SANTE MAGAZINE 520

Q ui est réellement Jeanne Calment ? Depuis le lèvres. La raison : un article publié sur la plateforme de blogs Medium par Yuri Deigin, directeur général d'une entreprise russe qui lutte contre le vieillissement. Une enquête intitulée “J’accuse ! Pourquoi le record de longévité de Jeanne Calment, morte à l’âge de 122 ans, pourrait être faux”. Un titre explicite, qui fait référence à une interview du gérontologue russe, Valeri Novosselov, et à la publication d'un ex-doctorant russe en mathématiques, Nikolaï Zak. Selon ces trois passionnés de longévité, Jeanne Calment serait en réalité Yvonne Calment, sa fille déclarée morte d’une pleurésie, en 1934. La doyenne de l’humanité aurait donc usurpé son identité afin d’éviter à la famille de payer des droits de succession. Le soupçon d'une fraude viagère Pour Jean-Pierre Daniel, auteur de l’ouvrage L’Assurance et ses secrets (éd. François Bourin), l’affaire Jeanne Calment relève plus de la fraude viagère que d’un coup d’État russe. « J’ai évoqué le cas de Jeanne Calment dans un de mes chapitres sur la fraude, raconte l’assureur. L’information a été pour la première fois citée dans une lettre confidentielle, publiée par le journaliste et assureur Jacques de Baudus qui, lors d’un dîner, a entendu l’histoire et l’a reportée. » Selon cette lettre, un commissaire contrôleur était chargé de suivre les dossiers de la compagnie d’assurance signataire du contrat viager avec Jeanne Calment. Nous sommes au début des années 1990, la doyenne arlésienne vient de passer 31 décembre dernier, cette question est sur toutes les

les 115 ans. « Le responsable de l’assurance fait part de ses doutes au haut fonctionnaire de Bercy, poursuit Jean-Pierre Daniel. Il a remis en cause l’existence de cette femme, tout en suggérant la substitution. Le contrôleur a donc avisé sa hiérarchie – le ministère des Finances. Réponse de ses supérieurs : “Vous ne moufetez pas, vous continuez à payer cette dame et surtout on ne fait pas de bruit”. Imaginez si on avait annoncé qu’il s’agissait d’une fraude, que l’on apprend qu’une pauvre dame est attaquée

mission : vaincre le vieillissement. Mais une question demeure : s'il rêve autant de l’être éternel, pourquoi avoir remis en cause l’âge de celle qui détient le record alors qu'il la classe parmi ses idoles ? « Cette femme est un symbole, affirme-t-il. Son âge est d’ailleurs plus une référence commencé à m’impliquer dans ce domaine, je n’avais jamais remis en cause sa longévité. Quand j’entendais des rumeurs affirmant qu’elle serait une imposture, je n’y que sa propre personne. Depuis 2012, lorsque j’ai

par des assureurs, un mythe national qui plus est... Cela aurait fait un scandale ! » Pour ne pas ternir l’image de Jeanne Calment, tout le monde se tait. Ce

« JEANNE CALMENT EST UN SYMBOLE. SON ÂGE EST D'AILLEURS PLUS UNE RÉFÉRENCE QUE SA PROPRE PERSONNE. » YURI DEIGIN

que Jean-Pierre Daniel regrette : « Quand l’information est sortie, personne n’a réagi. Quelques années après, mon livre a paru, personne n’a relevé. » Il insiste : « Même la famille ne nous a jamais contactés. Et vingt-deux ans plus tard, trois Russes ressortent l’affaire et c’est panique à bord. Étrange, tout de même. » Le doute s'installe peu à peu À Moscou, Yuri Deigin tente de trier les messages bienveillants des messages de haine. La publication de l’enquête n’a pas été du goût de tous. « Je ne compte même plus les insultes », dit-il. Adolescent, il quitte la Russie et s’envole vers le Canada pour y terminer sa scolarité. Après des études en informatique, le jeune Russe, qui a aujourd'hui 38 ans, se prend de passion pour la longévité. Pourtant conscient que l’immortalité de l’homme puisse paraître utopique, Yuri Deigin accepte difficilement l’idée selon laquelle la vie aura toujours le dernier mot. Sur son profil LinkedIn, le ton est donné. Sa

croyais pas une seconde. » Des ragots qui auront malgré tout suffi à semer le doute dans l’esprit du jeune Russe. « Après avoir lu l’étude de Nikolaï Zak, j’ai décidé de creuser l’affaire. » Une substitution d'identité est-elle possible ? Sa tribune repose avant tout sur l’étude de Nikolaï Zak et Valeri Novosselov, intitulée “Jeanne Calment : le secret de la longévité”. Près de vingt pages de texte, appuyées de photos et de graphiques. Au total, 17 arguments soutiennent l’hypothèse d’une substitution d’identité. Tout d’abord, les chercheurs russes comparent des photographies de Jeanne Calment jeune, puis âgée. Les dissemblances commencent à apparaître : le menton, le nez, la base du cou, rien n’est similaire. Ils iront jusqu’à penser, une fois les analyses lancées, que la centenaire surmédiatisée ressemblerait davantage à Yvonne, sa fille, qu’à Jeanne. Plus étrange encore, les oreilles de Jeanne Calment

13 SANTÉ MAGAZINE I avril 2019

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