BVA_NUDGE_2018

Applications

de leurre, et inversement. Pris dans son ensemble, ce cadre de travail hétérogène complique l’application systématique des principes de l’économie comportementale, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où l’objectif consiste bien plus à réfuter la théorie économique classique plutôt qu’à appliquer de nouveaux concepts. De notre côté, nous pensons que la seule façon de développer un système de classification objectif, permettant d’appliquer les heuristiques et les biais, est d’une part d’ignorer les différentes formulations que les chercheurs utilisaient pour nommer leurs conclusions, et d’autre part de s’appuyer uniquement sur la classification objective de la variable indépendante soumise à variation à titre expérimental. Cela permet de déclencher l’heuristique et le biais déclarés dans l’expérience sous-jacente. En toute logique, ces variables indépendantes ne se reflétaient jamais rationnellement dans le processus décisionnel humain et étaient à l’origine des différences observées entre les groupes expérimentaux et les groupes de contrôle. Ainsi, la « présence d’une valeur de référence » dans une situation de choix donnée est une variable indépendante objective qui peut déclencher un biais décisionnel irrationnel prévisible. Plutôt que de parler du caractère « relatif » de la perception humaine de la valeur ( Kahneman et Tversky, 1979 ) ou de l’« utilité transactionnelle » perçue ( Thaler, 2015a ), nous attribuons simplement l’heuristique et le biais sous-jacents à cette dimension objectivement mal appréhendée, plutôt que d’invoquer différents ressorts ou différentes théories psychologiques. Si l’on analyse la littérature universitaire sous cet angle, nous obtenons une hiérarchie de classifications mutuellement exclusives, mais conjointement exhaustives, des critères qualitatifs et quantitatifs ( Bauer, 2000 ). Quoique complexe, cette classification présente un avantage unique : elle permet de classer et de structurer systématiquement toutes les heuristiques et tous les biais identifiés dans un cadre cohérent de dimensions que les individus sont incapables de refléter de manière rationnelle dans leurs stratégies décisionnelles. À partir de là, nous avons pu élaborer un questionnaire cadre qui reflète la présence de ces dimensions mal appréhendées dans les prises de décision. Par exemple, « Est- ce que le prix d’un produit sur lequel vous avez finalement jeté votre dévolu a diminué par rapport au prix de vente conseillé ? ». Le cas échéant, nous quantifiions l’importance subjective de cette dimension dans le choix d’un individu. Nous avons ensuite élaboré des sous-versions de ce questionnaire pour chaque produit pour obtenir un cadrage plus réaliste des questions, qu’il s’agisse d’acheter une voiture, de souscrire une assurance, de consommer des sodas, de réserver un billet d’avion ou de sélectionner un opérateur téléphonique. Notre objectif était d’aboutir à une compréhension globale du véritable processus décisionnel humain, et non pas le processus décisionnel propre à un produit. En suivant le même raisonnement, nous avons mené cette étude dans 16 pays, sur les cinq continents, car nous souhaitions capter l’essence du processus décisionnel humain indépendamment des différences culturelles. Au total, nous avons recueilli plus de 30 000 ensembles de données décisionnelles auprès des personnes interrogées qui avaient récemment acheté l’un des dix produits ou services prédéfinis dans ces pays.

86 Guide de l'Économie Comportementale - 2018

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