La Presse Bisontine 77 - Mai 2007

L’INTERVIEW DU MOIS

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Éditorial

POLITIQUE

Auteur

Grand décortiqueur de la scène politique, Patrick Herter est l’auteur de trois ouvrages analytiques. Avec son dernier opus, “Testez les candidats”, sorti en janvier, il propose aux citoyens de choisir leur futur président au travers d’un questionnaire à choix multiples… Patrick Herter : “Nous sommes dans une république émotionnelle”

Fleuron Q u’y pouvait-on ? Sans doute plus grand-chose. La société nouvel- leWeil agonise lentement et même si un mince espoir de reprise existait encore, les derniers salariés en parlent au passé. Avec la mise en liquidation récente de l’entreprise bisontine, c’est un autre fleuron local que l’on range dans les armoires de l’histoire. Et pourtant, quelle épopée, celle de cette famille d’origine alsacienne qui a fait de Besan- çon une capitale nationale de l’habille- ment. Imaginez près de 1 700 salariés, presque autant de petitesmains qui s’af- fairaient en cadence dans des ateliers que la visionnaire lignée des Weil avait su élever au rang demodèle social. Quel salarié ne fut pas fier d’appartenir à la grande famille, à l’ombre bienveillante de ce paternalisme de bon aloi qui régu- lait la vie de l’entreprise ? Le symbole est fort car Weil a été une des premières entreprises françaises à faire fabriquer ses lignes de vêtements à l’étranger, elle était dans les pionnières àmettre un pied où aucune société française n’avait enco- re investi : la Roumanie et plus encore, la Chine dès le début des années quatre- vingt. Ironie du sort : Weil aura su pro- fiter en primeur des bienfaits de ce que l’on nomme aujourd’hui les délocalisa- tions mais plus tard, l’entreprise fami- liale tombera sous les coups fatals d’une mondialisation qu’elle a pourtant long- temps promu. En 1999, exsangue, Weil aurait pourtant pu sauver sa peau. Cepen- dant, il ne fallait pas se leurrer. Weil a subi, comme d’autres fleurons français du textile – on déplore aujourd’hui le sort funeste d’Aubade et d’Arena – le rou- leau compresseur d’un système mon- dialisé. Et ce n’est pas défaitisme que d’annoncer la disparition prochaine de pans entiers de cette industrie manu- facturière française qui repose sur une main-d’œuvre abondante. Le textile est un des exemples les plus frappants de l’évolution des activités de production au niveaumondial : aujourd’hui, les usines françaises n’ont même plus à faire les efforts nécessaires pour créer des uni- tés de production en Asie du sud-est. Il leur suffit de faire appel à un agent com- mercial asiatique en Europe qui se char- gera de faire fabriquer dans des usines ultramodernes construites à tour de bras en Chine. De Weil, on ne peut donc pas parler de gâchis. L’entreprise n’était plus viable. Weil restera seulement comme le symbole d’une épopée familiale brillan- te, rehaussé par une politique sociale à citer en exemple dans lesmanuels d’his- toire du travail. Jean-François Hauser

Diplômé de Sciences Politiques, Patrick Herter souhaite apporter, à travers son ouvrage, une aide au choix des électeurs.

L a Presse Bisontine : D’où est venue l’idée de ce livre et comment a-t-il été conçu ? Patrick Herter : Je me suis aperçu que les électeurs n’ont pas forcement tout le temps nécessaire pour suivre au jour le jour les positions et les change- ments des candidats. Je voulais apporter à ces élec- teurs des informations qui soient les plus objec- tives possibles, pour les aider à se faire leur opinion. Il est apparu important que l’électeur puisse com- parer des programmes et ainsi d’éviter de faire de l’élection présidentielle un moment qui soit trop déterminé par des mouvements d’humeur, des choix non fondés, des impulsions ou des manipulations. L.P.B. : Et pour sa réalisation ? P.H. : Le livre a été écrit jusqu’au mois d’octobre. J’ai donc déterminé un certain nombre de thèmes susceptibles d’apparaître dans la campagne com- me essentiels. Car finalement une campagne pré- sidentielle est quelque chose qui est dans la conti- nuité des années politiques. C’était donc un travail de projection, de mise en perspective, et de défini- tion d’un cadre, le plus neutre et le plus complet possible. J’ai également lancé un blog, afin de don- ner une interactivité en actualisant les éléments du livre au fur et à mesure de l’expression des can- didats. L.P.B. : Pour parler de politique plus générale, quelles sont les évolutions en terme de campagne ? De plus en plus média- tisée et “peopolisée” ? P.H. : C’est très net. Cela s’explique par un effon- drement idéologique très fort. C’est-à-dire qu’au- jourd’hui nous sommes beaucoup dans l’opportu- nisme politique. Cela crée de la volatilité, à savoir dire une chose et son contraire deux jours plus tard. Et cela ne choque personne. Il y a 20 ou 30 ans, le politique était plus structuré dans sa démarche et dans sa conviction. Lorsqu’il parlait, il déroulait un fil idéologique connu et sans dérogations. Main- tenant, la situation est due, en partie, aux médias. Car cette attitude sert leurs business . Ils vivent de phrases chocs, de petits règlements de compte ou de paillettes. Tout cela est un véritable souci par- ce qu’il s’agit d’une démocratie reposant sur le flou, le manque de structures et de cohérence des lignes politiques. Donc une démocratie malade et dange- reuse car vite manipulable. L.P.B. : Les médias en sont les seuls responsables ? P.H. : Non, cela vient de la société tout entière. Cet- te situation arrange d’ailleurs le politique car ils peuvent pécher partout. Ce n’est pas un hasard si l’on voit une Ségolène Royal parler à droite en étant donc contesté par la gauche et un Sarkozy se récla- mer de Blum et Jaurès. Tout cela est absolument extraordinaire. Et cela a arrangé aussi le public. Parce qu’après tout, il est plus facile de se faire une opinion sur une personnalité que de réfléchir à la Bio express Curriculum Vitae - Diplômé de l’I.E.P. de Paris - Diplômé de l’université de Nanterre - Dirigeant de sociétés Bibliographie - 2000 : La France en crise : 1970-1993 - 2005 : Référendum sur le traité constitutionnel européen : les arguments du oui et du non - 2007 Présidentielle 2007 : Testez les candidats - Éditions Calmann-Lévy Prix public : 9 euros http://testezlescandidats.blog.lemonde.fr

position prise et à la politique pro- posée. Sans pouvoir quantifier le phé- nomène, nous sommes incontesta- blement dans une république émotionnelle. L.P.B. : Et en ce qui concerne la présiden- tielle précédente, peut-on parler aujourd’hui d’un syndrome 2002 ? P.H. : Il est clair que cette élection a été traumatisante. Pour la gauche, elle a été un camouflet terrible. Et il y a aujourd’hui une peur panique de connaître un deuxième 2002. Cette

candidats. Comme avec le sujet de la sécurité, qu’on voit revenir au galop. C’est un peu une deuxième secousse, comme dans les tremblements de terre. L.P.B. : Et pour les électeurs ? P.H. : : Je pense qu’il y a plus de gens qui sont indé- cis. Le vote utile, les gens s’en méfient. Il y a bien une fraction d’électeurs qui vont voter entre guille- mets utile. Parce qu'il faut faire le plein de voix. Mais c’est une part de moins en moins significati- ve de la population. J’ai plutôt tendance à penser que la population est très réactive, et agit souvent à l’opposé, lorsqu’elle sent qu’on la pousse dans un sens. Cela s’est vu sur le référendum constitution- nel où les médias comme les politiques de premier plan ont poussé à voter utile. On a vu ce qui s’est passé. Aujourd’hui encore, il risque d’y avoir un “effet retour”, qui pourrait être de voter plutôt dans sa conviction. Et cela pourrait provoquer de très grosses surprises, dès le premier tour.

“Le vote utile, les gens s’en méfient.”

élection a d’ailleurs provoqué un certain nombre de comportements qui ont servi la candidature de Ségolène Royal. La candidate a été choisie car elle était, dans les sondages, celle qui battait Sarkozy. Deuxième chose, le traumatisme 2002 a permis d’éviter une candidature de Jean-Pierre Chevène- ment et des radicaux de gauche. Mais 2002 a éga- lement structuré la droite, ainsi que l’ensemble des

Propos recueillis par J.C.

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