Journal C'est à Dire 147 - Octobre 2009

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V A L D E M O R T E A U

L’entreprise Péquignet doit montrer patte blanche La balle est dans le camp de l’entreprise Péquignet. Mais pour espérer bénéficier de l’aide de l’État pour son projet de manufacture, cette société doit apporter des garanties. Morteau

Alain Joyandet a visité l’entreprise Péquignet en juillet dernier.

I nfo ou intox ? Coup de pub ou vrai projet industriel ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que l’entreprise Péquignet fait parler d’elle et crée le “buzz” dans le mon- de de l’horlogerie depuis qu’elle a présenté à la foire de Bâle son propre mouve- ment tout en réaffirmant son intention de le fabriquer à Morteau. Un projet de manu- facture donc, pour produire 3 000 exemplaires de ce marche de 72 heures. En revanche, on ne sait pas enco- re quand pourra débuter la production ni par quels moyens. Mettre en place une manufac- ture ne se fait pas d’un cla- quement de doigts. “C’est beau- coup d’investissements. Mais je souhaite à Péquignet de réus- sir” commente sans ironie un responsable d’une importante entreprise horlogère suisse. Pour les financements, un début de réponse est tombé début juillet. L’entreprise mortuacienne qui commercialise des montres des- tinées au marché du moyen- haut de gamme a reçu la visite d’Alain Joyandet, secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie. Il a indiqué que l’État, par le biais du fonds stra- tégique d’investissement (F.S.I.) pourrait accompagner le projet de développement de l’entreprise calibre maison “de haute horlogerie” actuellement en pha- se de développement, dont on sait qu’il est doté d’une réserve de

Péquignet à hauteur de 3 mil- lions d’euros qui viendraient “nourrir le capital de l’entreprise” (Péquignet avancerait de son côté 3,8 millions d’euros). La visite d’Alain Joyandet est une vraie opération de com- munication pour Péquignet dont on a compris qu’elle incarnait d’un coup la renaissance de l’horlogerie tricolore. Les élus s’affolent, et la profession sou- rit. “C’est juste un effet d’annonce. On ne s’improvise pas manu- facture” estime un horloger affaires de la société mortua- cienne ne sont guère avancées. “Ce n’est qu’un projet et c’est long à mettre en œuvre” reconnaît au passage la direction de la socié- té dont le P.D.G., Didier Lei- bundgut, n’a pas encore don- né suite à nos sollicitations. À ce stade des opérations, il n’est pas certain que Péquignet per- çoive les 3 millions d’euros annoncés par Alain Joyandet (voir interview). La balle est dans le camp de l’horloger mor- tuacien. Dans l’entourage du ministre, on affirme qu’il ne se passera rien tant que Péqui- gnet “n’aura pas donné tous les renseignements sur la structu- re de l’entreprise, sur qui sont les investisseurs et d’où viennent les capitaux.” Pour l’instant, ces questions sont semble-t-il res- tées sans réponses. bisontin. Le site Inter- net de Péquignet men- tionne déjà la manu- facture qui n’existe pas encore. Pour l’instant, les

De Valdahon au Val d’Oise

Ces Français qui fabriquent des mouvements mécaniques Quelques entreprises en France fabriquent encore des mouvements mécaniques destinés à l’horlogerie. Le projet de manufacture porté par Péquignet n’est pas un cas isolé. M aire de Morteau, Annie Genevard soutient avec force le projet de manu- même les plus pointues des manufactures suisses font appel à la sous-traitance pour au moins un élément du mouve- ment : le ressort de barillet, le cœur de la montre mécanique (l’équivalent de la pile).

à Valdahon qui est installée dans les anciens locaux de Fran- ce Ébauches. C’est vrai que ce groupe créé en 2001 n’est pas tricolore à cent pour cent, puis- qu’il est franco-suisse et que l’actionnaire principal est - enco- re - le groupe hongkongais Chung Nam. Il n’empêche que cette société a développé un mouve- ment mécanique totalement innovant à double barillet (c’est ce qui en fait la difficulté) qui lui donne une réserve de marche de 120 heures (remontage manuel). 80 % des composants de ce mouvement mécanique présenté à Bâle sont fabriqués à la manufacture de Valdahon. L’assemblage se fait chez Tech- notime en Suisse, c’est la raison pour laquelle il est frappé du swiss made .Après avoir licencié trente-huit salariés, cette manu- facture a été placée en redres- sement judiciaire l’été dernier. D’autres entreprises horlogères françaises peuvent également revendiquer le titre de manu- facture comme B.R.M. dans le Val d’Oise “qui fabrique des mou- vements très compliqués” explique Patrice Besnard. En 2008, elle a présenté le premier tourbillon made in France . De son côté l’entreprise Fabrication

de Montres Normandes s’est également engagée sur la voie du mouvement mécanique pro- duit “à de très petites quantités. Nous sommes loin des 30 mil- lions de mouvements que pou- vait produire une entreprise com- me France Ébauches” poursuit Patrice Besnard.Ajoutons qu’Isa France, à Villers-le-Lac, fabrique aussi les composants mais pour des mouvements quartz assem- blés en suisse. Aussi innovant soit le mouve- ment Péquignet il n’incarne pas le renouveau de l’horlogerie mécanique. “On comprend la fierté de la société Péquignet de pouvoir dire qu’elle est manu- facture en commercialisant ses montres qui portent ses mou- vements. Mais il faut raison gar- der. Fabriquer un mouvement n’est pas simple. C’est beaucoup d’investissements, beaucoup de temps, parfois cinq à six ans avant de lancer l’industrialisation” termine le délégué général de la Chambre Française de l’Horlogerie. À l’appellation de manufacture, Patrice Besnard préfère dire qu’il existe encore en France des compétences pour fabriquer des mouvements. T.C.

“C’est long à mettre en œuvre.”

facture de l’entreprise Péquignet. “Je suis tous les dossiers éco- nomiques, celui-ci en particu- lier, car il présente des éléments intéressants. Il n’y a plus de manufactures en France. Si ce dossier aboutit, ça peut redon- ner un coup de fouet et un signe positif à l’ensemble du terri- toire surtout lorsque l’on connaît le poids du département du Doubs dans l’industrie horlo- gère” juge-t-elle. Ce n’est pas parce que l’idée lan- cée par Péquignet est intéres- sante qu’il faut ignorer ce qui se passe ailleurs en France. Mais c’est vrai aussi qu’il faut s’entendre sur la nature de l’activité que recouvre cette appellation qui a été “galvau- dée” observe Patrice Besnard, délégué général de la Chambre Française de l’Horlogerie. “Il faut être prudent. Qu’est ce qu’une manufacture ? Pour moi, c’est une entreprise qui fabrique tous les composants d’un mou- vement de A à Z.” Aujourd’hui,

Le mouvement est un puzzle qui naît de l’assemblage de pièces élaborées avec précisions. Fabriquer des composants com- me les roues, les organes “réglants” tel que le balancier, voire même la tige du remon- toir demande de maîtriser des savoir-faire en décolletage, tailla- ge, polissage etc. De l’usinage des laitons jusqu’à l’assemblage final du mouvement Il faut des machines et surtout des com- pétences pour les faire fonc- tionner ! Il est donc improbable que la future manufacture Péquignet puisse fabriquer son mouvement sans avoir recours à des sous-traitants. Le cas échéant elle va rejoindre d’autres fabricants français de mouvements qui se sont déjà lancés dans cette aventure industrielle à des degrés divers. Une des plus élaborée des manufactures est Technotime

T.C.

Le secrétaire d’État répond “L’État maintient son intérêt et son offre”

Repère Un contexte commercial difficile S elon nos sources, le prototype du mouvement Péquignet est actuellement en observation à Morteau. Il nʼen est pas au stade de la pré-série. Certaines pièces qui le composent, com- me les rouages, ont été fabriquées dans un atelier annexe à lʼentreprise Renaud et Papi au Locle. Pour les autres compo- sants, la société mortuacienne sʼapprovisionnerait auprès de four- nisseurs francs-comtois. “Ce mouvement fonctionne bien. Il a été bien conçu. Il présente la particularité d’être évolutif puisqu’il est prévu avec toutes les complications. Il est assez innovant, dommage qu’il tombe à cette époque-là” confie un professionnel qui a travaillé sur le projet. La conjoncture économique nʼest pas la meilleure pour lancer sur le marché un nouveau mouvement. Les temps sont durs pour lʼhorlogerie, et des entreprises comme Technotime à Val- dahon qui fabriquent des mouvements pourtant griffés swiss made ont de la peine à trouver des débouchés commerciaux à leurs produits. Et puis il y a E.T.A. (Swatch Group) qui exer- ce une situation de quasi-monopole sur le marché du mouve- ment. Les montres Péquignet abritent ces mouvements-là. Le cas échéant, la société mortuacienne aura à résoudre lʼéquation de la compétitivité de son futur mouvement. “C’est dur de trouver sa place sur le marché du mouvement actuellement pré- cise la direction de Technotime. À moins d’avoir sa propre marque.” Cʼest le cas de Péquignet. En y intégrant un mouvement manu- facturé, ses créations vont changer de gamme et de prix. Or, cette marque a-t-elle suffisamment de crédibilité pour exister dans le giron du haut de gamme ? Cela reste à prouver.

Rien ne semble altérer la confiance d’Alain Joyandet en l’entreprise Péquignet dont le projet de manufacture est “un espoir pour toute la filière horlogère.” Interview du secrétaire d’État.

les acteurs privés et publics sont asso- ciés. Càd : Ne redoutez-vous pas que l’implication importante de l’État dans ce dossier puisse froisser d’autres entre- prises horlogères (ou d’autres secteurs industriels) qui innovent également ? A.J. : Qu’on me présente d’autres projets et je me mobiliserai de la même maniè- re ! Càd : Comment se fait-il que ce soit vous, secrétaire d’État chargé de la Coopération, qui preniez l’initiative de proposer une aide de l’État pour accompagner le développement économique de cette entreprise ? A.J. : Et pourquoi pas moi ? Je suis membre du gouvernement et, à ce titre, je suis forcément impliqué dans toutes les politiques de l’État. Càd : Ne redoutez-vous pas qu’en cas d’échec de l’entreprise Péquignet, ce genre d’initiative puisse vous être repro- ché par vos opposants lors des élections régionales ? A.J. : Quand on n’intervient pas, on est cri- tiqué. C’est normal. Quand on agit, on est aussi critiqué. Alors, je préfère agir. Propos recueillis par T.C.

C’ est à dire : La somme de 3 mil- lions d’euros proposée par l’État pour accompagner l’entreprise Péquignet dans son projet de création de manufacture horlogère a-t-elle été versée ? Alain Joyandet : Tout d’abord, il s’agit d’une proposition de fonds publics pour nourrir le capital de l’entreprise. C’est-à- dire ses fonds propres. Le fonds stratégique d’investissement (F.S.I.) est l’outil le plus adéquat. Cependant, ce type d’intervention réclame des conditions qui doivent être réunies par l’entreprise. Lors de ma visi- te il y a trois mois, j’ai clairement posé ces conditions. Tout s’est déroulé de façon parfaitement transparente. Nous atten- dons donc que les retours de l’entreprise. Càd : Êtes-vous encore en attente de garanties de la part de cette société en particulier sur le potentiel économique de ce mouvement ? A.J. : La demande d’aide doit être formu- lée par l’entreprise elle-même. J’ai accor- dé mon soutien comme l’ont fait les ser- vices de l’État en région. Il s’agit de crédits publics ! Le fonds stratégique

d’investissement (F.S.I.) exige que la stra- tégie industrielle et l’évolution du capital soient étudiées de près. Je le redis, c’est désormais à l’entreprise de s’adapter à ces demandes. Quant au potentiel économique du mou- vement de Péquignet, nous sommes per- suadés qu’il représente un réel espoir pour toute la filière. C’est pour cela que j’ai fait cette proposition rapi- dement. Suite à ma visite, je sais également que des fonds privés ont manifesté leur intérêt pour le projet de Péquignet. Mainte- nant, la balle est dans le camp de l’entreprise. En tout état de cause, l’État maintient son intérêt et son offre. Càd : S’agit-il finalement d’un prêt ou d’une subvention ? A.J. : Ni l’un ni l’autre. En fait, l’État Fran- çais entre, à travers le F.S.I. au capital de l’entreprise de façon durable et stable. Cela peut impliquer un changement de cul- ture assez important pour l’entreprise. Dès lors que l’accord entre le F.S.I. et l’entreprise est trouvé, la transparence est totale car

“Qu’on me présente d’autres projets et je me mobiliserai.”

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