Journal C'est à Dire 168 - Juillet 2011

L E P O R T R A I T

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Nicolette Boillot est une des citoyennes les plus illustres de Grand’Combe- Chateleu où elle passe tous ses étés.

Grand’Combe-Chateleu

Nicolette Boillot, une vie À 102 ans, Nicolette Boillot incarne une certaine idée de l’élégance. Si elle a arrêté le tennis et la conduite, et plus récemment encore le jardinage, elle a gardé toute sa verve et son allant. Un siècle de souvenirs et d’aventures réunis dans ce petit bout de femme.

B ien sûr il y a le poids des ans qui ralentit le pas. Mais l’œil est toujours aussi vif, l’esprit tout autant. Avec l’élégance intacte héritée de son éducation anglai- se, la vieille dame est conforta- blement installée dans son cana- pé fleuri, au milieu de ce salon hors du temps au décor suran- né. Le chemisier impeccable, le pantalon à carreaux et les mocas- sins à glands, Nicolette Boillot passe un énième été dans sa noble ferme comtoise tout en pierres posée au milieu de Grand’Com- be. À côté d’elle, sur le guéridon, une pile de revues : le magazine littéraire“Lire”,Le Figaro ou enco- re lemagazine anglaisTimes aux- quels elle est abonnée et dont elle ne manque aucun numéro. Nicolette Boillot est un des der- niers témoins d’une époque révo- lue, celle des belles-lettres et des salons mondains, des voyages en train et des uniformes. Issue d’une famille d’agriculteurs de Sur le Mont, Nicolette Boillot a bénéficié de l’éducation bour- geoise prodiguée par un grand- père lettré qui a terminé sa car- rière à Paris comme préfet des études et d’un grand-père mater- nel artiste-peintre. Le père de Nicolette, François-Félix Boillot, a également marqué de son empreinte l’histoire de Gran- d’Combe-Chateleu. Ce profes- seur d’anglais qui a passé toute sa carrière universitaire en Angleterre a laissé une trace dans la littérature avec un ouvra- ge qu’il a consacré au patois de Grand’Combe-Chateleu. D’autres livres écrits sous le pseudony- me “Le Félix de la Grand’Com- be” ont assis sa notoriété. De toute cette ascendance, Nico- lette a forgé sa personnalité de femme libre au caractère bien affirmé. Elle est née en Angle- terre en mai 1909, à Sheffield, dont elle garde encore quelques souvenirs précis. “On a gran- di en Angleterre mais mon père a voulu que l’on fasse notre édu- cation secondaire en France. Nous nous sommes alors installés dans la maison de notre grand-mère à Maisons-Laffitte. Et comme nous étions très mauvais en fran- çais, on nous a envoyés faire une année à Grand’Combe où j’ai passé mon certificat d’études” raconte la vieille dame qui se souvient du contraste frappant entre son enfance en Angleter- re et la vie rurale à Gran- d’Combe, “sans chauffage cen- tral, sans toilettes…” Nicolette Boillot poursuivra ensuite ses études en région pari- sienne, filière latin et langues. “Je souhaitais entrer aux Nations

Unies mais finalement on m’a persuadé de passer mon C.A.P.E.S. d’anglais.” Après une licence d’anglais et “sciences po”, elle décroche à force de ténaci- té un concours de traductrice aux Nations Unies… Mais elle finit par choisir une carrière d’enseignante. Après un pas- sage enAngleterre, elle sera nom- mée tout à tour en Vendée puis en Bourgogne, puis à nouveau en Angleterre. L’envie de bouger a toujours caractérisé Nicolette Boillot. “Juste après la guerre, j’ai demandé un poste dans la zone d’occupation française en Autriche, dans le Tyrol. Des années passionnantes se sou- vient-elle. On faisait les cours le matin et on skiait ou on faisait du cheval tous les après-midi.” Puis elle est partie enseigner au Maroc où elle restera sept ans, entre 1947 et 1954. “J’ai par- couru tout le pays en auto-stop, une aventure fascinante.” La mort accidentelle de son frère avia- teur et de son épouse l’oblige à rentrer en France pour s’occuper de ses neveux devenus orphe- lins. Elle poursuivra alors sa car- rière d’enseignante à Paris, dans un lycée proche de l’hôtel-de-vil- le, pour la terminer à la Sor- bonne où elle enseignera l’anglais jusqu’à l’âge de 70 ans. Cette baroudeuse raffinée n’a jamais oublié ses racines locales : tous les étés, sans exception, elle revient passer plusieurs semaines dans sa ferme de Gran- d’Combe où elle vit, autonome. “Je fais encore mon lit moi-même même si maintenant, je fatigue vite” dit-elle… “mais je récupè- re vite” ne manque-t-elle pas d’ajouter. Le reste de l’année, c’est à Maisons-Laffitte qu’elle le passe, entourée de ses amis. “J’essaie de me rendre utile. Deux fois par semaine, j’anime un goû- ter en anglais, pour les dames de Maisons-Laffitte qui souhaitent entretenir leur anglais.” Elle a aussi pour ami le veuf de l’écrivaine Jeanne Bourin ou encore le fils de la pianiste Anne Queffélec, des “voisins délicieux” avec qui Nicolette Boillot s’entretient de musique ou de littérature. Il est 17 heures, c’est l’heure du thé. Un rite immuable dans le quotidien de cette Franc-Com- toise so british …À la fin de l’été, Nicolette Boillot s’apprête à rega- gner la région parisienne pour sa villégiature d’hiver. Elle revien- dra dans son fief de Gran- d’Combe-Chateleu dès l’été pro- chain, “si le bon Dieu ne veut pas de moi” précise-t-elle dans un sourire malicieux. J.-F.H.

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