Journal C'est à Dire 168 - Juillet 2011

19

D O S S I E R

Trois questions à…

“L’apport de l’immigration italienne a été décisif” Frédéric Spagnoli est Maître de conférences d’italien à l’Université de Franche-Comté. Il a soutenu sa thèse “Du Trentin à la Franche- Comté : recherches sur un courant migratoire particulier (de 1870 à nos jours)” en 2007. Il est par ailleurs codirecteur de la rubrique Emigrazione dans la revue “Radici” (“Racines” en français).

C’ est à dire : Expliquez-nous comment ont été accueillis les Italiens enFrance et plus particulièrement dans la région. Frédéric Spagnoli : Dans la région, il ne me semble pas que les immi- grés ont eu beaucoup de difficultés à s’intégrer. Il n’y a pas eu de gros pro- blèmes comme ceux que l’on a pu voir dans le Sud-Est à la fin du XIX ème siècle ou durant l’entre-deux-guerres. Tou- tefois, beaucoup m’ont parlé d’insultes comme “macaroni”, “Ritals” et para- doxalement plus dans la capitale régio- nale Besançon que dans les campagnes du Haut-Doubs ou dans le bassin indus- triel de Belfort-Montbéliard. Càd : Globalement, il s’agit plutôt d’une réussite alors ? F.S. : Oui. C’est une réussite. L’apport de l’immigration italienne a été déci- sif dans le développement économique et social de la Franche-Comté. Pour preuve, on retrouve aujourd’hui des descendants d’immigrés italiens dans tous les domaines. Il suffit de regar- der le nombre d’entreprises de maçon- nerie à consonance italienne mais aus- si les noms de famille italiens dans les

syndicats ouvriers, dans la politique - l’ancien président du Conseil régional Raymond Forni était d’origine pié- montaise – ou dans le sport comme l’ancien footballeur sochalien Benoît Pedretti. Et au niveau national, c’est la même chose. Pour rester dans le sport, Michel Platini est aussi issu de l’immigration italienne. On pourrait multiplier les exemples : Coluche, Yves Montand ou Albert Uderzo, le dessi- nateur d’Astérix, qui représente pour- tant le Gaulois par excellence. Fina- lement, lorsque l’on y regarde de plus près, on se rend compte que les deux cultures sont extrêmement voisines. Pour moi, l’Italie et la France sont les deux pays de l’Union européenne les plus proches, un peu comme des cou- sins très proches qui tantôt s’adorent, tantôt se détestent. Càd : Est-ce aussi une réussite pour les immigrés et leur famille eux- mêmes ? F.S. : Au début, l’immigration en Franche-Comté était essentiellement saisonnière et masculine : très peu pensaient à s’installer définitivement en Franche-Comté. Puis, petit à petit,

femmes et enfants sont arrivés et, dans le même temps, les mariages mixtes se sont multipliés. Tout cela fait qu’aujourd’hui la plupart des immi- grés italiens et de leurs descendants se sentent français et sont très atta- chés à la région. Beaucoup y ont construit une maison et y ont élevé leurs enfants. Mais cela ne veut pas dire que les ponts avec l’Italie ont été coupés : les liens familiaux et/ou de vacances perdurent, à différents degrés suivant les histoires familiales, bien entendu. En somme, on pourrait dire que beaucoup d’immigrés italiens et de leurs descendants sont des Francs-Comtois avec quelque chose en plus, quelque chose que l’on pourrait appeler leur “héritage italien”. Propos recueillis par T.M.

Depuis la rentrée universitaire, Frédéric Spagnoli dirige le département L.E.A. (Langues Étrangères Appliquées) sur le site de Montbéliard. Une hirondelle ne fait pas le printemps À lʼheure où les Français partent chercher les chaleurs estivales des plages dʼItalie, il y a quelques dizaines dʼannées de “drôles dʼoiseaux” faisaient le che- min inverse. Les ouvriers du Sud de la Péninsule venaient ainsi, dans les forêts du Jura à la belle saison pour remplir leur bourse. Contrairement à leurs compatriotes du Nord, ils ne sʼinstallaient que pour quelques mois et repar- taient avec les premières gelées. Souvent embauchés dans les chantiers fores- tiers de la région, ils faisaient fortune grâce à une vie calme et un change favo- rable. En 1926, Numa Magnin, auteur franc-comtois du début du XX ème siècle les décrits ainsi : “Leur champ dʼévolution, cʼest la France, lʼEurope, parfois lʼAmérique. Parmi eux sont compris les saisonniers, surtout les Italiens, qui sʼen vont en automne et reviennent au printemps, comme les hirondelles.”

Made with FlippingBook Annual report