Journal C'est à Dire 132 - Avril 2008

D O S S I E R

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Le point de vue des ouvriers Les syndicalistes se souviennent…

Affilié à la C.G.T., le Mortuacien Robert Samson a tenté, avec peine, de faire

passer ses idées dans l’entreprise Magister.

À l’époque, ils étaient salariés dans des usines d’horlogerie du Val de Morteau. Ils gardent de cette période des souvenirs assez nets. Parfois, ils ont ensuite payé leur engagement syndical.

engagement syndical, il l’avait ébauché quelques années aupa- ravant alors qu’il travaillait dans l’usine Camille Mercier à Mor- teau où les dirigeants, notam- ment le fils Robert Mercier, étaient “des patrons de combat” selon lui. “C’est là que j’ai été délé- gué la première fois. Avant de militer chez Magister.” Robert Samson reconnaît que dans le Val de Morteau, “les ouvriers n’étaient pas tellement militants. On était même contrés par cer- tains ouvriers” se sou- vient-il. parti de l’atelier de mécanique de chez Magister. Lui et un petit groupe de syndicalistes - “Le jeu- ne Franoli, Perrot-Minnot…” -, ont lancé la contestation. “Quelque temps avant, on avait trouvé un micro dans notre atelier. Ça a poussé les gens à réagir” se sou- Toujours est-il que le mouvement de contes- tation de Mai 68 est

L es souvenirs lointains res- surgissent vitedanslatête deClaudeCheval.EnMai68, il était salariéde l’entreprise horlogèreParentàVillers-le-Lac.Ilétait aussi responsablede labranche hor- logère de laC.F.D.T.etmembre du conseil national de la fédérationde la métallurgie,donctrèsaufaitdel’actualité syndicalede l’époque.BienavantMai 68,il avoueavoir “eu de la peine à trouver du travail car j’étais enga- gé dans un syndicat. Dans ma carrière, j’ai fait une dizaine d’entreprises” note-il. Dans cette terre pétrie de tradi- tion où le patronat horloger omni- potent imposait son autorité, il n’était pas facile de faire valoir le genre de revendications que portait Claude Cheval. Alors

convaincre Marcel Parent, le res- ponsable de la société, de réunir un comité d’entreprise, n’a pas été chose aisée. “Il a fallu que l’inspecteur du travail passe et que le syndicat de Besançon met- te les pieds dans le plat.” Claude Cheval, lui, défendait depuis des années “l’extension du droit syn- dical dans l’entreprise et l’augmentation des salaires.” Autant de points toujours d’actualité lorsque le conflit de Mai 68 éclate. Alors, avec ses camarades syndiqués de l’époque - parmi eux Jacques Billerey de Chez Parrenin, Gilbert Fuin de chez Cupillard… -, il a tenté de mobiliser le monde ouvrier du Val de Morteau. Quelques mani- festations à Besançon, à Paris,

des stages de formation de la C.F.D.T. organisés à la maison familiale de Villers-le-Lac, Clau- de Cheval était en première ligne de tous ces combats syndicaux. “En Mai 68, on n’était pas for- cément bien vu”, reconnaît M. Cheval.À tel point que l’année

suivante - y a-t-il un lien direct ? - lui et un de ses collègues syn- diqués ont été congé- diés de l’usine Parent.

“Je ne regret- te rien, nous avions un idéal.”

“Je ne regrette rien, nous avions un idéal, c’était de faire avan- cer les choses.” Pour le Mortuacien Robert Sam- son, affilié, lui, à la C.G.T., Mai 68 a été aussi un combat. Il tra- vaillait depuis dix ans chezMagis- ter, toujours à Villers-le-Lac. Son

vient M. Samson. “On a décidé de débrayé, on a prévenu le patron qu’on arrêtait le travail, on a occu- pé l’atelier puis des copains de Morteau sont venus en voiture avec des haut-parleurs. Mais on a eu du mal à convaincre les col-

lègues, avoue Robert Samson. L’ambiance était assez tendue. Naturellement, le patron a mobi- lisé du monde contre nous.” Le débrayage aura duré trois jours. Le lundi matin, en reve- nant à l’usine, une grande affiche barrait le mur dans l’atelier des grévistes : “Interdiction de com- muniquer avec le reste du per- sonnel.” Une discrimination jugée inadmissible par les syndicats. “Alors on est reparti en grève.” Le Mortuacien Robert Charles, fer- vent communiste, incite alors à porter la “bonne parole” partout dans le Haut-Doubs. Robert Sam- son sera envoyé à Maîche pour animer un meeting . “La salle de la mairie était pleine, ce sont des souvenirs qui restent.” Les accords de Grenelle ont son- né pour les syndicats du Haut- Doubs comme une victoire “que les patrons d’ici ont eu du mal à digérer.” Ouvrier durant toute sa carrière, Robert Samson avoue lui aussi : “Mon engagement syn- dical, je l’ai payé.” Avec unmaigre salaire jusqu’au terme de sa car- rière. Les autres syndiqués du Val de Morteau, eux, ont eu parfois beau- coup de mal à trouver un emploi au sein d’une entreprise. Beau- coup d’entre eux, dans l’horlogerie, n’ont eu accès qu’à un travail à domicile. Histoire d’empêcher de prêcher la parole du syndicat au sein de l’entreprise. J.-F.H.

Morteau Douche froide pour les anti-gaullistes Pendant trois semaines, les syndicats sont restés mobilisés pour essayer d’inciter les ouvriers des usines locales à rejoindre le mouvement.

C’ est dans un local de l’ancienne Poste à Morteau que les syn- dicats avaient éta- bli leur Q.G. pendant les événe- ments de 68. “Pendant trois semaines, nous sommes restés là à suivre l’actualité et à ten- ter de mobiliser les gens” se sou- vient Denis Roy, enseignant à l’école primaire du Trépied, mili- tant socialiste et membre de

Pour les ouvriers, faire grève les privait de salaire. “Il y avait tou- jours des collectes. Un jour, nous avons vu des syndicalistes suisses apporter un soutien financier aux grévistes français.” Les col- lectes de produits de première nécessité allaient en priorité “aux familles nombreuses.” La mobilisation a fini par payer car à la suite des accords de Gre- nelle, les salariés ont obtenu un certain nombre de garanties dans les sociétés comme le salai- re minimum garanti. Mai 68 est aussi l’acte de naissance des comités d’entreprise. “Dans les sociétés locales, ça a été une peti- te révolution.” En revanche, pour des militants comme Denis Roy qui s’étaient engagés dans le mouvement plus par conviction politique que syn- dicale, ce fut “la douche froi- de” quand De Gaulle a annon- cé qu’il restait au pouvoir.

monde savait que l’épreuve de force se terminerait ainsi.” Les syndicats et les militants de gauche ont donc accentué la pression pour peser plus lourd dans les futures tractations. “Notre volonté était de faire débrayer un maximum de mon- de dans les entreprises” se sou- vient l’instituteur. “Je me rap- pelle être allé devant la Fabi, le matin, au moment où les ouvriers

la fédération de l’éducation nationale (F.E.N.). L’établissement sco- laire avait débrayé. Rangé du côté des anti-gaullistes, l’instituteur était de

prenaient le travail pour leur demander de faire grève. Je me sou- viens aussi m’être fait engueuler un bon nombre de fois par les dirigeants de l’entreprise. Mais dans

“Dans les usines

locales, ça a été une petite révolution.”

ceux qui se rendaient devant les usines mortuaciennes pour rallier les ouvriers à la cause en vue de futures négociations qui ont lieu les 25 et 26 mai lors des accords de Grenelle. “Assez rapi- dement, nous avons su qu’il y aurait une négociation. Tout le

toutes les usines du secteur, il s’est passé quelque chose” racon- te Denis Roy, qui avoue avec humour ne s’être jamais levé aussi tôt que pendant le mou- vement de Mai 68. À la permanence des syndicats, la solidarité s’était organisée.

En Mai 68, Claude Cheval travaillait chez Parents Frères, à Villers-le-Lac.

T.C.

Menace L’armée aux portes du Haut-Doubs ? Aux dires de certains témoins de l’époque, la menace communiste pesait réel- lement. À tel point que l’armée était prête à intervenir en cas de déborde- ments. Claude Vermot, officier de réserve, se souvient.

E n Mai 68, et bien avant d’être élumaire deVillers- le-Lac, ClaudeVermot était menuisier-charpentier mais aus- si chef d’escadrille de réserve. “Dans les années quarante, nous avions été formés à la guerre psychologique” dit-il. En cas de problème majeur en Mai 68, Claude Vermot et “ses hommes” (il en avait plusieurs dizaines, anciens parachutistes, mobili- sables tout de suite), auraient pu intervenir. Car dans le Haut- Doubs comme ailleurs, ce qu’il craignait particulièrement, c’était “la menace communis- te. On était tout à fait capables d’intervenir avec l’assentiment de l’armée” affirme-t-il quarante ans plus tard. Selon Claude Vermot, ce “péril rouge” existait vraiment. “ÀMor-

France” ajoute Claude Vermot. Selon Émilie Joriot qui a tra- vaillé sur cette période, “des

teau, à la mairie, les commu- nistes faisaient presque la loi. Ils n’avaient qu’une peur, c’était

que l’on sorte les fusils.” De cette pério- de trouble, le com- mandant de réserve garde un souvenir assez net. Il resitue les événements locaux dans le cadre national. “Fin mai,

tracts circulaient dans le Haut-Doubs sur les- quels on pouvait lire : “Les syndicats oui, le drapeau rouge non.” Si les velléités du par- ti communiste étaient bien réelles à la fin des années soixante en

“Nous sommes passés à deux doigts d’une intervention.”

France, la formation militaire de M. Vermot, avec un ennemi numéro 1 désigné qui était l’U.R.S.S. à l’époque, a sans dou- te contribué à forcer quelque peu le trait dans cette ambian- ce de quasi-guérilla que ses sou- venirs lui laissent. Ces craintes étaient-elles vraiment fon- dées ? J.-F.H.

De Gaulle est allé voir le géné- ral Massu à Baden-Baden. À ce moment-là, les chars de l’armée française étaient en état d’alerte à Rambouillet. Nous sommes passés à deux doigts d’une inter- vention. Les communistes vou- laient rééditer les émeutes qu’ils avaient provoquées en 1948, notamment les grèves insurrec- tionnelles dans le Nord de la

Le conseil municipal de Morteau en 1965. Au 1 er rang de gauche à droite : Marcel Rième, Claude Vieille-Messet, Pinot Fleury, Christian Genevard, Jean Blanchard, Melle Faivre, Docteur Sauze et André Faivre. 2 ème rang : Gilbert Defrasne et Gaby Duquet. 3ème rang : Denis Roy, Robert Charles, Jacques Lanquetin, Marcel Bono, Louis Caille et Denis Vieille. 4 ème rang : Marcel Voynet, Pierre Cheval, Hilaire Bosa, Gilbert Gillet, Paul Chalons et Gilbert Faivre.

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