Journal C'est à Dire 161 - Décembre 2010

D O S S I E R

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Hier frontalière, aujourd’hui en recherche d’emploi Louise : célibataire, un enfant, en galère À quarante ans, cette femme a quitté brutalement la Suisse après avoir été licenciée. Six mois plus tard, elle n’espère qu’une chose : y retourner pour travailler. En attendant, elle galère, confron- tée à la vie chère du Haut-Doubs, une réalité qu’elle découvre au quotidien.

appel : “Avec un salaire de base en France, c’est juste impossible de s’en sortir quand on vit dans le Haut-Doubs. Devenir pro- priétaire, je n’en parle même pas. Il faut être au moins deux.” Lorsqu’elle travaillait en Suis- se, cette “quadra” gagnait 2 000 euros nets par mois. Un revenu confortable pour sa qua-

1 300 euros. Mais quand je paie la voiture, l’essence, la Sécu, la mutuelle, les charges com- me l’électricité et le téléphone en début de mois, je suis déjà dans le négatif. Là, je vais devoir payer des impôts sur mes salaires suisses, je ne sais pas comment je vais faire.” Pourtant, Louise affirme ne fai-

L ouise, célibataire, 40 ans, un enfant. Au printemps dernier, elle travaillait encore dans un home médicali- sé en Suisse. C’était juste avant d’être licenciée après trois années de service. Virée du jour au lendemain. “Ça fout un coup au moral” dit-elle, incapable de se résoudre à l’idée de com- mencer une vie de chômeuse. “C’est encore pire de se dire qu’on ne sert à rien. Au chômage, il y a de quoi péter un plomb.” Cela fait six mois que Louise se démène pour retrouver un job

dans son domaine. Elle a envoyé des C.V. par dizaines. Tous sont restés lettres mortes, pas un seul n’a débouché sur un entre- tien. Elle a poussé la porte des agences d’intérim, laissé son curriculum vitæ sur Internet. Rien. “Le problème, c’est que j’ai l’expérience mais je n’ai pas de diplôme” avoue-t-elle, lucide sur sa situation. En dehors de ses démarches personnelles, Louise compte aus- si sur Pôle Emploi pour espérer trouver un travail. En vain. Son téléphone n’a pas encore son-

né. “Je n’ai reçu aucune pro- position de la part de Pôle Emploi. Quand j’y vais, je ne rencontre jamais le même conseiller, j’ai l’impression de repartir de zéro en racontant à chaque fois mon histoire.” Dans sa voix, de la lassitude, mais pas d’amertume. Malgré l’attente interminable, Louise n’est pas résignée. “Je vais persévérer” dit-elle, encou- ragée par la demande qu’elle a lancée auprès des services de l’État pour que son expérien- ce professionnelle soit reconnue

afin qu’elle puisse obtenir la qualification d’aide-soignante. Si elle aboutit, la reconnaissance de ses acquis va l’aider dans sa quête. Louise a toujours tra- vaillé, il n’y a donc pas de rai- son que le destin ne lui sourie pas à nouveau. Son espoir : retrouver un pos- te, là-bas, de l’autre côté de la frontière. “Si la vie n’était pas aussi chère ici, peut-être que nous n’éprouverions pas le besoin de partir en Suisse.” Mère céli- bataire, quand Louise fait ses comptes, son verdict est sans

lification, incompa- rable avec ce qu’elle perçoit aujourd’hui. Par le bouche à oreille, elle a trouvé un travail de nounou dans le Val de Mor- teau, à 30 km de son

re aucune dépense superflue. Elle se ser- re la ceinture et pei- ne à joindre les deux bouts. “Quand je vais en course, j’en suis à dix centimes sur les produits. Je ne fais

“Je ne veux pas priver mon gamin de tout.”

domicile, qui l’occupe à temps partiel, 109 heures par mois pour un salaire de 800 euros. “C’est peu, mais au moins je me sens utile. Je ne suis pas chez moi à glander.” Quand elle a déduit les 570 euros de loyer qu’elle paie pour un F4 au centre-ville, il ne lui reste que 230 euros. “Comme j’ai un temps partiel, les Assedic me versent un complément de salaire. J’ai aussi une aide au logement d’environ 200 euros. Au bout du compte, je perçois

plus d’extras alors qu’avant je sortais une à deux fois par mois. Mon fils ne fait plus d’activité en dehors de l’école car je ne peux plus les payer. Je m’en moque de me priver. Mais je ne veux pas priver mon gamin de tout.” Par la force des choses, Louise a purgé son budget des dépenses inutiles. Son statut est précai- re. Elle l’espère, plus pour long- temps, attendant beaucoup d’une Suisse décidément pro- videntielle. T.C.

2 euros par jour “La maladie, la vieillesse conduisent à la précarité” Il n’est pas rare que des gens soient amenés à quitter leur emploi pour se soigner, ou alors pour aider une personne malade de leur entourage. Deux scénarios qui conduisent parfois à la précarité.

O n ne choisit pas la mala- die. Elle frappe sournoi- sement et pousse parfois ceux qui sont lourdement atteints au bord de la précarité. C’est le cas de cette Pontissalienne céli- bataire qui, à 52 ans, souffre d’un cancer. Pour se soigner, elle a dû cesser de travailler. Cette dame perçoit encore un revenu de 1 050 euros. Mais dans quelques mois, d’après ses calculs, com- bourser l’appartement qu’elle occupe. À la souffrance physique s’ajoute donc pour cette dame l’angoisse financière. L’histoire de Françoise est dif- férente. Cette quinquagénaire installée dans le Haut-Doubs a cessé son activité profession- nelle il y a plusieurs années pour s’occuper de son mari lourde- ment handicapé. Un “travail” à temps plein pour lequel elle per- çoit au titre d’aidant familial 3,10 euros de l’heure pour 152 heures par mois. Pour avoir fait le choix d’accompagner son mari afin de l’aider à vivre digne- ment à son domicile, Françoi- se se voit donc attribuer une allocation mensuelle de 471 euros ! Cette pension n’est pas le seul revenu du ménage. Heureusement d’ailleurs. “Quand je fais les comptes, il nous reste 2 euros par jour pour vivre, une fois que j’ai déduit de notre budget le remboursement de la maison, les impôts locaux, les impôts fonciers et les charges courantes.” Un scandale pour cette femme qui s’insurge contre me elle arrive en fin de droits, elle ne devrait pas percevoir plus de 700 euros nets par mois ! Et avec cela, elle devra continuer à rem-

le peu de reconnaissance dont bénéficient les aidants familiaux qui comme elle quittent tout du jour au lendemain pour consa- crer leur temps à un être cher. “C’est incompréhensible que l’aidant familial soit si peu payé. Il devrait bénéficier d’une rému- nération digne. Il devrait pou- voir cotiser à la Sécurité socia- le, à la retraite” s’énerve Fran- çoise qui estime que c’est semblent faire peu de cas des aidants familiaux. Pourtant, par leur investissement, ils génè- rent sans doute des économies. Combien coûterait la prise en charge quotidienne de ce mala- de par une structure spéciali- sée ? Quel serait le montant si des professionnels ou des asso- ciations se relayaient 24 heures sur 24 à son domicile pour veiller sur lui ? Françoise n’a pas la réponse à ces questions mais ce qui est sûr, c’est que cette prise en charge dépasserait sans dou- te les 471 euros par mois qu’elle perçoit pour son engagement à temps plein. “Je ne constate qu’une chose, c’est que la mala- die, la vieillesse vous condui- sent à la précarité. Mon mari et moi ne dépensons rien. Cela fait deux ans maintenant que je n’ai pas flâné dans les magasins pour m’acheter des vêtements. Et pourtant, je ne me plains pas. Nous sommes toujours plus heu- reux que des gens qui n’ont rien…” Voilà ce qui s’appelle recevoir une leçon de vie. T.C. l’ensemble du systè- me social qu’il faudrait remanier. D’après cette quin- quagénaire, l’État com- me les collectivités

“Nous sommes toujours plus heureux.”

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