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12 L’ÉVÉNEMENT

MAI JUIN 2019 RÉGAL N° 89 www.regal.fr

ALEXANDRE MAZZIA «MANGER EST UN GESTE BASIQUE, UN GESTE DE VIE ! » Le chef se confie sur son approche de la cuisine, sa vision de la vie, sa relation avec Marseille dont il bouleverse les codes. Une interview sans filtre, brute, à l'image d'un chef hors normes, qui a grandi en Afrique et fait le tour dumonde deux fois. Magnéto.

suis. En France et en Europe, on est toujours dans ces logiques : quelqu'un fait ça et il a eu ça, donc peut-être que c'est le modèle qu'il faut suivre. Ça cloisonne l'esprit, la création et boum! les gens s’enferment.

Pourquoi s’installer à Marseille? A. M. Avant d'arriver à Marseille, je

m'occupais des repas protocolaires d’un particulier. J'ai eu la chance de faire… (il réfléchit) peut-être deux fois le tour du monde. Ensuite, j’ai travaillé à Marseille au restaurant de la Cité radieuse de Le Corbusier, puis je me suis demandé : «Qu’est-ce que je fais ? Je repars à l’étranger ?» Ma femme m'a dit «Là franchement, calmos muchacho ! » J'ai cherché un restaurant de petite taille pour créer mon propre endroit avec mes propres collaborateurs et ma propre façon de voir les choses. J'ai ouvert avec 20€ sur mon compte. J'avais pas droit au découvert ! Quand mes premiers clients sont arrivés… heureusement qu'ils sont arrivés ! C'était chaud. C'était super. Pourquoi ouvrir un restaurant dans ce quartier un peu à l’écart du centre-ville? A. M. Je ne voulais pas être sur le Vieux- Port, parce que je ne voulais pas que les

gens entrent pour manger. Je voulais que les gens viennent découvrir un autre univers. Sur ma façade, c’est pas marqué restaurant. C'était un pari un peu fou ! On a ouvert le 17 juin 2014, le 18 juin on était complet. (Six mois après, le restaurant a gagné une étoile, suivie d’une deuxième cette année.) Est-ce que la décoration de votre restaurant est volontairement épurée pour que le client reste concentré sur l'assiette? A. M. Je voulais un lieu aéré. On n'est pas obligé d'avoir des tableaux aux murs. En plus, on a un vrai tableau : un mur en béton de 13 cm d'épaisseur. Suivant la luminosité et la réverbération sur l'immeuble en face, on a une teinte différente : grise, bleutée voire anthracite. Je voulais que les gens viennent pour découvrir un univers différent et qu’ils se laissent emporter. Il fallait qu'on crée un lieu simple, où tout les détails comptent. Qui sont vos fournisseurs ? A. M. Jean-Baptiste Anfosso, un producteur en permaculture à Bandol. Il fournit 70% du restaurant. Il fait un travail extraordinaire. Je n'ai pas besoin d'aller à Tombouctou !

Racontez-nous votre parcours… Alexandre Mazzia : Je suis né au Congo, à Pointe-Noire, à la Clinique des Manguiers. J'ai vécu pendant quinze ans en face d’une plage qui s'appelle la Côte Sauvage, l’une des plus rudes du continent africain. C'est là aussi qu’il y a le plus de poisson. Face à la mer… Forcément, ça ne laisse pas indifférent ! Le plus petit et le plus vieux marché au poisson d’Afrique était près de la maison. Là-bas, j’ai découvert mes premières palourdes, premiers requins-marteaux, premières raies. De retour en France, ça a été le choc culturel. Je me suis réfugié dans le basket. J’ai été recruté sur les «playgrounds», j’ai joué en pro jusqu’en équipe de France espoirs. Après, il a fallu faire un choix entre la cuisine et le sport. Un choix qui s'est fait naturellement. Ce n'était même pas un choix, en fait. Les produits m'attiraient plus que le terrain. On retrouve votre histoire dans votre cuisine? A. M. Toutes ces expériences se retrouvent dans ma cuisine, mais surtout dans la logistique, le management, la façon d'appréhender la table. J'ai appris à tout décloisonner pour faire simplement ce que je

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