Journal C'est à Dire 161 - Décembre 2010

BODY MUST épilations Bienvenue dans la zénitude...

D O S S I E R

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Point de vue “Être pauvre dans le Haut-Doubs est une tare”

Pour réussir socialement, faut-il gagner 3 000 euros par mois ? À 40 ans, Christophe Roy s’interroge sur cette réussite sociale véhiculée par les frontaliers. Coup de gueule d’un ouvrier de Chamesey, dans le canton du Russey.

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vaises conditions de travail… Dans le Haut, on est fier d’afficher son argent au point que c’est une tare d’être pauvre ! Càd : On pourrait penser à de la jalousie de votre part… Enviez-vous les frontaliers ? C.R. : Ce n’est pas du tout la jalou- sie mais j’avoue que j’ai un com- plexe : ici, les gens se concentrent sur leurs biens matériels. Vous avez réussi parce que vous avez une belle voiture, une grandemai- son… Le Haut-Doubs est une région favorisée certes, mais une

région peu solidaire du reste de la France, peu encline à la soli- darité nationale…Les gens sont austères. Ils aiment montrer leur richesse. Encore une fois, on juge une personne par rapport à sa réussite sociale, on dénigre les pauvres, les chômeurs, les immi- grés. Vous savez, des travailleurs français font aussi une heure de trajet pour se rendre à leur travail. Je ne pense qu’un fron- talier soit plus méritant qu’un autre. Càd : Si vous faites ce constat, c’est que vous êtes insatisfait de votre situation ? C.R. : Je suis content de pouvoir travailler pour mon pays, j’ai la sécurité de l’emploi, de bonnes conditions de travail dans la scie- rie pour laquelle je travaille. Je peux par exemple venir manger le midi chez ma mère avec laquel- le je vis. Càd : Vous êtes diplômé d’un B.T.S. en électronique. Pour- quoi n’avoir jamais tenté de trouver un poste en Suisse ? C.R. : Peut-être parce que je n’ai peut-être jamais réussi à me vendre. Tant que j’ai mon emploi ici à Cour-Saint-Mau- rice, que tout se passe bien avec mon patron et du moment que l’on peut évoquer un pro- blème s’il y en a un, je n’ai aucune raison d’aller là-bas. Càd : Concrètement, comment vivez-vous au jour le jour cet-

C’ est à dire : Vous dites qu’il faut arrêter de présenter le Haut- Doubs comme un eldorado. Pourquoi ? Christophe Roy : On a l’impression que les gens du

Haut-Doubs vivent dans une bul- le : les entreprises réussissent, les salariés sont bien payés, heu- reux d’aller au travail. On n’évoque peu le chômage, la pau- vreté et la difficulté de trouver un logement. On occulte les mau-

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te mise à l’écart du Haut- Doubs ? Donnez-nous des exemples. C.R. : Ici, il y a des personnes qui pourraient bénéficier d’aides

J’ai été demandeur d’emploi il y a quelques années et à chaque fois que je me suis rendu à l’agence de Morteau, je suis reve- nu bredouille. On a l’impression de brasser du vent et on consi- dère que ceux qui n’ont pas d’emploi ici le veulent bien ! Lorsque je lis les articles consa- crés à la réussite frontalière, ça me déprime : j’ai l’impression d’être un bon à rien. Je ne suis pas seul dans ce cas.

enmatière de logement ou de nourriture mais elles ne le demandent pas, justement pour ne pas être montrées du doigt. Je dis que les

“Des ouvriers français font aussi une heure de trajet.”

rapports entre les gens sont faus- sés. Je ne pense pas que dans le Nord de la France cette dif- férence soit aussi marquée qu’ici.

Christophe Roy qui travaille dans une scierie de la vallée du Dessoubre dénonce des rapports sociaux faussés dans le Haut-Doubs.

Propos recueillis par E.Ch.

Audrey, maman heureuse à 1 300 euros par mois Témoignage À 30 ans, cette jeune maman célibataire, salariée en France, a le sentiment de vivre en décalage avec la plupart des frontaliers qui affichent un pouvoir d’achat bien supérieur au sien. Le Haut-Doubs serait-il devenu “bling-bling” ? A lors qu’elle visitait des appartements à louer à Morteau,Audrey n’a pas oublié les remarques ficative de l’évolution du Haut- Doubs. Qu’il s’agisse d’accession à la propriété ou de location, le marché de l’immobilier s’est structuré autour de la deman- de des frontaliers.

me plains pas.” La nounou est un des postes qui grève le plus son budget. “Comme mes horaires m’amènent à travailler au-delà de 18 h 30, je dois fai- re appel à ses services. Mais ma fille ayant plus de six ans, je n’ai droit à aucune aide” explique cette maman qui estime avoir de la chance d’avoir de la famil- le sur place qui la dépanne. Sans parler de course à l’économie, avec 1 300 euros par mois elle fait attention à tout pour éviter le découvert ban- caire. Quand elle observe son train de vie, elle a l’impression de vivre en décalage avec un certain nombre des frontaliers percevant une forme d’arrogance dans leur manière de consom- mer. “Nous sommes ici dans l’avoir et le paraître. J’ai le sen- timent qu’on perd la notion de la valeur des choses. C’est une forme de pression sociale qui s’exerce jusque dans la cour des écoles. Ce qui m’énerve le plus, c’est quand j’entends une per- sonne frontalière dire qu’elle ne s’en sort pas financièrement.” Un salaire aussi élevé soit-il ne protège pas du surendette- ment.

lâchées par des propriétaires. “Vous travaillez en Suisse ? ou “Êtes-vous une famille ? Ni l’un ni l’autre, si l’on considère com- me ce bailleur que l’on est une famille à partir du moment où l’on est un couple avec des enfants. Audrey a vite compris qu’aux yeux de ses interlocu- teurs indélicats, elle cumulait un double handicap et qu’il était

Au-delà de ces considérations, il y a les prix qui flambent jus- qu’à devenir inaccessibles pour une personne seule comme cet- te jeune femme qui a dû cher- cher d’autres pistes pour se loger. Aujourd’hui, elle occupe un appartement H.L.M. pour un loyer de 480 euros par mois hors

inutile d’insister. Elle a trente ans, travaille en France et vit seule avec sa fille de 7 ans. Avec un salaire de 1 300 euros nets, même diplômée, elle n’avait

charges. Audrey estime s’en sortir plutôt bien. Son loyer plomberait davantage son budget si elle n’était pas en H.L.M. Là, elle ne se sent pas étranglée.

“On perd la notion de la valeur des choses.”

pas visiblement pas le profil du locataire idéal dans un secteur géographique qui finit par être pétri par les préjugés. Peu impor- te la fonction occupée, être fron- talier est devenu un statut ras- surant pour des bailleurs pri- vés qui pensent, à tort parfois, qu’il est une garantie suffisan- te pour que les loyers soient honorés chaque mois. Mais l’expérience d’Audrey est signi-

Pourtant, quand elle déduit enco- re le prêt voiture, la nounou, les courses, la mutuelle, l’essence, l’électricité, l’eau, et malgré une allocation de la C.A.F. de 330 euros qui lui permet de réta- blir l’équilibre du compte, il ne lui reste que 100 euros par mois pour se “faire plaisir” dit-elle. “Pas dans les restos ! Récem- ment, j’ai acheté une paire de bottes pour l’hiver. Mais je ne

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