BVA_NUDGE_2018

Éditorial

Pourquoi le monde se tourne vers les sciences comportementales

Robert B. Cialdini

Il y a un moment pour tout, un temps pour toute chose sous le ciel. Ecclésiaste 3 : 1

Nous sommes à l’âge d’or des sciences comportementales. Plus que jamais, les gouvernements, les ONG, les entreprises, les professionnels de la médecine et les juristes, ainsi que les citoyens portent un intérêt admiratif à la réflexion et aux études des chercheurs en sciences comportementales ( Sunstein, Reisch et Rauber, 2018 ). Sur le seul plan des politiques publiques, un observateur a pu identifier 196 initiatives en cours en matière de recherche comportementale dans le monde ( Naru, 2018 ). Pourquoi maintenant ? Je pense que cela procède de l’émergence coordonnée de deux domaines de recherche : la psychologie sociale (ma discipline première) et l’économie comportementale. Ces deux domaines présentent d’importants points de convergence (p. ex., certaines méthodes et hypothèses de recherche sur la motivation humaine, ainsi que le rôle essentiel du contexte), de sorte que les deux peuvent être classés dans la catégorie des sciences comportementales (1) . Pour autant, ils sont loin d’être identiques. Je distingue trois différences majeures. Les économistes comportementaux cherchent principalement à comprendre la façon dont les individus prennent des décisions économiques ou la façon dont certains systèmes financiers (plans de retraite, codes fiscaux, etc.) affectent ces décisions ( Thaler, 2018 ). Les chercheurs en psychologie étudient également d’autres choix personnels n’ayant pas trait à la fiscalité. Par exemple, mes collègues chercheurs se sont intéressés à ce qui motive les individus à salir un espace public, à porter un sweatshirt aux couleurs d’une l’équipe locale, à mettre en évidence des affiches d’organismes caritatifs, à réutiliser les serviettes d’hôtel, ou encore à donner leur sang. (1) Bien qu’elle soit en train de délimiter son territoire, il est vrai que l’économie comportementale a intégré certaines caractéristiques de la psychologie sociale traditionnelle. Certains de mes collègues se sentent lésés par les chercheurs en économie comportementale qui se prévalent de certaines découvertes, sans mentionner le fait que les chercheurs en psychologie sociale sont parvenus à des conclusions sensiblement identiques. Je ne partage pas leur ressentiment. Il existe bien un chevauchement des deux disciplines, mais il est limité. Par ailleurs, l’économie comportementale a revalorisé la dimension publique de la psychologie sociale, en adoptant certaines caractéristiques essentielles et en les légitimant dans l’esprit des décideurs. Il y a dix ans, personne n’invitait les chercheurs en psychologie sociale aux conférences internationales sur les politiques gouvernementales ou économiques. J’ai été invité à une conférence de ce type il y a dix ans et j’ai eu la surprise de découvrir sur place que l’on m’avait présenté comme « économiste comportemental » sur le programme de la conférence. Lorsque j’ai interpellé l’organisateur de la conférence à ce sujet, il m’a glissé discrètement qu’il n’aurait pas pu me convier à l’événement en tant que chercheur en psychologie sociale. Cette époque est révolue. Il serait intéressant de comprendre pourquoi l’économie comportementale pourrait redorer le blason de la psychologie sociale auprès des décideurs politiques. Je pense que cela tient au prestige que l’économie revêt depuis toujours en tant que discipline auprès des dirigeants d’entreprises et des gouvernements. Certaines personnes présentées comme des économistes comportementaux ont remporté un prix Nobel (George Akerlof, Daniel Kahneman, Elinor Ostrom, Robert Shiller, Richard Thaler). Par conséquent, le fait que l’économie comportementale et la psychologie sociale partagent des similitudes importantes concourt à améliorer la réputation de cette dernière. Comme l’a souligné Alain Samson dans un commentaire éditorial au présent Guide, « l’économie comportementale a sans doute joué le rôle de cheval de Troie pour la psychologie sociale ».

16 Guide de l'Économie Comportementale - 2018

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