Feldzer : “Toutes les compagnies aériennes basées en France sont fiables”

Caché L’épisode des Kosovars échoués à Besançon début septembre n’est que l’infime partie visible d’un iceberg d’indifférence. La misère n’a pas de visage. Dans l’opulence ambiante du Grand Besançon, qui a la moindre idée du nombre de personnes, géné- ralement des étrangers en situation irrégulière, qui sollicitent l’asile à la France ? Ballottés de gares en com- missariats de police, de tribunaux en centres d’hébergement provisoire. Bien sûr, tous ces malheureux qui transitent par Pontarlier - siège dépar- temental de la police aux frontières - ne sont pas les bienvenus sur le ter- ritoire français car ils ont soit sans papiers, soit sans titre de séjour valable. C’est la loi, ils doivent ren- trer chez eux. Mais derrière la froi- deur des textes législatifs et les “objec- tifs” fixés par le ministère de l’Intérieur en termes de reconductions à la fron- tière, il y a la triste réalité cachée de la misère humaine. La Cimade, seu- le association française à avoir offi- ciellement le droit d’entrer dans les centres de rétention administrative où sont “entassés” les étrangers en situation irrégulière, a établi un rap- port accablant sur la dégradation des conditions d’accueil et de traitement de ces naufragés. La durée de réten- tion administrative a été triplée l’an dernier, les effectifs des centres ne cessent de gonfler, donnant aux condi- tions d’hébergement, des allures humi- liantes. Voir à ce sujet l’instructif rap- port annuel de cette association d’entraide. Le Grand Besançon n’échappe pas au phénomène. Des centaines de personnes errantes tran- sitent par notre secteur en attente d’une solution. Si bien évidemment la France ne peut accueillir tout le monde sur son sol, le traitement de cette dramatique question se déshu- manise dangereusement à mesure que le nombre de dossiers augmen- te. On aboutit au paradoxe suivant : le nombre de reconduites à la fron- tière augmente “dangereusement” tandis que les contrôles aux fron- tières ont subi un sérieux relâche- ment. La P.A.F., censée surveiller les frontières, n’y est même plus postée. Alors bien caché, loin des regards, le phénomène qui se déroule sur notre sol laisse indifférent car tout simple- ment on ne veut pas le montrer. O J ean-François Hauser

Directeur du musée de l’air du Bourget, ancien pilo- te d’essais, Gérard Feldzer estime nécessaire la mise en place d’une agence internationale indépendante de contrôle des compagnies aériennes et se pronon- ce pour un audit obligatoire de celles-ci.

ment pas trop que l’on vien- ne s’ingérer dans leurs affaires. Du coup, on n’ose pas trop jusqu’ici s’y aven- turer. Mais il faudra le faire, nécessairement dans l’ave- nir. Il faut une agence indé- pendante des gouvernements, qui réalise ces audits indis- pensables. Le problème, c’est qu’ils coûtent cher, mobili- sent plusieurs personnes pen- dant parfois un ou deux mois pour tout vérifier. L.P.B. : La sécurité aérienne a-t- elle progressé ces dernières années ? G.F. : À chaque accident, des bulletins de sécurité sont édi- tés car l’exemple des autres est toujours utile. C’est pour cela qu’on a réalisé des pro- grès importants. Et une cho- se nouvelle qui est désormais prise en compte, c’est le fac- teur humain. Comment on s’entend à bord, comment on communique entre pilotes, l’esprit d’équipage… Mais pour cela, il faut une cultu- re d’entreprise. C’est pour- quoi plus la compagnie est ancienne et établie, plus elle est fiable. Alors que quand une compagnie se crée, en recrutant un pilote yougo- slave d’un côté, un Anglais de l’autre, ceux-ci n’ont pas la même culture et ils ne se comprennent pas forcément toujours. Ça peut avoir des conséquences graves. d’Easy Jet est même d’ailleurs plus faible que celui des appa- reils d’Air France ou de Bri- tish Airways. L.P.B. : Donc aucune raison d’avoir peur de l’avion… G.F. : 95 % des passagers ont peur, les 5 % restants sont des inconscients, dit-on sou- vent. On a peur en fait par- ce que c’est l’inconnu. Moi- même je suis terrorisé quand je ne suis pas aux commandes, de la même manière que je le suis quand ce n’est pas moi qui conduis en voiture. Par- ce qu’on a une confiance limi- tée dans les autres. Pour ne plus avoir peur, il faut expli- quer. Au musée de l’air du Bourget, on a un Boeing désossé. On peut visualiser les circuits de pressurisation, voir ce qu’est une boîte noi- re, etc. On explique comment cela fonctionne et c’est un excellent remède. O Propos recueillis par S.D. L.P.B. : Faut-il se méfier aussi des com- pagnies dites low- cost ? G.F. : Non. Les charters et les low- cost n’ont rien à voir. Avec les com- pagnies comme Ryanair ou Easy Jet, il n’y a aucun souci à avoir. L’âge moyen des avions

L.P.B. : Est-ce que la vigilance des passagers peut inciter les compa- gnies à modifier leur politique en termes de sécurité ? G.F. : C’est vrai que les pas- sagers sont plus matures désormais. Ce sont des consommateurs, ils cherchent à savoir. Et c’est une bonne chose, parce que, d’une façon, ça régule le marché. Le seul problème, c’est qu’ils n’ont pas de critère pour savoir si la compagnie en question est fiable ou non, à part l’état de la peinture ou des sièges, et encore. Pour cela, il faut les aider. Et ce sont aux diffé- rents gouvernements de le faire, en déterminant juste- ment ces critères. On pour- rait imaginer comme solu- tion, de prélever sur chaque billet d’avions, un à deux euros qui seraient destinés à l’audit des compagnies aériennes. Cet audit serait nécessaire pour figurer sur la liste des compagnies jugées fiables. Car les contrôles actuels, c’est de la rigolade. Une inspection visuelle, le contrôle des papiers de l’avion, ça ne sert à rien pratique- ment. Les compagnies com- meAir France réalisent déjà des audits de leurs appareils et des compagnies qu’elles affrètent en bout de ligne, quand il y a une correspon- dance. Dans ces cas-là, vous pouvez être totalement ras- surés. Mais elles n’agissent que sur leur propre initiati- ve. les avions qui y figuren, ils ne volent pas en France. Ce qui est plus intéressant, c’est la liste blanche des avions qui sont autorisés. Car le pro- blème, c’est que toutes les compagnies qui y figurent n’ont jamais été auditées. Il faut donc que les pays s’or- ganisent entre eux. Mais il y a aussi des pays qui n’ont pas les moyens d’entretenir leurs compagnies. Pour ces pays- là, comme en Afrique, il fau- drait une aide pour leur per- mettre d’assurer la sécurité. L.P.B. : Et comment doit alors s’or- ganiser la sécurité aérienne ? G.F. : Il faut que ce soit géré à l’échelle mondiale et non pas nationale. Il y a déjà une agen- ce de l’O.N.U. en charge de l’aviation civile, mais elle ne sert pour le moment à rien. Elle fait des recommanda- tions, mais n’a aucun moyen ensuite de les faire appliquer. Il y a des intérêts importants et différents entre les com- pagnies, les pays qui n’ai- L.P.B. : Quel regard portez-vous sur la lis- te noire des compa- gnies aériennes inter- dites publiée par le gouvernement fran- çais ? G.F. : La liste noire n’existe pas en fait puisque personne n’est concerné par

L a Presse Bisontine : Cet été a été marqué par une longue litanie de drames aériens : crash d’un avion de compagnie chypriote Hélios près d’Athènes, 160 morts dans la chute de l’avion de la West Carri- bean au Venezuela… Pourquoi tous ces accidents ? Est-ce la loi des séries ? Gérard Feldzer : Une loi des séries, non. Je ne vois d’ailleurs pas trop ce que c’est. Mais les avions volent beau- coup plus en été, les rotations sont très rapides. Les équi- pages, mais aussi les méca- niques sont fatigués. Et c’est toute cette accumulation de causes possibles qui peut mal- heureusement conduire à l’ac- cident. Il y a eu environ 800 morts cet été, ça correspond au niveau d’il y a dix ans.

toutes les compagnies aériennes basées en France sont fiables. Ce n’est pas à propos de celles-ci qu’il faut avoir des inquiétudes. Les risques viennent de ces com-

Mais en même temps, il faut savoir que le nombre de pas- sagers transportés chaque année a doublé sur cette même période. Actuellement, le transport aérien représente 10 milliards de pas- sagers par an.

pagnies dont on ne sait pas exactement à qui elles appar- tiennent, d’où elles viennent, et qui sont de créations récentes, n’ont pas d’historique. La plu- part du temps, ce sont souvent celles qui, à l’étranger, cou-

“Les contrôles actuels, c’est de la rigolade.”

L.P.B. : Début sep- tembre, des passagers de Corsair dont l’avion avait fait demi-tour après un accident tech- nique ont refusé d’em- barquer à nouveau. Est- ce que la peur est justifiée ?

vrent les liaisons intérieures, entre deux villes d’un même pays. On retrouve quelques- unes de ces compagnies en Europe de l’Est, la majorité sont dans des pays du Sud.

G.F. : En ce moment, à cause de l’actualité, les passagers sont très sensibles à toutes les questions de sécurité. Ça augmente les peurs. Mais il faut garder à l’esprit que

“Avec les compagnies low-cost, il n’y a aucun

souci à avoir.”

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Directeur du musée de l’air, Gérard Feldzer juge inutile la liste noire publiée cet été par le gouvernement.

Crédits photos : La Presse Bisontine, A.S.G.B., Conseil général, Nathalie Estavoyer, Damien Guillaume, Bernard Le Bars, musée de l’air, Daniel Magnin, Récidev, S.K.C., ville de Besançon.

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