La Presse Bisontine 77 - Mai 2007

La Presse Bisontine n°77 - Mai 2007

DOSSIER

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LE DÉCLIN

Les licenciements en 1991 Comment en est-on arrivé là ? Le déclin, le dépôt de bilan puis la lente agonie de l’entreprise Weil s’est faite en moins de vingt ans. Erreurs de gestion ou destin inéluctable d’une entreprise victime de la mondialisation ? On préfère opter pour la seconde hypothèse.

“I l y a vingt ans déjà, je savais que c’était foutu” lâche Ber- nard Weil, l’un des diri- geants historiques de la société de confection. “Weil a été vic- time de la longue modification struc- turelle de l’organisation du monde. L’entreprise n’a pas su et surtout n’a pas pu suivre cette évolution” déplo- re Bertrand Weil, membre du der- nier trio de dirigeants familiaux avant

le dépôt de bilan de 1999. Pourtant, Weil était dans les années soixante-dix, une des premières entre- prises françaises à avoir fait le choix de lamondialisation. Mondialisation qui causera ensuite sa perte. Dès 1984, l’entreprise bisontine n’em- bauche plus. Et pour sauvegarder Weil, il aurait certainement fallu dès le milieu des années quatre-vingt, engager un plan social avec licen-

ciements à la clé. Mais les dirigeants ne l’ont pas fait. Pour- quoi ? BertrandWeil a son explication : “Nous sommes alors sous la première coha- bitation, en 1986. À cette époque, il était totalement inconce- vable d’enclencher un plan de sauvegarde

tion, survivre dans un environne- ment devenu mondial. Dans les années quatre-vingt, Weil s’associe avec un industriel maghrébin pour fabriquer des pièces en Tunisie. En 1991, l’entreprise bisontine construit une usine ultramoderne enHongrie. Mais le marché national devenait trop étroit pour assurer la pérenni- té de Weil. “On a alors compris qu’il fallait s’ouvrir aumonde. Nous avons ouvert des bureaux de vente en Rus- sie, à Hong-Kong, à Taïwan. L’in- convénient, c’est qu’on n’était ni L.V.M.H. ni Hermès” reconnaît Ber- trand Weil. “En France, il n’y avait pas de tradition de luxe masculin. Cette ouverture à l’international était perdue d’avance.” Le pari de l’ouverture au monde n’a pas porté ses fruits. Une grande par- tie de ce que Weil gagnait en coût de production était immédiatement per- du en coûts de distribution. “Aujour- d’hui, la richesse, c’est le pas-de-por- te et non le lieu de production” note un ancien cadre Weil. La société Weil a donc misé sur de nouvelles chaînes de distribution en créant des points de vente dans tou- te la France, et notamment la chaî- ne Carnet de Vol - 55 magasins - et développé le conceptAcced de maga- sins d’usine dont il reste huit exemples aujourd’hui àBesançon, Troyes, Gray, Cholet, Romans, Marseille et deux à Troyes. C’est à partir de l’année 1988 que le dirigeant d’alors, Michel Weil, décide de lancer l’offensive de la distribution. “Ce virage était de la chirurgie lourde. Mais avec le poids du monde politique de l’époque, on nous accusait de faire de lamauvaise gestion. Car réadapter une entrepri- se est toujours mal vu en France.” Weil poursuivait parallèlement le développement de ses marques : Luc Saint-Alban, John Steevens, Degré 7, O2, Stenley, Giani Bozzato… dont la plupart étaient fabriquées à l’étran- ger. Les costumes Luc Saint-Alban

“On nous accusait de faire de la mauvaise gestion.”

de l’entreprise avec des licenciements à la clé. Impossible à cause du contex- te politique, syndical. Une entrepri- se qui gagne de l’argent et qui licen- cie, ce n’était pas possible à l’époque” analyse-t-il. Et pourtant, c’était jus- te reculer pour mieux sauter, mais… trop tard. Au lieu de licencier en période de prospérité et de baisser les résultats de l’entreprise par des coûts de restructuration, Weil n’a rien fait. Et sera obligée de le faire six ans plus tard. En attendant, entre 1980 et 1990, Weil poursuit ses investissements à l’étranger pour tenter de faire des économies sur les coûts de produc-

De gauche à droite,

en Hongrie, les vêtements sports- wear John Stevens enAsie. Les vête- ments techniques Degré 7 (combi- naisons de ski…) étaient fabriqués dès 1985 dans l’usine de Bacau en Roumanie, ville devenue depuis, la capitale européenne du vêtement technique. Au début des années quatre-vingt- dix, Weil se ruinera à cause du coût exorbitant des plans de licenciement qu’elle a finalement été contrainte d’engager. Les usines de Dole et du Creusot fermeront leurs portes. Les licenciements s’accéléreront alors à partir de 1991, jusqu’à la date fati- dique de 1999 où la famille Weil est contrainte de déposer le bilan d’une entreprise exsangue. Le préfet d’alors - Claude Guéant - obtient du consortiumbancaire créan- cier de Weil des avantages impor- tants pour donner au repreneur, Jacques Canet, un parisien formé à H.E.C., toutes les conditions pour relancer une société nouvelle Weil dans de bonnes conditions, avec les bâtiments, les actifs de la société et un personnel allégé. Huit ans plus tard, le tribunal de commerce a mis fin à l’épisode Canet. L’entreprise Weil n’est pas morte, mais ses bles- sures sont profondes.

Denis Weil, le dirigeant, Bartrand Weil, responsable du développe- ment et Michel Weil, chargé du commercial. C’était en 1993.

Dans les ateliers, des costumes même pas terminés attendent.

J.-F.H.

Dans l’ancienne usine de la rue de Chaillot, les locaux

administratifs sont presque déserts.

Divisé par deux en treize ans La lente érosion des effectifs Année 1980 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 Hommes 558 518 496 464 426 428 366 345 326 316 Femmes 804 732 696 633 542 559 473 428 362 366 Total 1 362 1 250 1 192 1 097 968 987 869 777 688 682

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