Journal C'est à dire 244 - Juin 2018

É C O N O M I E

“L’interdiction du robot de traite figure en toutes lettres” Filière comté Le décret d’application qui officialise cette mesure a été publié au Journal Offi- ciel de l’Union Européenne le 1 er juin. Plus d’ambiguïté possible pour la traite en attendant de conforter aussi explicitement le geste du fromager et de l’affineur. Entretien avec Claude Vermot-Desroches, président du C.I.G.C. Soulagement à la coop de Pierrefontaine

Personne n’a oublié cette journée du 8 mars 2016 qui marquait la mobilisation de la filière en soutien à la coop de Pierrefontaine. Cette dernière avait alors été contrainte par la justi- ce de prendre le lait du seul sociétaire utili- sant un robot de traite. Place aux projets. “C ette décision va dans le sens de ce qui avait été dit à Vercel. Cela confirme la posi- tion de coop qui est restée fidèle à l’A.O.P.” , note Laurent Henriet, le président de la fruitière à comté de Pierrefontaine-les-Varans. Cette coopé- rative fédère aujourd’hui 26 exploitations qui livrent 8 millions de litres de lait dont 95 % sont transfor- més en comté et affinés ensuite par Juramonts. La question du rachat au prix fort du lait de robot que la coop dégageait ensuite sur d’autres marchés ne se pose plus depuis 16 mois. Un autre problè- me est survenu entre-temps avec la présence d’eau détectée dans le lait issu du robot de traite. “Fau- te de dialogue avec le G.A.E.C. concerné, on avait dû procéder à son exclusion en février 2017. Cette décision prise à l’unanimité du conseil d’adminis- tration était motivée pour non-respect du règlement et des statuts. L’affaire a été portée en justice. On a gagné dans un premier temps mais les deux asso- ciés incriminés ont fait appel du jugement. On devra donc repasser au tribunal” , précise Laurent Henriet. Le divorce semble donc consommé et l’heure est désormais au soulagement. La réintégration du G.A.E.C. semble peu probable sachant que le robot de traite est maintenant interdit dans l’A.O.P. com- té. Le président estime que la fruitière a les reins assez solides pour supporter le départ d’une exploi- tation. Sur le plan de l’ambiance, c’est beaucoup plus serein.

C’ est à dire : Le robot de traite n’a plus sa place dans la filière ? laude Vermot-Desroches : La décision de la Commission européenne est irrévocable. On n’avait pas été assez clair sur le sujet. C’est avant tout une question de formulation. Aujourd’hui, l’interdiction du robot de traite figure en toutes lettres dans le cahier des charges. Càd : C’est l’occasion de conforter la tradition sécu- laire du comté ? C.-V.D. : Pour la traite, on pré- chement des trayons. On veut être garant du côté artisanal. Il faut inventer des précau- tions sur ces actes essentiels qui consistent à garder le savoir-faire et les gestes manuels. L’éleveur droit trai- re ses vaches, le fromager fai- re ses fromages et l’affineur doit aussi contrôler manuel- lement ses meules. Càd : Ces mesures sont déjà actées ? C.-V.D. : Non, au niveau de la cise aussi vis-à-vis des bras automa- tiques, que les pre- miers jets se font à la main tout comme le bran-

à l’automatisation de la filière ? C.-V.D. : L’automatisation, ce n’est pas un combat. La filiè- re comté est sans doute celle où il y a eu le plus d’automa- tisation notamment à la fer- me avec les systèmes d’ali- mentation, de séchage de foins… On accepte ces évolu- tions car elles s’inscrivent au service du produit alors qu’un robot induit l’utilisation de pro- duits et de traitements qui dénaturent le goût du comté. Càd : La filière n’est donc pas figée dans le conserva- tisme ? C. V.D : Non, bien au contrai- re. On finance une dizaine de programmes de recherche en lien avec les process de fabri- cation ou l’alimentation des bêtes. Il faut vivre avec son temps. L’évolution des équi- pements dans les fromageries est assez significative. De gros progrès ont été faits pour amé- liorer l’environnement de tra- vail et soulager le fromager. Il est libéré des tâches les plus pénibles mais garde le contrô- le sur tout le processus. On veut qu’il continue à faire manuellement le test du caillé. n

fabrication et de l’affinage, les procédures sont en cours et cela prendra un certain temps. Ces mesures ont été validées en assemblée plénière du C.I.G.C. mais la procédure se poursuit à l’I.N.A.O. Il y aura des périodes d’opposition… Si tout se déroule normalement, il faut compter encore deux à trois ans. Càd : On est moins dans l’urgence qu’avec le robot de traite ? C.-V.D. : Méfions-nous car les choses vont très vite. On doit anticiper en permanence. Si l’on ne prend pas aujourd’hui ge ne correspond pas au com- té et ce n’est surtout pas cel- le que les gens attendent d’une A.O.P. comme la nôtre. Càd : Les procédures sont longues pour modifier le cahier des charges ? C.-V.D. : Pour le robot, cela nous a pris six mois au niveau français et un an à l’échelon européen. Càd : Toutes ces mesures représentent-elles un frein des mesures pour limiter la taille des exploitations, on va tout droit dans la ferme des 1 000 vaches. Cette ima-

“Ce dossier est très énergivore. J’ai besoin de reprendre des forces”, explique le président Laurent Henriet.

“On a été en conflit pendant près de onze ans. Un tiers des sociétaires, soit une dizaine de jeunes agri- culteurs, n’ont d’ailleurs jamais vu les propriétaires du robot de traite. C’est bien que ce dossier se termine. On va pouvoir enfin investir dans de nou- velles caves de pré-affinage sachant qu’avec ces démêlés judiciaires, on a perdu 120 000 euros d’aides.” Sur le plan humain, la coop n’en sort pas pour autant indemne. Cette affaire a usé le président précédent et son successeur, en l’occurrence Laurent Henriet, ne rempilera pas après trois ans de bons et loyaux services. “Ce dossier a été très énergivore et j’ai besoin de reprendre des forces. Sur la question du robot, c’est important que la filière comté ait été entendue. À mon sens, c’est une victoire col- lective et cela montre aujourd’hui à quel point il faut “blinder” les règlements, les statuts et les cahiers des charges.” n

“L’automatisation, ce n’est pas un combat.”

Propos recueillis par F.C.

Justice

Le tribunal d’instance de Pontarlier devient une “chambre détachée”

“C’ est un projet de loi qui rationalise la procédure civile et pénale. Le bud- get de la justice aug- mentera de 24 % sur les cinq années du mandat. C’est le seul budget de la Nation avec celui de l’armée qui aug- mentera dans de telles proportions” observe d’emblée Valérie Delnaud, direc- trice adjointe des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice, venue avec deux de ses collègues défendre le projet de loi à Besançon le mois der- nier. Autre crainte définitivement levée avec le maintien annoncé “de tous les sites en Franche-Comté : cour d’appel à Besançon ainsi que les T.G.I. Les tri- bunaux d’instance s’appelleront désor- mais des chambres détachées des T.G.I. mais aucun site ne sera fermé ” insis- te la représentante du ministère. “Les deux juridictions de première instan- ce, à savoir les T.G.I. et les T.I. fusion- Trois émissaires du gouvernement sont venus dans le Doubs plai- der la cause de la réforme judi- ciaire du gouvernement. Objec- tif : rassurer le personnel judi- ciaire. Les syndicats émettent quelques réserves.

quelques réserves. À l’image de l’U.N.S.A. services judiciaires qui y voit des menaces directes sur l’emploi, mal- gré les annonces budgétaires. “Cette réforme est préoccupante et à terme sera destructrice d’emplois entrevoit l’U.N.S.A. Malgré les annonces qui se veulent opti- mistes, on ne peut que regretter la déju- diciarisation de nos missions au pro- fit d’organismes privés (saisine du gref- fe par voie informatique par les justi- ciables, dépôt de plainte en ligne, consti- tution de partie civile par voie électronique…).” Le syndicat dénonce

neront mais les sites seront maintenus. Pontarlier et Lons-le-Saunier par exemple continueront à avoir des conten- tieux de proximité” ajoute Stéphanie Kretowicz, sous-directrice de l’organi- sation judiciaire et de l’innovation à la direction des services judiciaires qui précise que pour les magistrats “cela ne changera rien, ils continueront à être nommés dans les mêmes chambres. Il faut voir dans cette réforme une démarche de simplification pour le jus- ticiable qui n’aura plus à se demander si sa demande relève d’un T.I. ou d’un T.G.I.”

également “la perte de la justice de proximité. Jus- qu’à présent le contentieux T.I. était traité avec effi- cacité. Avec cette réforme, il sera noyé avec le conten- tieux T.G.I.” De son côté, par la voix de

Les représentantes du ministère voient un autre avantage à la réforme judi- ciaire en cours : “Si une chambre détachée est éloi- gnée d’un T.G.I., il sera tout à fait envisageable d’aug-

“Les départs ne sont pas systématiquement remplacés.”

son représentant local Jérôme Cotte- ret, l’U.S.M. (union syndicale des magis- trats) dénonce “la disparition du juge d’instance en tant que tel car il dépen- dra désormais du président du T.G.I. qui n’aura peut-être pas les mêmes prio- rités.” Pour l’U.S.M., cette rencontre avec les services du ministère début mai “n’était qu’une opération de com- munication de la Chancellerie venue juste pour nous dire que nous ne serions pas mutés de force.”

menter les compétences d’une chambre détachée en lui confiant, par exemple, une affaire familiale. Cette réforme contribuera donc à renforcer la pré- sence sur les territoires” ajoute Sté- phanie Kretowicz. Le contenu de la réforme a été présenté aux syndicats locaux. S’ils accueillent dans l’ensemble avec soulagement l’an- nonce du maintien de toutes les juri- dictions sur le territoire de la cour d’ap- pel de Besançon, ils émettent encore

Le T.I. de Pontarlier qui devient chambre détachée est préservé, mais jusqu’à quand se demandent les syndicats.

Pour la C.F.D.T. justice, Emmanuel David estime que cette réforme dont les premiers effets interviendront en janvier 2020, “va rendre encore plus confus le système judiciaire auprès des citoyens avec la fusion des T.G.I. et des T.I. Si les T.I. deviennent des chambres détachées, rien n’indique que cette évo- lution n’annonce pas d’ici 3 ou 5 ans

des fermetures pures et simples de ces petits tribunaux dans lesquels les départs ne sont pas systématiquement remplacés.” La juridiction pontissa- lienne est préservée, mais jusqu’à quand ? L’opération communication de la Chancellerie n’aura donc pas pro- duit tout l’effet escompté. n J.-F.H.

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