BVA_NUDGE_2018

Éditorial

Deuxièmement, pour les chercheurs en économie comportementale, la bataille qui oppose les partisans d’un comportement humain rationnel à ceux d’un comportement humain irrationnel n’est pas terminée ( Rosalsky, 2018 ). Par exemple, pour étudier correctement les interprétations reposant sur la théorie économique néoclassique, ils sont plus enclins que les chercheurs en psychologie sociale à inclure dans leurs cadres de recherche au moins une condition impliquant une prédiction d’un acteur rationnel. Les chercheurs en psychologie sociale, quant à eux, n’éprouvent pas ce besoin, car ils sont convaincus du bien-fondé de l’observation formulée par Rabelais, il y a six cents ans, sur le caractère systématique de l’illogisme humain. « Si tu veux éviter de voir un idiot, tu devras d’abord rompre ton miroir. » Soit dit en passant, j’ai autrefois demandé à Richard Thaler : pourquoi les partisans de la théorie économique néoclassique rechignent-ils autant à reconnaître l’irrationalité chronique de notre espèce ? Il pensait que cela était dû en partie à l’ascension de la modélisation mathématique parmi les sciences économiques, qui prend plus facilement en compte les éléments rationnels plutôt qu’irrationnels. Elle reste la norme professionnelle et confère un certain statut aux modélisateurs. Enfin, les économistes comportementaux sont plus susceptibles de tester leurs hypothèses dans le cadre d’études de terrain de grande ampleur sur les comportements significatifs observés en situation réelle que dans le cadre d’expériences en laboratoire sur les choix personnels relativement anodins faits derrière un clavier. L’obstination des chercheurs en psychologie sociale à opérer uniquement en laboratoire tient à plusieurs raisons. La possibilité d’obtenir des conclusions faciles, rapides et nombreuses pour publication et la capacité à collecter des données accessoires aux fins d’analyses médiationnelles expliquent en partie ce comportement. Néanmoins, à l’instar de ce qui s’est produit dans le domaine de l’économie selon Thaler, il se peut que cela soit dû en partie à un facteur réputationnel. La recherche en psychologie sociale, autrefois considérée comme une discipline peu rigoureuse (jusqu’en 1965, la publication phare était le Journal of Abnormal and Social Psychology ), est devenue une discipline en quête de respectabilité scientifique et plus seulement laborantine. Il est vrai que de nombreux économistes se sont raccrochés à la rationalité économique à cause du jargon mathématique prestigieux inhérent aux modèles économétriques et, de la même manière, de nombreux chercheurs en psychologie sociale ont cru fermement aux expériences en laboratoire en raison de leurs liens prestigieux avec les sciences dures. La floraison Récemment, une journaliste sud-coréenne m’a demandé « Qu’est-ce qui explique l’engouement actuel pour les sciences comportementales ? » Au-delà de la réponse générale que j’apporte ci-dessus, qui implique l’essor simultané de la psychologie sociale et de l’économie comportementale, j’ai évoqué des raisons plus précises que je détaillerai plus loin. Mais avant de poursuivre, il me semble important de revenir sur une insinuation sous-jacente à sa question : l’idée que nous n’ayons pas toujours eu autant la cote. En effet, en 1946, W. H. Auden publiait un poème prodiguant un conseil lapidaire : « Mieux vaut éviter de fréquenter des statisticiens ou de s’adonner

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17 Guide de l'Économie Comportementale - 2018

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